Entrevues avec les artisans du film Tout ce que tu possèdes

Bernard Émond, Patrick Drolet et Willia Ferland-Tanguay pour le film Tout ce que tu possèdes

J’ai vu, sur invitation de presse, le film poétique Tout ce que tu possèdes, de Bernard Émond, le même réalisateur que La donation. Ce film a été tourné presqu’entièrement à Québec et à Saint-Pacôme et met en vedette Patrick Drolet et Gilles Renaud. Le film prend l’affiche le 2 novembre prochain et mon appréciation du film se trouvera dans la section cinéma dès le 2 novembre.

Entrevues : C’est mercredi le 30 octobre, au Château Bonne Entente que j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec les artisans du film Tout ce que tu possèdes. Il y avait sur place le scénariste et réalisateur Bernard Émond, ainsi que les comédiens Patrick Drolet et Willia Ferland-Tanguay.  Par la suite, ce même soir, le 30 octobre, le film était présenté au Clap en grande première à Québec, tandis que la première Montréalaise a eu lieu le 29 octobre.

SYNOPSIS

Pierre Leduc est un homme qui n’attend plus rien. En fin de trentaine, professeur de littérature dans une université québécoise, il désespère du monde et de ses étudiants. Solitaire, il se réfugie dans la traduction des oeuvres d’un poète polonais qu’il admire, Edward Stachura, suicidé à 42 ans en 1979. Pierre abandonne l’enseignement et s’enfonce dans une mélancolie de plus en plus profonde, dont il sera tiré par un appel à l’aide de son père, atteint d’un cancer incurable. Son père veut lui léguer sa fortune, gagnée malhonnêtement dans l’immobilier. Pierre refuse, car il ne veut pas de cet argent mal acquis. Son père mourra sans avoir réussi à le convaincre. Peu après, une adolescente frappe à sa porte : c’est Adèle, la fille de Pierre, dont il avait aban­donné la mère lorsqu’elle était enceinte. Pierre nie sa paternité, mais Adèle finira par avoir raison de lui. Au fil des jours, le contact avec la jeune fille redonnera à Pierre le goût de vivre. Mais le passé reviendra le hanter… Fable du bon et du mauvais héritage, le film est une méditation sur l’isolement contemporain et la nécessité de la transmission.

Bernard Émond

Questions pour Bernard Émond (réalisateur et scénariste) : Un film sur l’héritage familial, avec en trame de fond la vie d’un poète polonais qui s’est suicidé? Comment en êtes-vous venus à faire un mélange de tout ça pour en faire un film?

« La genèse de ce scénario est assez complexe. Au départ, je voulais écrire une histoire autour d’un personnage qui se départit de tout. Je suis fasciné par les personnages, qui en littérature, ou dans le cinéma, abandonnent tout. Je suis attiré par ça, parce que je trouve qu’on accorde, dans le monde contemporain, une importance démesurée aux biens matériels. Je trouve qu’il y a une beauté dans le fait de se départir des choses. Bien que je suis non-croyant, j’ai toujours eu une affection profonde pour Saint-François-d’Assise. C’était donc parti pour être une histoire sur un personnage qui est presqu’un Saint, et Dieu sait que le personnage au final dans ce film n’est pas un Saint. Il s’est passé autre chose. La vie contemporaine est arrivée et finalement le personnage principal est très contradictoire. Il refuse une somme importante, car il s’agit de biens mal acquis. Donc, on peut dire qu’il est vertueux. Mais il n’est pas bon. Il a abandonné une femme enceinte. Il est odieux avec son amante. Il ne veut pas voir sa fille. Mais, peu à peu, il va revenir à l’humanité. Il va accepter la responsabilité. Lui qui voulait se couper du monde et se départir de tout, il se rend compte qu’il faut qu’il soit dans le monde. Ainsi, il accepte la maison ancestrale. Il accepte de faire le lien entre ses ancêtres et sa fille. »

Dans le film, on entend et on lit beaucoup de poèmes de ce poète polonais et on a l’impression que les émotions et les sentiments qui ressortent de chaque poème représentent ce que vit le personnage de Patrick (Pierre Leduc). Chaque poème est traduit par Pierre au bon moment on dirait? « J’avoue que j’ai un peu arrangé les choses. (Rires) Dès qu’on m’a fait découvrir ce poète, je me suis rendu compte, à quel point il était proche de l’idée, que je me faisais de mon personnage. Et plus je fouillais et plus j’avançais dans l’écriture de mon scénario, plus je découvrais des poèmes qui s’inséraient dans le film comme s’ils avaient été faits pour ça. Effectivement, dans le film, la poésie est un personnage, elle joue un rôle. On voit les poèmes se traduire, on les entend. C’est un film littéraire, mais c’est un vrai film de cinéma, parce qu’il y a toujours à l’écran quelque chose qui se passe. Moi qui suis un lecteur, j’ai eu envie de faire un film aussi sur la littérature. »

C’est votre troisième film avec Patrick Drolet et il va même jouer dans votre prochain film. Pourquoi lui? « Patrick c’est un acteur pour MOI. Il ne surjoue jamais. Il accepte le travail difficile de ne pas se cacher derrière des tics. C’est un acteur très puissant. Quand un acteur de cette puissance-là accepte de travailler en retenue, ça donne quelque chose de très concentré, de très beau. Il a une présence à l’écran très forte. Aussi, j’aime travailler avec lui, car on partage beaucoup de références littéraires et cinématographiques. »

La musique est de Robert M. Lepage. Quelle était la commande que vous lui aviez passée pour le film?  « Une note au quart d’heure, mais la bonne (rires)… C’est mon cinquième film avec Robert Marcel Lepage. Vous savez, au cinéma, la musique peut imposer une atmosphère, une émotion. C’est tellement facile. Je ne veux pas qu’on manipule le spectateur avec la musique. Je veux que la musique accompagne l’émotion, pas qu’il la crée ou qu’il la provoque. Si on ressent quelque chose devant un film, c’est vraiment à cause de l’histoire, à cause des personnages et la musique accompagne l’histoire et le personnage comme la lumière de Sara Mishara (la directrice photo) accompagne l’histoire. C’est un tout un film. Mon équipe et moi, on travaille dans une espèce de retenue. Et pour moi, ce que cela donne, c’est que ça préserve la liberté du spectateur. Je ne manipule pas le spectateur. Le spectateur doit entrer dans le film. Il doit choisir de l’accueillir. Je n’impose pas de montage rapide, de musique tonitruante, des acteurs qui surjouent. Le spectateur est devant le film et il est libre d’entrer dans le film et c’est vraiment ce que je cherche… Pour moi le cinéma permet une sorte de dépouillement. Le visage d’un comédien sur un écran avec du temps ça crée quelque chose d’extrêmement fort. Par opposé, la télévision est un art qui nie le temps. Tout est comprimé… il n’y a pas de temps. Au cinéma, on peut y mettre du temps. On peut avoir un comédien à qui on laisse du temps. On peut ainsi vraiment ressentir avec lui. On peut y percer les grands mystères humains. Ce que je souhaite c’est que les gens regardent le film avec la même attention qu’ils regardent leur blonde et leurs enfants.  »

De plus, vous avez tourné à Québec, ce qui m’a permis de redécouvrir ma ville. Ce sont des plans qu’on n’est pas habitué de voir au cinéma? « De la même façon que je refuse la musique tonitruante et les effets spéciaux, j’ai voulu montrer le Québec des Québécois. Pas le Québec des touristes. Pas le château Frontenac, même si on le voit un peu quand même, car c’est difficile de l’éviter. Je ne voulais pas montrer la Place Royale, ni les lieux très touristiques. C’est le Québec des quartiers centraux, celui où l’on va faire ses courses, celui où l’on rencontre des amis sur la rue Saint-Jean. Québec c’est une ville à taille humaine. C’est une belle ville.»

Et la chanson qu’on entend en polonais cela vient de qui et qu’est-ce que cela dit?« C’est une chanson de Brassens sur un poème de Louis Aragon. Il n’y a pas d’amour heureux. Et c’est le poète Edward Stachura lui-même qui la chante. Car Stachura était aussi chansonnier. Il a enregistré cette chanson. On entend les vers d’Aragon en polonais à l’exception d’un vers à la toute fin : Il n’y a pas d’amour heureux. »

Willia Ferland-Tanguay

Questions pour Willia Ferland-Tanguay (Adèle) :Comment as-tu obtenu le rôle d’Adèle dans ce film?« Ma sœur avait joué dans le film la Donation et j’étais allée à la première avec elle et Bernard était là. Il m’a demandé si cela m’intéressait un jour de travailler avec lui sur un film. Donc, lors des auditions pour ce rôle d’Adèle, je suis allée auditionner, puis il m’a revu une deuxième fois et il m’a choisi finalement. »

Comment as-tu apprécié cette première expérience de tournage? « C’était parfait. Les gens sur le plateau étaient fantastiques. Je ne pouvais pas rêver mieux. Bernard en plus est une perle. T’as pas le choix d’y faire plaisir. Il ne se fâche jamais, il est calme et il sait ce qu’il veut. Donc, travailler pour Bernard c’est tellement facile.»

Tu ne viens pas de Québec, je pense? «Non, je viens de Sainte-Julie. Et C’est intéressant de tourner à Québec, car on a vu le cachet de la ville, pas seulement un gros plan du château Frontenac. On a vu les petites rues, les plans des escaliers, c’est tellement beau. Et les nuits aussi… Bernard a su donner une belle image de Québec. »

Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi dans cette première expérience au cinéma? « Je dirais peut-être ma première journée. La journée où je suis assise devant la porte de chez mon père. J’ai eu un peu plus de difficulté, car c’était ma première fois. Il me disait de faire certaines choses, mais je n’étais pas tellement sûre de moi. Mais par la suite, ça s’est vraiment bien déroulé et je me suis mise à l’aise le plus possible. »

Et c’est comment de tourner avec Patrick?  « J’ai vraiment aimé ça. On avait une complicité. En dehors des scènes on riait beaucoup. C’était vraiment exceptionnel, surtout que c’était ma première fois et je travaillais avec Patrick Drolet!  J’ai eu une très belle expérience. »

Est-ce que tu veux poursuivre dans ce domaine plus tard? Ou si tu as d’autres options en vue? « Je n’ai aucune idée honnêtement. Depuis que je suis toute petite, je m’intéresse au corps, à la médecine et je m’intéresse aussi beaucoup aux arts, comme le design de costumes. Mais maintenant, avec mon expérience de cinéma, j’ai un petit doute, sur ce que je veux vraiment faire. Donc, je ne sais pas vraiment encore. »

Est-ce difficile de concilier travail et études?« C’est sûr que là, on a tourné vers la fin de l’année scolaire.  Donc, c’était compliqué un peu avec tous les examens. Je devais partir de Sainte-Julie, pour venir à Québec pour tourner et ensuite, on revenait à Sainte-Julie pour faire mes examens, puis je revenais à Québec. Ce fut une grosse période, mais j’ai réussi à réussir (rires). Donc, c’est sûr que s’il y avait d’autres projets qui se présentaient, j’aimerais bien y participer, car j’ai réussi à m’organiser, à passer à travers. Oui j’ai eu quelques difficultés en mathématiques, mais j’ai réussi à faire mes travaux et passer mes examens. J’ai même fait un tournage de nuit et le lendemain j’avais un gros examen, mais je me suis organisé.  »

Patrick Drolet

Questions pour Patrick Drolet (Pierre Leduc) :Dans le film, vous parlez peu et lorsque vous parlez, c’est concis et presque toujours sur un ton neutre (sauf le passage à l’Université où vous vous défoulez un peu près de l’auto). Même quand vous pourriez être enragé, peiné, déçu, on vous entend toujours sur le même ton. Et le plus souvent, vous êtes là, sans parler, face à l’ordinateur, ou à regarder le paysage. Est-ce que c’est plus difficile de jouer ainsi un personnage où tout se passe à l’intérieur?

« Ce serait vous mentir de dire que j’ai sué et que j’ai trouvé cela difficile. Cela a été vraiment facile, parce qu’on a vraiment beaucoup répété, on était bien préparé et on savait ce qu’on faisait. C’est le troisième film que je fais avec Bernard. Je sais ce que Bernard ne veut pas. Il y a alors 40 % du travail de fait et ensuite, pour le 60 % qui reste, on répète avec les autres acteurs. La seule crainte que j’avais c’était avec les séquences où mon personnage est devant l’écran d’ordinateur. Comment on fait pour que cela reste dans le cinéma et que les gens ne sortent pas de la salle, car ça devient lourd? C’est donc Bernard, avec le montage, qui a ficelé tout ça. Sinon, le tournage a vraiment été un charme. On est venu à Québec pendant presque deux mois et on a été imprégné de Québec. Je ne vivais pas à l’hôtel. Je m’étais loué un petit appartement et je marchais pour aller travailler. »

Et le tournage avec la petite Willia s’est bien passé? «Oui cela a été un véritable coup de cœur. Car souvent avec des ados ou des enfants, ils peuvent être bons une fois sur trois pour x raisons. Avec elle, cela a été facile. De toute façon, avec tous le casting, tous les gens, cela a été facile. J’ai rarement ri autant sur un plateau de tournage. C’est comme si tout le monde savait ce qu’il avait à faire et entre les prises, on rigolait. L’Équipe se suivait. Et aussi, c’est bien d’être en location pendant deux mois, ainsi on est tous ensemble pendant tout ce temps-là. »

Et donc, c’était un plus que d’avoir choisi de tourner à Québec? « Oui, mais aussi, c’était important pour Bernard. IL est venu faire beaucoup de repérage, même avant d’écrire le scénario, il voulait faire un film qui se passait à Québec. Et Québec, c’est tellement une ville carte postale. Il y a tellement de monuments importants et malheureusement je ne comprends pas pourquoi on ne fait pas plus de films à Québec. Il y a un très beau film de Jean-Claude Labrecque, Infiniment Québec qui a des prises et des plans qui sont magnifiques. Québec c’est tellement une ville fait pour le cinéma. Il n’y a rien de froid comme Montréal, pas du béton partout. »

Vous le connaissiez ce poète avant?  « Je le connaissais de nom Edward Stachura dans d’autres lectures on mentionnait souvent son nom. Mais c’est sûr qu’en faisant le film, je me suis arrangé pour tout lire ce qui était traduit. C’est un poète qui a été le porte-étendard de la jeunesse polonaise dans les années 70. IL a voyagé énormément. Il a aussi traduit Gaston Miron en polonais. Il a essayé de s’enlever la vie devant un train, mais cela n’a pas fonctionné. Quelques mois plus tard, il s’est pendu dans son appartement à Varsovie. Il y a quelque chose de tellement dramatique alors je n’ai pas eu de difficulté à faire entrer mon personnage de Pierre dans cet univers-là qui est riche. »

Parlez-moi un peu justement du personnage que vous incarnez dans ce film. « C’est un personnage vertueux, par le fait qu’il refuse une somme astronomique d’argent. Mais en même temps c’est quelqu’un qui est plein de contradiction par rapport au legs familial en refusant cette somme-là de son père, et la relation avec sa mère dépressive et malade, qui est à peu près inexistante. Et là, il y a cette jeune fille qui réapparait dans sa vie. Pierre essaie de tout faire pour briser le legs familial et lorsque cette jeune fille arrive, il ne sait pas comment réagir. Et à la fin du film, il lui écrit une lettre en lui expliquant que sa maison est la sienne aussi et l’invite à venir s’y installer. Pierre ce n’est pas un grand communicateur. Ce n’est pas quelqu’un qui utilise le verbe. Il utilise le verbe des autres, comme traducteur, comme professeur. Je trouvais cela bien intéressant comme aspect de jeu. Et surtout, comme il est détestable, comment fait-on pour s’attacher à lui? Il a énormément de défauts et ça me plait bien. Quand ils sont trop propres les personnages, pour moi ils sont plates.» 

Avez-vous d’autres projets en cours? Avec Bernard peut-être à nouveau?« Oui effectivement, je serai dans son prochain film pour l’instant, on attend de savoir si le tout sera subventionné. Je fais un petit rôle dans le film, car Bernard me l’a demandé. Et avec Bernard, je dis toujours oui. Quand Bernard m’a offert ce rôle de Pierre, il m’a demandé de lire le scénario et ensuite de lui dire si je veux embarquer. Et je lui ai dit oui tout de suite, sans avoir lu le scénario, car j’ai cette complicité et cette confiance avec Bernard. N’importe quand. C’est simple avec lui. J’ai aussi tourné un film cet été : Émilie de Guillaume Lonergan qui va voir le jour en 2013. Mais là, je suis beaucoup occupé par la télé cet automne.»

Le film prendra l’affiche le 2 novembre prochain au cinéma.

Bernard Émond, Willia Ferland-Tanguay et Patrick Drolet

Un film écrit et réalisé par Bernard Émond

Produit par Bernadette Payeur

En association avec Marc Daigle

Distribué par les Films Séville

Fiche artistique

Pierre Leduc    Patrick Drolet

Adèle Genest    Willia Ferland-Tanguay

Anne Thibault   Isabelle Vincent

Maître Dutil      Jack Robitaille

Christian Leduc            Gilles Renaud

Nicole Genest   Sara Simard

L’étudiante       Geneviève St-Louis

Krzysztof         Mateusz Grydlik

 

Fiche technique

Scénario, réalisation      Bernard Émond

Productrice                     Bernadette Payeur

Producteur associé       Marc Daigle

Direction photographie  Sara Mishara

Direction artistique        Gaudeline Sauriol

Costumes                       Sophie Lefebvre

Coiffure                        André Duval

Maquillage                      Djina Caron

Monteur                         Louise Côté

Musique                        Robert M. Lepage

Son                                 Marcel Chouinard, Martin Allard et  Stéphane Bergeron

           

Financé avec la collaboration dela SODEC, Téléfilm Canada, des programmes de crédits d’impôt fédéral et provincial, Les Films Séville et l’ACPAV.

Les Films Séville

http://medias.lesfilmsseville.com

 

 

Crédit photos : Roland de Québec