La comédie musicale Cabaret : un plaisir pour tous les sens

Luc Guérin et les danseuses du Kit Kat Klub Photo Marie-Thérèse Privée
Luc Guérin et les danseuses du Kit Kat Klub
Photo Marie-Thérèse Privée

Après nous l’avoir offert en 2004, Denise Filiatrault nous donne une nouvelle mouture de la comédie musicale « Cabaret » avec de nouveaux producteurs et de nouveaux interprètes. C’est un succès écrit par John Kander et Fred Ebb qui date de 1966 sur Broadway et ensuite popularisé par un film en 1972 avec Liza Minnelli. Plusieurs productions ont gagné des prix dont l’original sur Broadway avec 8 Tony Awards.

L’histoire se déroule dans le Berlin d’avant-guerre des années 1930 lorsque les nazis installent le Troisième Reich. Le Kit Kat Klub est un cabaret décadent mené par un maître de cérémonie débauché autant avec ses danseuses que ses danseurs. Une des danseuses, Sally, est le centre d’attention lorsqu’arrive un bel américain, Clifford, fraîchement débarqué en ville. Dans le train qui l’amène, Clifford fait la rencontre de l’allemand Ernst qui lui recommande une maison de chambre, tenue par Fräulein Schneider. Cette dernière tombe amoureuse de Herr Schultz qui est de descendance juive. On devine une idylle entre Clifford et Sally, et les intrigues se corsent lorsque Fräulein Schneider se voit obligé par la montée nazie de mettre un terme à sa relation avec Herr Schultz. Ce qui semblait être une histoire drôle devient alors dramatique et plus sombre vers la fin.

Brigitte Boisjoli en Sally Bowles Photo Sébastien Larrivée
Brigitte Boisjoli en Sally Bowles
Photo Sébastien Larrivée

Les productions Tandem Mu qui nous offrent « Cabaret » ont fait quelques comédies musicales dont le récent « Orange mécanique », « Les filles de Caleb », et bientôt cet automne « Party de bureau ». La production est soignée avec de gros noms et ça porte fruit! La metteure en scène Denise Filiatrault nous offre un résultat impressionnant, divertissant et intelligent. L’ambiance s’installe dès les premières mesures en intégrant un orchestre presqu’entièrement féminin perché sur le décor, comme Dieu qui supervise ses ouailles. L’intégration est parfaite lorsque le joueur de banjo descend et devient un danseur avec les autres. Toutes les musiciennes sont habillées en corset et jarretelles pour s’harmoniser à la pièce, même celui qui est à la batterie comme pour nous tromper sur son sexe (on réalisera seulement à la fin que ce n’est pas une femme). La direction musicale est menée d’une main de maître, discrète mais précise (étant moi-même directeur musical j’ai pu apprécié).

Tous les interprètes sont excellents et campent très bien leurs rôles, mais chacun pour une raison différente. À commencer par Luc Guérin, le maître de cérémonie, dont on n’arrête pas de se surprendre de tous ses talents. Sa première scène avec le public fait tomber le quatrième mur et installe l’interaction. Sa voix juste et dynamique, bien placée, n’a d’égal que son jeu comique, son inhibition, et son sens de la répartie. Comme si ce n’était pas assez, on le confond facilement aux danseurs, comme si son talent premier était la danse. À la fin de chacune de ses scènes on a hâte de le revoir. Pour Brigitte Boisjoli dans le rôle de Sally, sa voix est solide et puissante, et elle réussit plus d’une fois à nous donner des frissons dans le dos lorsqu’elle chante. Sa chanson « Et si cette fois » (version francophone de Maybe This Time) est un petit bijou.  Sa voix est pleine de couleurs et possède toutes les nuances nécessaires au style, un peu nasillarde parfois, comme pour imiter une voix plus Broadway. On aurait souhaité entendre un peu plus sa vraie voix chantée naturelle. Son jeu est bon avec beaucoup de caractères, mais on sent qu’elle n’est pas de même calibre que les autres acteurs qui ont tous une formation professionnelle.

Émily Bégin et Élisabeth Chouvalidzé Photo Sébastien Larrivée
Émily Bégin et Élisabeth Chouvalidzé
Photo Sébastien Larrivée

Mais la découverte de la soirée c’est Éric Paulhus: il nous fait vraiment croire qu’il est Clifford, cet auteur américain qui débarque à Berlin. Il est vrai, attachant, et il est si bon acteur qu’on ne s’attend pas à une aussi belle voix chantée lorsqu’arrive son premier solo. Une voix juste et bien placée avec un beau vibrato, les mots chantés dans sa bouche coulent autant que son jeu. Bien hâte de le revoir dans une autre comédie musicale. Une autre surprise de la soirée est le jeu drôle et crédible d’Émily Bégin, qu’on a connu par sa belle voix dans Star Académie. Elle a une des plus belles voix chantée, malgré une seule chanson solo et de courts passages chantées. Mais ce qui surprend c’est qu’elle joue la comédie aussi bien qu’elle chante.

Parmi les autres interprètes qu’on remarque il y a Élisabeth Chouvalidzé qu’on trouve touchante et attachante en Fräulein Schneider. Son jeu est vraiment exceptionnel. Par contre sa voix chantée est faible même si elle est juste.  Elle parle plus qu’elle ne chante dans ses chansons.  Son vis-à-vis qui joue Herr Schultz, Yvan Benoit, est charmant et vrai. Il possède une voix chantée juste et bien appuyée. C’est lui qui prend le contrôle lors de leurs duos, et c’est tant mieux. Vitali Makarov en Ernst Ludwig est aussi très bon.

Là où la production excelle c’est en danse. Les chorégraphies remplissent la scène de mouvements qui mettent de la vie dans cette histoire. Superbes chorégraphies et aussi bien exécutées par tous. Chantal Dauphinais, la chorégraphe, a fait un magnifique travail pour recréer l’ambiance du Kit Kat Klub, et elle est aussi sur scène pour nous livrer sa performance avec les autres. Les costumes sont tous très beaux et pleins de détails. Par contre les décors sobres et simples ne réussissent pas à rendre justice à certaines scènes, plus spécialement celles du Kit Kat Klub et du train.  Mais les éclairages brillants et colorés qui en mettent plein la vue réussissent à nous impressioner à chaque numéro musical.

Luc Guérin et ses danseuses et l'orchestre en haut Photo Sebastien Larrivée
Luc Guérin et ses danseuses et l’orchestre en haut
Photo Sebastien Larrivée

J’ai dû voir une dizaine de productions différentes de « Cabaret », dont celle sur Broadway. Cette nouvelle production est une des meilleures. C’est un spectacle divertissant mais intelligent, avec des interprètes tous talenteux par leurs jeux et leurs voix, et avec des chorégraphies superbes. Même si l’histoire se termine mal (l’arrivée des Nazis), vous passerez une soirée extrèmement agréable.

Les bons coups: interprètes de grand talent, mise en scène soignée, superbes chorégraphies, orchestre faisant partie de l’histoire, belle traduction francophone

Les moins bons coups: décors trop simples

Mise en scène Denise Filiatrault, traduction francophone Yves Morin, direction musicale Patricia Deslauriers, chorégraphies Chantal Dauphinais.
Avec Brigitte Boisjoli (Sally Bowles), Luc Guérin (Maître de cérémonie), Éric Paulhus (Clifford Bradshaw), Vitali Makarov (Ernst Ludwig) Élisabeth Chouvalidzé (Fraulein Schneider), Émily Bégin (Fraulein Kost), Yvan Benoit (Herr Schultz), Chantal Dauphinais, Shana Troy, Bonnie Jordan, Maud Saint-Germain, Marina Matic, Christian-Emmanuel Vézina, Daniel Delisle, Jean-François Poulin, Benoît Leduc.

Brigitte Boisjoli et les danseuses Photo Marie-Thérèse Privée
Brigitte Boisjoli et les danseuses
Photo Marie-Thérèse Privée

Présenté en français du 20 au 31 mars et du 18 au 21 avril 2013 à la salle Pierre-Mercure à Montréal. Billets sur http://www.admission.com (56$ à 95$)

Aussi présenté du 5 au 13 avril 2013 au Capitole de Québec. Billets sur http://www.billetech.com (67$ à 97$)

En tournée du 26 avril 2013 au 20 février 2014 à Lac-Leamy, Drummondville, Sainte-Thérèse, Saint-Hyacinthe, Brossard et Sherbrooke. Voir http://www.tandem.mu/cabaret/billetterie.php

 

Photos: Marie-Thérèse Privée (la première et dernière) et Sébastien Larrivée (les autres)