C’était moins drôle à Valcartier

 

C’était moins drôle à Valcartier

À la fin de leur cinquième secondaire, Benoit et Grégory s’enrôlent dans un stage comme réservistes dans les Forces armées canadiennes, sur un coup de tête, sans penser aux conséquences. « Nous voulions aller contre nos valeurs néo-hippies, nous voulions nous contredire pour les besoins de notre cause, pour nous introduire dans les Forces canadiennes comme des reporters undercover et mieux nous en moquer, depuis l’intérieur, mieux les vaincre, et en sortir, en sortir avec un droit d’opinion, un droit de regard, de jugement inégalé, avec une réelle connaissance, preuves à l’appui, de notre mépris de l’armée. Nous allions devenir réservistes à raison de 275 $ par semaine et nous abandonnerions les armes au terme de l’été, voilà. Nous allions devenir réservistes pour cesser de l’être. Après le camp des recrues, il suffirait de signer le document qui mettrait fin à notre carrière militaire à peine entamée plutôt que le contrat qui nous obligerait à la poursuivre quelques années encore. C’était simple. Autrement dit, les Forces canadiennes nous offraient un genre d’emploi d’été qui nous donnait l’occasion de gaiement suer ensemble avant de commencer le cégep. Comme dans une colonie de vacances, nous serions logés et nourris. Et mieux que dans une colonie de vacances, nous serions payés et les habits seraient fournis… Nous y apprenions la hiérarchie, le salut militaire, à cirer les bottes, à placer correctement le béret sur notre tête, à parader, à crier notre nom de famille suivi des chiffres de notre numéro d’assurance sociale… »  Voilà donc un extrait du début de ce livre qui m’a fort intriguée et je dois dire que ce récit désarmant de Grégory sur cet été passé sur la base militaire de Valcartier m’a totalement captivé et émue. Habitant moi-même dans la région de Québec, et connaissant un ou deux militaires, je me suis bien régalée des anecdotes racontées par ce mésadapté et surtout par ses réflexions sur l’armée, ses confrères recrues, la discipline harassante et souvent humiliante, les caporaux bedonnants, les exercices de tir, le lancer de la grenade, les punitions subis par tous lorsqu’une recrue commet une bévue, bref la vie de tous les jours de ces soldats en devenir. 

Il faut le dire, autant Benoit s’est rapidement adapté à cette nouvelle vie et a même changé son caractère et ses agissements en fonction du milieu militaire, autant Grégory, pour sa part, s’est refermé sur lui-même, préférant cultiver sa hargne contre cette institution et cette bande de soldats dont il a de la difficulté à tolérer la promiscuité. Ainsi, on regarde Grégory se trouver des manières de s’évader de cet endroit malsain pour lui, en rêvant à sa douce Julie-Nathalie, ou en fabulant sur ce qu’il ferait lors de ses sorties du week-end. 

J’avais au préalable lu le roman précédent de Grégory Les modèles de l’amour qui n’avait pas été à la hauteur de mes attentes ou du moins ne correspondait pas à mes goûts littéraire. Cependant, je dois dire que cette fois-ci, C’était moins drôle à Valcartier, comble amplement mes attentes et est, sans hésiter, parmi un des livres que j’ai aimé le plus lire cette année. Il se laisse dévorer rapidement. On s’attache aisément au personnage du narrateur et bien qu’on a parfois envie de le secouer un peu et de le traiter de petit con qui n’ose répliquer, je pense qu’on aime bien le voir se faire torturer intérieurement par cette armée sans scrupule et le voir se la couler douce auprès de Julie-Nathalie. Soit dit en passant, les passages érotiques entre ces deux êtres sont très bien amenés et font un bon contraste avec le reste des réflexions de ce jeune homme. 

Vers la fin du livre, Grégory nous raconte la guerre de trois jours qui est l’aboutissement du camp d’entrainement des recrues, et je dois dire que je me suis royalement bidonné des états d’âme et des pensées de notre narrateur, pendant l’attente interminable de l’attaque imminente. 

Ce qui m’a plu également énormément c’est la façon dont le narrateur nous démontre comment les soldats peuvent être parfois très machos… par exemple : « Remarquons que RECRUE est féminin. Soldat, Caporal, Sergent, Adjudant, Capitaine etc.. sont tous masculins. La recrue, quoique garçon ou homme, est une sorte de fille dans la hiérarchie militaire. La recrue, c’est la fille de l’armée. » C’est succulent… Je n’ai rien d’autre à dire sur ce sujet. Et que dire de comparer « le démontage et le remontage de leur arme FNCI basé sur la métaphore du déshabillage et du rhabillage d’une femme. »  

En plus de bien rigoler et d’en savoir plus sur ce qui se passe dans un camp d’entrainement à Valcartier, j’ai appris des faits forts intéressants, par exemple sur ce drame qui est survenu en juillet 1974, alors que six adolescents ont perdu la vie au camp des cadets. La seule chose qui est restée en suspend pour moi, c’est de connaitre la raison pour laquelle Benoit s’est si rapidement éloigné de son ami Grégory lors de leur entrée dans la réserve. Et honnêtement, j’aurais bien aimé avoir la vision de Benoit dans ce camp d’entrainement, ce qu’il pensait lui, à l’opposé de son confrère. J’imagine qu’aurait eu alors un livre tout à fait différent. 

En résumé, un récit désarmant, crevant d’honnêteté et d’autodérision, un superbe témoignage sur la vie dans l’armée, pendant un été. Avec une plume très fluide et facile à suivre, le seul regret que j’ai c’est que ce livre m’a paru pas tout à fait assez long, j’en aurais pris encore et encore ! 

Grégory Lemay

Grégory Lemay vit à Montréal. Il a fait des études de linguistique, de littérature, de psychologie, d’électronique, de musique… et un stage dans les Forces canadiennes. Il est l’auteur de Moi non plus, du Sourire des animaux et du Roman de l’été. Il signe aussi Les modèles de l’amour et C’était moins drôle à Valcartier est son cinquième roman.

 

 

 

 

Prix :

19.95 $ version papier

13.95$ version électronique

 

158 pages

Éditions Héliotrope

http://www.editionsheliotrope.com

 

http://www.ruedeslibraires.com/livres/etait-moins-drole-valcartier-308612.html/c3550a359d0ae44b81410759e6bdd85b4f612652c23e7bd225751aac1846686040d9a5b0fa958aeaab3994d7cdd92df9898d2ab9f60ef8a390c57b3fb432c4d9/?u=4850