Festival de jazz de Montréal : le laboratoire du Professeur Cornett

Karen Young et Norman Cornett
Karen Young et Norman Cornett

La 17ème édition du festival de jazz de Montréal vient de toucher à sa fin. Cette année encore, l’atypique professeur Norman Cornett, ancien de l’Université McGill,  chapeau vissé sur la tête, proposait au public les rencontres dialogiques. Retour sur une expérience hors des sentiers battus.

Comment avez-vous  eu l’idée d’organiser une telle manifestation ?

C’est en voyant le film de Woody Allen, «La rose pourpre du Caire», que m’est venue l’idée de rencontres entre les musiciens et le public. Dans le film, des artistes au début unidimensionnels sur l’écran, le quittent, entrent en scène et parlent avec le public.
En quelques mots, pouvez-vous nous expliquer brièvement ce qu’est la dialogique ?
Ce principe est le sujet de la plupart de mes publications. La dialogique peut se vouloir comme un outil, une grille de lecture, qui permet  d’analyser, d’identifier les ponts qui existent entre le fort intérieur des individus et leur volonté de maîtrise du monde extérieur.

Sur quelles disciplines universitaires s’appuie votre travail et qu’avez-vous découvert lors de vos recherches ?

Sur l’ensemble des sciences, mais sur la psychiatrie en particulier. On peut considérer les travaux du psychiatre britannique Donald Winnicott, quant à la fonction des objets  dits transitionnels dans l’évolution des individus, comme le point de départ de mes recherches. Les seins maternels pour le nourrisson, ou l’ours en peluche sont les exemples  les plus récurrents. De mon côté par analogie, en tant que spécialiste des religions  et anthropologue, j’ai voulu démontrer que l’exercice ou même l’écoute de la musique, et la pratique des arts en général, pouvaient être perçus comme tel : des médiations vers la «conquête» du monde extérieur. D’un point de vue anthropologique et au sens large du terme. Il s’agit donc, de considérer la pratique d’un art comme une véritable quête existentielle, spirituelle même.

Qu’avez-vous découvert lors de vos recherches ?

Nous y avons découvert que consciemment ou inconsciemment, les artistes, via leur pratique musicale, tentent d’explorer la condition humaine et se faisant, de trouver une place dans le monde, au sens large du terme. Il s’agit donc, d’un point de vue anthropologique, de considérer la pratique d’un art comme une véritable quête existentielle, spirituelle.

Que s’est-t-il concrètement passé lors de ses rencontres ?

Karen Young et Norman Cornett
Karen Young et Norman Cornett lors des rencontres dialogiques

Nous voulions donc créer un espace de rencontres, afin de  favoriser un dialogue entre nos invites et le public. Concrètement le principe est le suivant : le public est invité à se bander les yeux pendant l’écoute des œuvres de l’artiste présent et à y réagir de manière immédiate, quasiment  viscérale via l’écriture automatique d’une phrase, d’un paragraphe, ou même tout simplement d’un mot. Ensuite, un échange intervient entre le public et l’artiste. Et là, c’est une véritable plongée dans l’imaginaire de chacun.

«La pratique des arts en général, peut être perçu comme tel : des médiations vers la «conquête» du monde extérieur.»

Pourquoi avoir utilisé le festival de jazz comme laboratoire ?
Laboratoire, c’est vraiment le mot. La musique tient une place prépondérante dans mes recherches scientifiques et dans le cerveau humain. De récents travaux menés par de nombreux neuroscientifiques le prouvent. Par exemple, les individus atteints par la maladie d’Alzheimer oublient plus facilement le nom de leurs proches, leur chemin, si les couverts sont dans  tel ou tel tiroir, etc…les airs de musique, eux, demeurent beaucoup plus ancrés dans les mémoires. Vous imaginez donc à quel point ces propriétés étaient susceptibles de me fournir toujours plus d’éléments pour mes recherches.  

Le but de ces rencontres, outre le fait de récolter de nouveaux outils pour vos recherches scientifiques, était-il également de démystifier le jazz, souvent perçu comme un courant musical élitiste ?
Exactement, en tant que pédagogue, mon travail tend aussi et surtout de savoir comment est-ce qu’on apprend, et ce faisant, comment pourrait-on apprendre mieux. Par exemple, lorsque l’on demande aux gens d’associer un morceau de jazz à une autre œuvre, ils choisissent majoritairement une peinture abstraite. Ce courant musical reste donc mystérieux pour le plus grand nombre. Le philosophe John Locke pensait que l’utilisation de tous  les sens que possèdent  les individus, demeuraient les meilleurs canaux de l’apprentissage. Mon rôle c’est de créer des ponts, des clés de compréhension, par tous les moyens possibles, même les plus originaux.

«Mon rôle c’est de créer des ponts, des clés de compréhension, par tous les moyens possibles, même les plus originaux.»

Les intervenants, Vijay Lyer, Karen Young ou encore Oliver Jones pour ne citer qu’eux ont semble-t-il joué le jeu…
Absolument, comme vous avez pu le constater lors de la rencontre avec Karen Young et l’impact de ses peines sentimentales sur sa musique, les artistes  n’hésitent pas à se livrer, et à divulguer des choses  très personnelles sur eux. Le meilleur moyen de comprendre une démarche de création, ou de faire descendre le jazz de sa tour d’ivoire, c’était de venir parler aux artistes. En tout sincérité.

Justement, quel type de public avez-vous réussit à attirer ?
Pour être honnête, il était très divers, et c’est là l’une de nos grandes satisfactions.

Quels sont vos futurs projets ? Vos supports d’études ne concernent pas que la musique ?
En effet, j’ai déjà abordé la dialogique à travers le théâtre, et le  cinéma. Dans ce domaine, j’ai collaboré avec l’acteur Ethan Hawke pour ne citer que lui, et je prépare également un projet avec un autre acteur hollywoodien, mais je ne peux pas vous en dire plus (sourires).

 

http://haveyouexperienced.wordpress.com/

Photos : Jonathan Le Borgne