Espace Libre pour Dominion : Sébastien Dodge refait en train le Far West canadien

Dominion
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Installé à bord du Canadian Pacific, en plein cœur du XIXe siècle, Sir John Alexander Macdonald, premier Premier Ministre du Canada, part à la conquête de l’Ouest canadien.
Armé de ses fidèles Colt Pacificateur, John A. entend fonder la Confédération canadienne dans le sang, « un peu comme les Américains. »
Mais le Protestant est en retard de plusieurs siècles ; les hordes d’Indiens ont toutes été déjà décimées.
Qu’à cela ne tienne, le scandaleux Pacifique, alcoolique sans scrupule dont le rêve capitaliste de droit divin s’étend « de la mer à la mer et de la rivière aux extrémités de la terre », va entraîner sur le rail de la désolation la conscience Colt en main de son allié politique George-Etienne Cartier, homme d’Etat catholique dont le rêve d’une nation fondée sur la fraternité va se salir les mains, irrémédiablement damné.

En parallèle, un pionnier, resté assis tout l’été sans avoir travaillé, se lève soudain pour répondre à l’appel de la forêt et s’en va y vivre libre, au pied des « gigantesques… », avant que tous les lacs par les castors ne soient pollués et avant d’être par les loups retrouvé.
Restée seule à la maison, sa femme se met à raconter, amère, la corruption aux racines d’un Canada dont le capitalisme de destruction fait aujourd’hui encore danser ses esclaves sur un air de violon.

Se lève Sir Wilfrid Laurier, septième Premier Ministre canadien, investi d’un pouvoir presque surnaturel et prêt, derrière ses discours maternels, à étrangler la nation.

Une fleur, un espoir, poussera finalement, passé le « fantasme final » de l’explosion de péril rouge sang.

Félix Beaulieu-Duchesneau, Mathieu Gosselin
Félix Beaulieu-Duchesneau, Mathieu Gosselin

« Pastiche historique », Dominion prend naturellement sa place par ses thématiques dans la suite de pièces élaborées par Sébastien Dodge, à qui l’on doit Suprême Deluxe, La Genèse de la Rage et La Guerre.

S’étant plongé dans les livres d’histoire canadiens, le cofondateur et directeur technique du Théâtre de la Pacotille y a redécouvert la difficile colonisation, la collusion au sein de la Nouvelle-France, les conflits entre anglophones et francophones et finalement l’espoir du chemin de fer comme trait d’union entre les peuples fondateurs, mais dans les faits vendu dès l’idée par la corruption ; et surtout, en filigrane, la naissance d’une nation.

Dominion donne ainsi la parole à des personnages d’hier dans l’optique de parvenir par un train détourné à la situation du Canada contemporain. Une parole politique, une « prise de position franche » qui s’inscrit parfaitement dans la thématique de la saison 2013-2014 du Théâtre Espace Libre : Que sommes-nous devenus ?

Par la forme à la croisée du film There Will be Blood et du style épique de Quentin Tarantino, la pièce de Sébastien Dodge est traitée comme un western spaghetti agrémenté d’éléments du folklore canadien.

Sur les planches de soixante pieds de long, d’Est en Ouest se succèdent une estrade officielle estampillée « Cette scène se passe évidemment en anglais. », sur laquelle Sir John Alexander Macdonald et Sir George-Etienne Cartier partent en chasse de l’affaire du siècle et de territoires à « nettoyer », une rocking chair retournée entre les bras de laquelle attend son heure Sir Wilfrid Laurier et une cabane de trappeur habitée par une femme et son pionnier, celui-ci partant crapahuter entre les rondins de bois qui courent d’un bout à l’autre de la scène et font office de forêt, laquelle fait écho aux Rocheuses qui s’étirent en toile de fond.

Patrice Dubois, Myriam Fournier
Patrice Dubois, Myriam Fournier

Du côté de la distribution, Sébastien Dodge s’est entouré de « camarades proches », des compagnons de route de longue date qui portent à merveille les costumes d’époque.
A commencer par Félix Beaulieu-Duchesneau, qui interprète avec verve un John A. enivré par la soif d’alcool fort et de conquête à coups de pistolet.
A ses côtés, Mathieu Gosselin incarne un George dont la conscience catholique et la « sagesse britannique » feront, ne feront pas front commun avec ses frustrations de petit chef d’une francophonie dépeuplée.
De son perchoir, Miro Lacasse prend les traits d’un diable élégant, tour à tour charmeur et inquiétant.
Dans la peau du pionnier, Patrice Dubois campe un personnage simple, brut et attendrissant comme une bête au creux des bois, à son soleil couchant.
Quant à Myriam Fournier, sa bouche tordue et ses yeux exorbités reflètent la face du rêve canadien trompé par le capitalisme « enfant de chien. »

Sébastien Dodge remporte son pari en remettant l’histoire en mémoire par l’intermédiaire d’une pièce à l’atmosphère empruntant tant à l’humour qu’au Far West afin de, en se concentrant sur la corruption tapie dans les fondements mêmes de la Confédération canadienne, faire écho par les faits aux affaires d’aujourd’hui…et de demain.

Le train ne s’est pas arrêté, le rail n’a pas encore cicatrisé qu’il continue à toute vitesse droit devant, sans se retourner, vers l’avenir levant.
Qu’allons-nous devenir, nous les Français-Canadiens ?

Pour apporter du discernement à notre réponse, la compagnie du Théâtre de la Pacotille nous invite à descendre à l’arrêt Dominion, sur la ligne du Théâtre Espace Libre, d’ici au 28 septembre prochain.

Production : Théâtre de la Pacotille
Texte et mise en scène : Sébastien Dodge
Conception : Olivier Proulx, Anne-Marie Rodrigue-Lecours, Pierre-Marc Beaudoin, Anne-Marie Levasseur, Julie-Ange Breton, Julie Breton

Distribution : Félix Beaulieu-Duchesneau, Patrice Dubois, Myriam Fournier, Mathieu Gosselin, Miro Lacasse

Crédits photographiques : Marie-Claude Hamel