Entrevue avec Catherine Bégin pour la pièce S’embrasent

C’est avec joie que j’ai rencontré madame Catherine Bégin, comédienne de renom, qui remplacera madame Béatrice Picard à pied levé dans le rôle de la sentinelle dans la pièce S’embrasent au Théâtre Les Gros Becs du 23 au 26 mars prochain. J’en ai profité pour parler de la pièce, mais aussi du public adolescent et de sa présence au théâtre de nos jours.

Pour commencer, j’aimerais que vous nous parliez de la pièce S’embrasent, mais surtout du rôle que vous allez y jouer.

«C’est une pièce écrite par un auteur français qui s’appelle Luc Tartar, pas très vieux, un homme très doux, très audacieux en même temps. La pièce, comme beaucoup de grandes oeuvres, n’a qu’un thème unique et sobre, qui est un baiser dans une cour d’école, mais ce baiser est un baiser de passion pure, entre Jonathan et Latifa, qui sont pris de coup de foudre l’un pour l’autre. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais tous leurs camarades sont témoins de ce baiser et sentent d’instinct que ce n’est pas un bisou normal, c’est quelque chose de passionnel, d’énorme. Ils réagissent chacun selon leur histoire propre, il y en a qui ont de la peine parce que ça leur est jamais arrivé, parce qu’ils sont jaloux, l’autre a peur pour ce que ça suppose comme engagement. En face de l’école habite une vieille, qui elle a certainement déjà vécu un coup de foudre dans sa vie, en tout cas elle les comprend, elle admire ces jeunes-là, elle est d’accord avec eux, elle va même jusqu’à mettre sur le bord de la fenêtre une assiette de préservatifs… Elle est ouverte d’esprit et attentionnée.

Au fond, ce qu’il faut comprendre, c’est que la pièce n’est pas construite avec DES personnages, c’est comme un immense monologue. Le metteur en scène Éric Jean a fait énormément pour la facture visuelle et verbale de l’oeuvre. Après un long atelier avec les comédiens, il a décidé que chaque comédien jouait plusieurs personnages. Les deux héros ne sont cependant pas identifiés, de sorte que le public adolescent peut se voir dans leur peau ou les imaginer comme il veut, ce qui est excellent. Le seul personnage qui a un nom, c’est la vieille, mon rôle, qui s’appelle la sentinelle. C’est une femme ouverte, généreuse, elle est prête à fuguer avec eux, quand ils veulent se sauver, avec ses valises pour les suivre. »

Donc, vous remplacez Béatrice Picard pour cette pièce, à pied levé, mais vous avez déjà joué dans la pièce avant de venir à Québec?

« Oui, oui, ce qui est arrivé avec la pièce, c’est que moi j’avais signé pour le bloc 4 de la tournée, les dernières représentations, et Béatrice pour les 3 premiers blocs. Avant le bloc 1, le mari de Béatrice a été hospitalisé et elle a voulu être avec lui. Elle m’a donc demandé, ce qui n’est pas dans son habitude de résilier un contrat, de prendre sa place immédiatement. Même si j’étais très occupée, moi j’enseigne le théâtre, j’étais en plein atelier de comédie classique à l’école, j’ai pu m’arranger et intégrer la pièce. J’ai donc fait le bloc 1 en France, le bloc 2 au Québec c’est Béatrice qui l’a fait. Juste avant le bloc 3, que je ne devais pas faire, Béatrice est tombée à Radio-Canada et s’est cassé un petit os près de la hanche. Finalement, je me serai retrouvée à faire beaucoup plus que prévu. J’ai eu, au début du bloc 1, trois répétitions avec les acteurs et sur l’avion, je devais apprendre mon texte. Maintenant, j’ai pu faire plusieurs représentations et je me sens moins nerveuse. J’ai beaucoup de plaisir à le faire et la gang est merveilleuse.»

Justement, parlons de cette bande, de vos collègues, qui sont plus jeunes, comment vous sentez la barrière des générations entre vous?

« Ils sortent des écoles depuis peu. C’est sûr que ça intrigue le monde qui n’est pas du métier et un peu nous-même. Par exemple, j’enseigne, je me dis que je vais jouer avec mes anciens élèves: ils vont me juger, après tout ce que j’ai tenté de leur enseigner, et eux ils croient que je vais les juger, mais pas du tout… Dès qu’on entre en scène, on est collègue, on n’est plus du tout un ancien prof et un ancien élève. Ils sont le fun à mort, on s’entend très bien, on sort ensemble, on s’envoie des courriels, ils sont très généreux et passionnés, je ne m’ennuie pas avec eux et je pense qu’ils ne s’ennuient pas avec moi.»

Continuons sur cette différence entre les générations, comment est-ce  pour une actrice de jouer pour les adolescents, est-ce qu’il faut s’adapter, comment on aborde l’histoire, la scène?

Est-ce que c’est différent?

«Les moyens scéniques et techniques sont les mêmes pour n’importe quel public. L’approche, oui, est différente. Par exemple, un public d’ados peut très bien être turbulent, s’il y a quelques leaders dans la salle dont un qui se met à hurler… il ne faut pas essayer de parler plus fort qu’eux, il faut ralentir, jusqu’à arrêter, puis parler plus doucement. Forcément, il y en a quatre ou cinq qui vont vouloir écouter et qui vont dire aux autres de se taire. Ce qu’on a pas à faire avec un public adulte parce que notre public n’est plus spontané comme au temps de Victor Hugo où on se levait pour lancer des oeufs pourris à cause d’un mauvais texte ou d’un mauvais acteur. Le public est très généreux ici, beaucoup trop parfois. Les adolescents sont un peu à l’image du début du théâtre romantique, ils osent leur spontanéité, mais autant ils savent ce qu’ils n’aiment pas ou ce qu’ils aiment, autant ils n’écoutent même pas.

Il faut être plus vigilant, plus lent, mais il ne faut surtout pas en mettre trop.»

La pièce aborde des sujets d’adolescents, le baiser de passion pure ici, est-ce que ça vous ramène à votre adolescence, est-ce que ça vous rappelle des souvenirs?

«Pas pantoute! Moi, mon adolescence j’ai trouvé que c’était la période la plus niaise de ma vie, la plus inutile, je n’ai pas de tendresse en particulier pour mon adolescence, c’est très froid, clinique, c’est pas du tout romantique ou rien. Tout ça m’est venu par après. »

Pourquoi les adolescents, accompagnés ou non de leurs parents, devraient-ils venir voir la pièce?

«Quand j’ai lu la pièce, j’ai aimé ça d’amour. Avec la mise en scène d’Éric Jean, c’est un spectacle visuellement très fou, très éclaté, très déjanté. C’est un show tout court, c’est un spectacle de théâtre. La thématique est valable autant pour les adultes que pour les ados. Moi, je serais spectatrice seulement, pas impliquée dans la pièce, je ne verrais même pas que c’est destiné aux ados.»

Parlant encore de ces ados, pourriez-vous nous donner votre point de vue sur leur fréquentation du théâtre?

« Ah, ils ne viennent jamais! Ce n’est pas mieux de les obliger, c’est même désastreux. Le jour où les jeunes aimeront le théâtre, ce sera le jour où les associations de parents, les écoles, les profs (peut importe comment cela fonctionne) fourniront des billets de théâtre et diront: tu y vas quand tu veux mais je veux que tu y ailles, point final… pas de devoirs à faire après, rien. Surtout ne pas y aller en groupe, parce que dès que vous avez un leader, le show est dans la salle, il fait ça pour épater ses camarades. Comme on fait quand on est à cet âge. Tandis qu’un jeune, lorsqu’il est seul au théâtre, il va forcément regarder par en avant plutôt que de regarder ses copains, il va regarder l’histoire et il risque d’être bien plus pris. Mais c’est ainsi que ça fonctionne, les écoles louent des salles et on y va en groupe.

Je me souviens lorsque j’étais ado et que nous avions des sorties à l’extérieur. Nous portions notre uniforme et nous faisions n’importe quoi. On n’avait plus d’interdits, on était des soldats en uniforme, en uniforme on est anonyme. Ça fait que, on faisait ce qu’on voulait, tandis que lorsqu’on est un individu à part entière, on devient responsable de nos actes. Je ne dis pas ça par rapport au fait de huer un spectacle si on ne l’aime pas, je dis ça par rapport au fait de ne pas écouter, ce qui n’est pas du tout la même chose. Si vous écoutez et que vous n’aimez pas ça, vous avez le droit de huer, si vous faites du bruit et que vous n’écoutez pas, vous devriez sortir.

Ça, c’est un phénomène qui n’existerait pas si l’ado allait seul au théâtre, mais dès qu’on associe ça à un devoir d’école, à un compte-rendu après, c’est plate, c’est comme un cours. Sasha Dietrich disait une chose admirable (c’était un très mauvais élève…): on aimera l’école quand un mauvais élève sera privé de cour au lieu de récréations. C’est splendide! C’est un petit peu ça ici, si on associe la pièce à un devoir, on enlève toute la magie du théâtre, comment voulez-vous que le jeune trouve ça le fun s’il doit faire un compte-rendu après…  Initiez-le, racontez-lui une histoire sans dévoiler les punchs, parlez-lui de l’auteur, racontez comment ça se travaille une pièce, comment les acteurs travaillent, comme le metteur en scène intervient, intéressez-le par le côté coulisse, donnez-lui envie de venir voir et après cela, éloignez-vous.»

Nous avons ensuite terminé cette entrevue en souhaitant que les réflexions de Mme. Bégin soient entendues et puis sur le fait qu’il y avait longtemps qu’elle n’était pas venue dans la vieille capitale:

«Une chose est sûre, cela fait trop longtemps que je n’y suis pas venue, Québec est une très belle ville.»

Alors, ne manquez pas la pièce S’embrasent au Théâtre Les Gros Becs, présentée du 23 au 26 mars. Les représentations scolaires ont lieu à 10h00 et à 13h00 les 23 et 24 mars ainsi que le 25 mars à 10h00,  et les représentations grand public(famille) le 25 et le 26 mars à 19h30.

Pour plus d’informations ou pour une réservation, consultez le site www.lesgrosbecs.qc.ca ou téléphonez au (418) 522-7880.

 

S’embrasent (Dès 13 ans)

Production : Théâtre Bluff

Texte : Luc Tartar

Mise en scène : Eric Jean

Assistance à la mise en scène et régie : Stéphanie Raymond

Scénographie : Magalie Amyot

Éclairages : Martin Sirois

Costumes : Stéphanie Cloutier

Environnement sonore : Olivier Gaudet Savard

Direction technique et de production : Guillaume Bloch

Interprétation : Francesca Bárcenas, Christian Baril, Matthieu Girard, Talia Hallmona et Catherine Bégin

photo: courtoisie