À l’automne dernier une nouvelle série de roman a été lancée chez VLB éditeur, avec cinq auteurs, qui écrivent dans cinq styles différents, chacun un roman qui se passe sur un étage en particulier d’un édifice qui se nomme L’Orphéon.
Chaque auteur a la responsabilité d’animer un des étages de cet édifice, tout en créant des points de passage entre les autres étages ainsi que des interactions et connexions entre leurs divers personnages.
Avec Corax de Stéphane Dompierre, le personnage principal est celui de Louis Corax, le propriétaire du bâtiment L’Orphéon et vit au cinquième étage. Odorama de Geneviève Jannelle, le personnage de Laurent est un as concepteur d’odeurs chez Odosenss, laboratoire de marketing olfactif situé au 3e étage. Crématorium circus de Roxanne Bouchard a comme personnage central le propriétaire du crématorium Le Phénix, au quatrième étage de l’Orphéon. Quinze minutes de Patrick Senécal s’intéresse à Johnny Net qui vend des concepts vidéo pour devenir une vedette sur YouTube, dans sa compagnie sise au 1er étage. Tandis que Coïts de Véronique Marcotte a comme personnage principal Collard qui démarre son entreprise d’escorte de luxe dans un bordel qui ouvre de 9h à 17h, au 2e étage de l’Orphéon.
Dans l’espace commun qui revient de livre en livre, on retrouve le dépanneur, qui vend des cafés infects, et l’agent de sécurité, qui sont en fait deux jumeaux qui se relaient, tour à tour, Réjean et Rolland, lui gentil, l’autre plutôt bourru. En plus de cet espace commun, chaque personnage de chaque histoire a le loisir d’interagir avec les personnages des autres histoires, le temps d’un moment, d’une conversation. C’est à mon avis une excellente idée, puisque cela permet au lecteur de créer des liens et d’avoir des repères d’un roman à l’autre et de vraiment avoir l’impression de suivre la vie des gens de cet édifice, un personnage à la fois. C’est génial!
J’en suis rendue à mon quatrième livre lu et ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a pas d’ordre à suivre pour bien comprendre chaque histoire. Ils ont des liens entre eux, mais n’ont pas d’ordre à respecter, puisqu’ils se passent tous en même temps, mais on a un zoom sur un personnage à la fois, par roman.
Dans Crématorium Circus, je fais la découverte d’une auteure que je ne connaissais pas, Roxanne Bouchard. Pour son roman, elle a choisi le style littéraire du roman burlesque. En fait, je n’avais aucune idée de ce qu’était un roman burlesque, mais j’ai rapidement appris que c’est une véritable folie absurde, qui permet à l’auteur de parler de sujets sombres et sérieux, comme l’incinération, la mort, le crématorium et le métier de croque-mort, mais de manière totalement loufoque, insensée et drôlement efficace. Pour Roxanne Bouchard, tous les coups sont permis dans son roman. Que ce soit faire des faux dépliants de promotion pour un crématorium de luxe, ou une pause publicitaire de la part de l’éditeur du roman, ou bien encore interpeller le lecteur et lui demander de choisir entre deux options de suite du roman, pour ensuite réprimander ce même lecteur d’avoir choisi une option plutôt que l’autre. Exemple : « Lecteur, si vous confondez affirmation virile et entêtement malsain, nous ne sommes pas sortis de ce roman.» L’auteur en profite même pour faire de la propagande pour les romans de ses compatriotes à même son livre.
Avec des noms de personnage comme Oscar Bellemare le croque-mort, Monsieur Loyal Ferdinand LaBaffe de LaVignole, le maître d’arène du Cirque Flagada Circus, qui débute ou termine la plupart de ses phrases par «Mesdames, Mesdemoiselles, et Messieurs!» et la copropriétaire du Crématorium, Frugère Lalancette mariée Sigouin devenue DaSiggi, on ne peut que s’imaginer tout le degré de folie et d’originalité que ce roman renferme.
Voici un extrait du livre pour donner un avant-goût du style de lecture :
«C’est que Ferdinand LaBaffe de La Vignoble, élevé jadis par la Dompteuse aux Muscles d’Acier, n’a d’yeux, de mains, de lèvres et d’appétit que pour les solides matrones au fouet tendu. Préadolescent, il avait eu une aventure mémorable avec la Femme Fakir et s’était entiché, quelques années plus tard, d’une acrobate russe qui l’avait abandonné pour faire carrière au lancer du disque olympique… »
Cette histoire rocambolesque m’a plus énormément. Je ne croyais pas que je pourrais un jour rigoler autant d’entendre parler de corps en état de putréfaction, et d’embaumement. En alliant les arts du cirque, avec des descriptions savoureuses des décors, des métiers, des costumes et de l’ambiance du cirque, à l’art de la thanatologie, l’auteure nous déstabilise et si on est ouvert à ses propositions, on peut passer une agréable soirée en sa compagnie et ses personnages plus savoureux les uns que les autres.
Ce que j’ai trouvé de très ingénieux également dans ce livre, c’est de retrouver un passage (Page 130), où DJ Lampion, un personnage secondaire dans ce roman qui rencontre Johnny Net, le personnage principal du livre de Patrick Senécal Quinze Minutes (Page 108), et dans ces deux pages, on retrouve exactement la même scène, avec les mêmes dialogues, mais avec les réflexions d’un des deux personnages à la fois, selon qu’on est dans un livre ou dans l’autre. On a vraiment, à ce moment, une perspective différente de la même scène, dans deux romans différents. C’est hallucinant. J’ai relu les deux passages dans les deux livres et j’ai adoré!!
Dans la même série :
Patrick Senécal, Quinze minutes
Stéphane Dompierre, Corax
Geneviève Jannelle, Odorama.
Véronique Marcotte, Coïts
Professeure de littérature au cégep de Joliette, Roxanne Bouchard a publié Whisky et paraboles chez VLB éditeur (Prix Robert-Cliche 2005 et Grand prix de la relève littéraire Archambault 2007) ainsi que La gifle chez Coups de tête.
19,95 $
200 pages
Édition : VLB éditeur
