En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas : Steve Gagnon réécrit l’amour entre Britannicus et Néron

En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s'arrête pas
En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas

« L’amour sauvera le monde. »

Autour de la table d’une maison en ruine, la mère Agrippine, les frères Néron et Britannicus accompagnés de leurs femmes respectives Octavie et Junie se retrouvent un soir pour trinquer.
C’est à cette occasion, triviale en apparence, que les caractères des uns et des autres vont éclater, avec leurs intérêts particuliers.

Monstre domestique, Agrippine est une mère épuisée de lutter tour à tour pour et contre sa raison d’être, les hommes qu’elle a enfantés, desquels elle écarte -de peur- le dehors pour mieux les retenir en son sein, prisonniers.
Au point de confier son sort à son fils premier né.

A la fois feu et froid, Néron se prend de vertiges pour le tout et le rien, petit enfant face à l’infiniment…se rassurant en devenant par dépit le sang sublime par-delà le beau et l’entre-deux du quotidien.
Au point de tout perdre en détruisant trop loin.

Beau, Britannicus fait l’amour à sa femme sans trop s’en faire et maintient sa confiance dans la sincérité d’un vin en verres, se tenant pourtant seul pour confronter son frère qui tue les temps heureux de leur enfance ensemble en prenant son bain.
Au point de remettre son départ au lendemain.

« Centre de l’univers », Octavie se tient debout alors qu’autour tout tombe par terre, si forte à serrer ses mains autour des cous menaçants pour que survive la civilisation de l’amour, à tout prix.
Au point de faire crever la mère de son mari.

Marie-Josée Bastien, Marie Soleil Dion, Guillaume Perreault, Renaud Lacelle-Bourdon, Claudiane Ruelland
Marie-Josée Bastien, Marie Soleil Dion, Guillaume Perreault, Renaud Lacelle-Bourdon, Claudiane Ruelland

De cute et superficielle, Junie se fait sacrificielle afin d’apprendre à sa famille adoptive à partir aujourd’hui pour tout voir de ce qu’il y a après la peur qui fait qu’en haut comme en bas, tout avenir est détruit.
Au point de s’enterrer dans la cendre d’une nuit.

Ca commence par un couple, ça se termine par un couple, et entretemps, les personnages passent de l’un à l’autre, s’alliant, s’isolant, en même temps seuls et pleins de celles et ceux les entourant.

Véritable « carte des relations », En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas est une tragédie qui prend Racine dans le Britannicus du dramaturge français du XVIIe siècle et en transpose la passion à notre époque et sur le sol Québécois, tout en conservant la portée antique des noms.

Agrippine, Néron, Britannicus, Octavie et Néron vivent ainsi en banlieue de Montréal dans un bungalow, attrapent le dernier 125 sur Ontario, travaillent à la caisse d’un Tim Hortons et regardent des films d’animation sur leurs smartphones.

Auteur, metteur en scène, comédien et codirecteur artistique de la compagnie Jésus, Shakespeare et Caroline, Steve Gagnon se sert de cette modernité pour éviter un certain « maniérisme » dans lequel l’interprétation des mots raciniens pourrait tomber, et ainsi nous raconter des traits d’humanité contemporains qui n’ont néanmoins pas pris une ride malgré quatre siècles passés.

A travers la mise en avant de la langue québécoise dans toute sa « sensualité », les personnages d’En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas prennent la parole en notre nom pour nourrir à travers leur vérace vulnérabilité notre terreur et notre pitié.

Renaud Lacelle-Bourdon, Guillaume Perreault
Renaud Lacelle-Bourdon, Guillaume Perreault

Marie-Josée Bastien, Renaud Lacelle-Bourdon, Guillaume Perreault, Claudiane Ruelland et Marie Soleil Dion se tiennent sur un fil très fin sans tomber ni dans les boursouflures de la solennité ni dans l’insignifiance de la banalité et parviennent ainsi à avancer avec sentiments et talent dans l’espace de grâce situé entre l’attitude de la tragédie et le langage d’aujourd’hui.

Les décombres répandus partout sur scène rappellent quant à eux l’harmonie de carton qui règne dans la maison, laquelle partira en fumée une fois le rideau tombé et la vérité des relations filiales vues du dehors -à travers l’irruption d’yeux étrangers- dévoilées.

« Corps vibrant », En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas nous prend tout entier et nous emporte, arc tendu et percutant, mais aussi drôle et tendre par moments, sur le terrain de l’âme humaine et de ses mots mis en situation en vue de nous amener à sortir de nos maisons-prisons et de la molle tiédeur de nos salons.

Ce qui est immense et qui ne s’arrête pas reste tout entier à trouver d’ici au 9 novembre dans l’enceinte de la salle souterraine du Théâtre La Licorne.

Distribution : Marie-Josée Bastien, Renaud Lacelle-Bourdon, Guillaume Perreault, Claudiane Ruelland, Marie Soleil Dion

Production : La Manufacture
Texte et mise en scène : Steve Gagnon
Assistance à la mise en scène : Olivier Gaudet-Savard
Décor et accessoires : Marie-Renée Bourget-Harvey
Eclairage : Caroline Ross
Costumes : Jennifer Tremblay
Musique originale : Uberko

Crédits photographiques : Suzane O’Neill