La chauve-souris du Roi de la valse

Gabriel et Rosaline au bal du prince Orlovsky (Marc Hervieux et Caroline Bleau) © Yves Renaud
Gabriel et Rosaline au bal décadent du prince Orlovsky (Marc Hervieux et Caroline Bleau)

Oeuvre composée en 1871 par le Roi de la valse, le Viennois Johann Strauss fils, ayant fait un malheur à son époque, La chauve-souris est une opérette qui, par définition, est un genre mélangeant l’opéra, le théâtre et l’humour, le tout dans la plus grande légèreté. Exit les grands drames historiques ou les tragédies grecques, une opérette n’a d’autres prétentions que nous divertir.

Divisée en trois actes et évoluant dans autant de décors sobres et élégants, La chauve-souris nous rend témoins de la complexe vengeance du notaire Falke envers son ami Gabriel de Westmount qui a mis à mal son orgueil l’an dernier en l’abandonnant au pied du Mont-Royal au terme d’un bal masqué. Déguisé en chauve-souris et sans doute passablement éméché, le pauvre a été la risée des passants. Et ça, il ne l’a toujours pas digéré…

Mais qu’est-ce que Falke peut bien avoir manigancé pour se venger de cet outrage? On s’attend à un peu de suspense, des rebondissements imprévisibles et rigolos et à des situations rocambolesques ou, à tout le moins, loufoques tout en se faisant clouer sur son siège par les voix parmi les plus belles de nos chanteurs d’opéra.. Ça donne l’eau à la bouche tout ça non?
Voilà le problème. J’avais la bouche pleine d’eau et ce qui m’a été servi ne m’a pas rassasiée.

On ne peut rien reprocher à la mise-en-scène, aux jolis décors, au rythme soutenu, à la précision du maestro et encore moins à la beauté de la musique de Strauss fils que l’orchestre a si bien rendue, on peut être reconnaissants d’avoir un écran noir au-dessus de la scène pour lire les paroles chantées (en français et en anglais s’il-vous-plaît!), on peut passer outre les tentatives aussi faciles que maladroites d’actualiser la pièce par l’insertion de blagues à saveur d’actualité québécoise, tentatives que j’ai plutôt perçues comme étant des anachronismes mais je dois quand même vous avouer quelque chose : le ravissement attendu n’a pas été au rendez-vous. Oh, je l’ai aperçu à quelques reprises mais il n’est jamais venu m’envahir comme je l’espérais. Mais je tiens à spécifier que, sans avoir été soulevée par l’oeuvre, j’ai quand même été bien divertie. Après tout, c’est là la mission d’une opérette!

Adèle et Rosaline (Marianne Lambert & Caroline Bleau) © Yves Renaud
Adèle et Rosaline (Marianne Lambert & Caroline Bleau)

La chauve-souris, c’est qui?
Si le ravissement n’était pas au rendez-vous, c’est évidemment que mes attentes étaient nombreuses et élevées. Certaines voix de chanteurs avaient peine à se rendre à nos sièges (nous étions au parterre, en plein centre) et la plupart des situations qui se veulent comiques m’ont parues totalement dépassées. Mais l’expérience est loin d’être désagréable! Malgré une histoire qui nous sert des drôleries usées et qu’on ait tout compris du petit jeu du notaire Falke dès le premier acte, on nous réserve quelques surprises amusantes qui, au temps de Strauss, devaient avoir l’effet d’une bombe. Par exemple, qui est cette Ida qui aura besoin d’une vodka pour s’éclaircir la voix? Et le prince Orlovsky, l’hôte du bal costumé où tous les protagonistes se rendront à l’insu des un et des autres, par qui est-il incarné? Ne faites pas de recherches et réservez-vous plutôt la surprise lors du spectacle!

Falke et Gabriel (Dominique Côté & Marc Hervieux) © Yves Renaud
Falke et Gabriel se réjouissent à l’idée de prendre part au bal décadent chez le prince (Dominique Côté & Marc Hervieux)

Et la distribution, un rêve! Celui qui n’a plus besoin de présentation, le ténor Marc Hervieux qui tient le rôle de Gabriel, sur qui la vengeance de Falke tombera, a offert une belle performance mais somme toute un peu inégale. Sentait-il le poids de cette pièce sur ses épaules? Pour l’avoir entendu chanter plusieurs fois au petit écran, je sais qu’il peut dévoiler plus de prestance et plus de voix qu’à la représentation d’hier. Pour ce qui est de Caroline Bleau, une belle soprano dans le rôle de Rosaline, la femme de Gabrielle, elle charme nos oreilles de sa merveilleuse voix et par sa présence fabuleuse sur scène et est certainement ma découverte de la soirée. Et croyez-moi, je ne suis pas la seule à l’avoir remarquée. Cette chanteuse assurément douée d’une personnalité d’actrice possède littéralement la scène et le public. En 2010, elle a d’ailleurs fait partie de la distribution de Cendrillon de l’Opéra de Montréal, encensée par la critique, et on l’entendra prochainement en récital avec l’Opéra de Novaya de Moscou.

Une invitée, que je devine de marque par l’accueil chaleureux que le public lui a réservé, a fait une apparition pour un numéro à saveur du célèbre Moulin-Rouge parisien. On parle ici de la soprano canadienne Chantale Nurse qui nous est apparue dans un formidable costume de plumes et de paillettes et entourée de danseurs torse nu. Pour vous mesdames!

Je dois également saluer l’étonnante présence du comédien Martin Drainville qui a livré une performance d’une justesse ultra-rafraichissante. On le sent bien, il a l’expérience du théâtre burlesque et a le sens du punch. Est-ce qu’il ira jusqu’à pousser une note ou deux? Encore une fois, je vous laisse le plaisir de le découvrir vous-mêmes…

La chauve-souris, c’est pour qui?
Les amateurs d’opéra ayant envie d’une oeuvre légère
Les amateurs de théâtres d’été
Les spectateurs voulant s’initier facilement à l’univers de l’opéra

Ma note d’appréciation
La note est attribuée par une spectatrice curieuse pour qui cette expérience était une initiation au monde de l’opéra. Si les performances étaient inégales et que l’intrigue de l’histoire m’a laissée plutôt sur ma faim, la délicieuse soprano Caroline Bleau ainsi que la musique de Strauss livrée par l’orchestre valent le détour. Du bon et du moins bon, je chiffre quand même l’expérience à 3/5. Y retournerai-je? Assurément, et à l’opéra s’il-vous-plaît!

Infos
La chauve-souris, opérette de Johann Strauss fils
Dates : 29, 31 janvier et 2 février
Salle : Wilfrid-Pelletier à la Place des Arts de Montréal
Prix : 51$ à 127$, taxes en sus
Lien : Opéra de Montréal – La chauve-souris

Distribution
Gabriel : Marc Hervieux, ténor
Rosaline : Caroline Bleau, soprano
Adèle : Marianne Lambert, soprano
Falke : Dominique Côté, baryton
Frank : Alexandre Sylvestre, baryton-basse
Alfred : Thomas Macleay, ténor
Prince Orlovsky : Emma Parkinson, mezzo-soprano
Frosch / Majordome : Martin Drainville, comédien
Ida : Jonathan Bédard, baryton
Invitée : Chantale Nurse, soprano

© photos: Yves Renaud