L’enfant qui savait parler la langue des chiens, de Joanna Gruda

Joanna-Gruda: L'enfant qui savait parler la langue des chiens © photo: courtoisie
Joanna-Gruda: L’enfant qui savait parler la langue des chiens © photo: courtoisie

Le roman de Joanna Gruda est excellent. Rarement un livre a permis de nous faire vivre au travers du destin authentique d’un seul individu, qui plus est un enfant, des pans entiers de l’histoire troublée et tragique de l’Europe de la première partie du 20ème siècle : Histoire de la Pologne le pays tragique parmi les tragiques, écartelé au cœur de toutes les ambitions impériales et impérialistes, naissance du communisme qui deviendra ce totalitarisme dont même ses plus fidèles partisans et soldats seront les victimes et pas seulement par la main de ses ennemis déclarés, persécutions des juifs, 1ère puis deuxième Guerre Mondiale…Combien de vies, de familles ballottées, transformées, détruites, broyées par la folie des hommes?

L’enfant qui savait parler la langue des chiens aurait pu nous faire vivre ce monde en folie par le pathos. Tous les ingrédients par l’histoire familiale de l’auteure ou plus exactement celle de son père, en sont réunis : Enfant d’un couple juif polonais et communiste, il est, avant même sa naissance, marqué par le poids de l’Histoire : Rencontre improbable entre une jeune fille juive orthodoxe et un jeune juif ouvrier déjà « conscientisé », orphelin de père et de mère élevé par sa sœur ainée, il naît au sens strict du terme « sous l’Œil de Moscou » qui autorise sa venue au monde. Dés lors, cette triple appartenance de juif polonais communiste va décider de son enfance. C’est cette enfance que Joanna Gruda nous conte, celle authentique de son père. Le choix de la forme du roman autobiographique donne son âme à ce récit d’une enfance hors norme. Une enfance faite de départs toujours renouvelés de son pays natal d’abord puis des villes et lieux en France qui l’ont accueilli, de ses parents et familles véritables ou de substitutions, de la perte d’identités successives, et de la langue paternelle réduite à quelques mots encore connus et devenue pour les autres enfants de son pays d’accueil la langue mystérieuse qui ne peut qu’expliquer cette connivence entre l’enfant et les animaux …dont il sait parler la langue. Mais une enfance aussi, qui, contre toutes attentes, compte tenue de la période, est aussi faite des retrouvailles de ceux que le courage et la solidarité, la chance aussi peut-être ont permis de sauver de la guerre, des persécutions, des totalitarismes et des folies meurtrières. L’histoire d’une enfance surtout qui, malgré tout, envers et contre tout, se vit presque normalement parce que la vie est toujours la plus forte : amitiés d’enfants, scolarité, premiers amours, bêtises, espièglerie, insouciance …

Mais bien plus que cette vie déjà extraordinaire dans un temps extraordinaire, ce livre nous permet de (re)vivre, par la force du récit fait avec les yeux d’un enfant , et de leur redonner ainsi leurs lettres de noblesse, des cultures, solidarités que le stalinisme et le pacte germano-soviétique d’un côté ou l’encouragement criminel des occupants soutenus par le régime de Pétain à la délation avaient terni et masqué : Celle du communisme, de ses solidarités, de son soutien aux déshérités et au monde ouvrier, de son action éducative et pas seulement politique auprès des jeunes, de son engagement fort dans la Résistance; celle de ces Français qui au péril de leur vie ont caché, élevés, accueillis dans leurs établissement scolaires, ces réfugiés, ces  persécutés, poursuivis par le nazisme avec la collaboration du  Régime de Vichy.

Dans ce livre les mots sonnent justes, les situations aussi.

Tous ceux qui ont vécu cette période troublée, ou qui ont entendu les récits de leurs parents ou grands-parents se retrouveront dans ce livre. Le passage du professeur qui, à la veille de l’insurrection libératrice de Paris, prévient et convainc de jeunes lycéens exaltés,  par la seule force de quelques mots suggérés, de ne pas perdre la vie pour un geste héroïque mais vain, m’a rappelé ce que mon propre père, enfant du même âge durant la guerre, m’a raconté de ses professeurs antinazi et anti-pétainistes convaincus mais toujours aussi éducateurs attentifs envers ces enfants dont ils se sentaient responsables et en charge de leur sauvegarde face à la folie des adultes, bien delà du seul enseignement d’une matière scolaire.

Tous ceux qui n’ont aucun lien direct avec cette période y découvriront un récit d’une force qui permet de toucher au plus près du vécu, de lui donner une densité, un visage, une âme.

Je ne sais évidement pas si la force narratrice de l’auteure qui a su si bien se couler dans la vie de son père au point que l’on croit lire une véritable autobiographie lui vient de son métier de traductrice, un métier qui vous fait « entrer dans la tête de celui ou celle que l’on traduit ». Mais il est certain qu’elle a écouté avec passion, amour et respect son père pour pénétrer au cœur de son histoire de sa vie et nous autoriser ainsi, en nous la restituant, à la partager.

L’enfant qui savait parler la langue des chiens, est un livre qu’il faut lire. Il n’est pas un récit de plus sur la guerre, la persécution des juifs, avec, qui plus est, l’artifice du regard de l’enfant. Il est parmi ceux d’une grande humanité qui nous font vivre au cœur du parcours d’individus qui participent de l’Histoire et nous la font découvrir, comprendre et finalement, partager.

Nous espérons vivement que ce premier roman de Joanna Gruda  connaîtra une suite,  celle de l’enfant devenu homme face au totalitarisme du bloc de l’Est et qui un jour, après avoir, par respect et fidélité pour son père grand patriote polonais, attendu sa mort, quitte (fuit?) en 1968 la Pologne, et émigre au Canada, au Québec où il arrive par bateau avec une enfant de 2 ans : Joanna Gruda.

 L’Enfant qui savait parler la langue des chiens
Roman
Auteur : Joanna Gruda
Couverture : Richard Morin, Le Boîtier, 2010
264 pages.
ISBN : 978.2-7646-2216-2; dépôt légal 1er  trimestre 2013.
Aussi en format numérique
Prix suggéré : 24,95 $ avant taxes.
Parution 19 février 2013
Avec le soutien de : Patrimoine Canada-Fonds du Livre et Conseil des Arts du Canada; Sodec, Québec
Éditions : Boréal  www.editionsboreal.qc.ca

Rue des Libraires : http://www.ruedeslibraires.com/livres/enfant-qui-savait-parler-langue-des-304512.html/95703aa90b1de703e8675a04c09f94f80c9977fd45ff1390ede17181ea99faddb4beeba124abba46832342e4dd5d66bd590c5f5ecc7db9d35d9f4a922d7b4978/?u=4850

© photo: courtoisie