Théâtre d’un combat – Femme non-rééducable / Anna P. à Premier Acte

 

Crédits photo : Gabriel Talbot-Lachance
Crédits photo : Gabriel Talbot-Lachance

Femme non-rééducable, c’est un collage de notes, de textes et de correspondances de la journaliste russe Anna Politkovskaïa. Se basant sur le texte original de l’Italien Stefano Massini, Olivier Lépine et son équipe y ont ajouté des morceaux pour en faire une œuvre de près de deux heures. La pièce relate des événements s’étant déroulés dans les années 1990 et 2000, mais qui sont d’une effroyable actualité.

On entre dans la salle. Le public est face à face, comme dans un échange, un duel. Six comédiens font leur entrée, les uns après les autres et s’assoient en gardant des visages impassibles. Puis commence un monologue, celui d’Anna Politkovskaïa, journaliste russe. Ayant couvert la guerre de Tchétchénie ainsi que les atrocités commises tant par le camp Russe que Tchétchène, Anna a été assassinée le 7 octobre 2006. Jour d’anniversaire de Vladimir Poutine. Ainsi, à l’autre bout de la scène, face aux comédiens, un gâteau d’anniversaire, sur une table, sur lequel brillent des bougies.

Et on sait qu’on aura affaire à un théâtre de contrastes.

Car tout au long de la pièce, on passe du drame à l’ironie au fil des nombreuses scènes et tableaux. Viols, massacres et têtes exhibées en signe de trophée côtoient le quotidien d’un peuple, le quotidien d’hommes d’états, le quotidien d’une femme en quête de justice. Mais aussi, le quotidien de cette journaliste à Grozny, le récit de son empoisonnement, de son emprisonnement, le témoignage de son assassinat… Le récit d’une prise de parole.

Et malgré la dureté du sujet, l’ironie trouve dans cette pièce une place bien particulière, la mort même d’Anna étant ironique. Il était donc de mise que l’on nous fasse prendre conscience que malgré toute l’horreur de la chose, on n’y voit pratiquement rien. Ainsi, une scène reconstitue un film russe se proclamant véridique et pourtant à forte saveur de soap américain, caricaturant totalement le camp tchétchène. Une autre crée un quiz interactif avec le public : « Connais-tu bien ton Vladimir ? », où des questions sur sa taille et son âge font un clin d’œil humoristique, mais surtout grinçant, à l’Occident désireux de garder les yeux fermés sur la réelle situation en Russie.

Ce texte brûlant de vérités sur la guerre de Tchétchénie, de mémoires, d’oublis aussi, est donc intégré à une scénographie plus que présente. Les nombreux décors et accessoires se succèdent toutefois à un rythme qui n’est pas toujours fluide, et on en vient à se perdre dans les voix pas assez fortes et distinctes de la musique et des effets ambiants. Dommage, parce que le texte gagnerait davantage à être assimilé, compris, mijoté, plutôt qu’introduit trop brusquement dans une surcharge de décors, d’effets, de sons et d’accessoires.

Reste que le texte a été exploité avec créativité : projection de vidéos, marre d’eau puis de sang, peinture, affiches, photocopieuse, télévisions, tous là pour illustrer des textes, nous faire vivre le texte et l’ambiance qui s’y dégage. La caméra se glisse même jusqu’à l’extérieur de la salle, où on suit Anna dans la cage d’escalier, lieu de son meurtre, ou encore dans la voiture, lieu d’une rencontre charnière pour la journaliste.

Qu’importe: qu’on entre ou pas dans le casse-tête, les six comédiens le conduisent brillamment, prêtant tantôt leur voix à Anna, tantôt à des soldats tchétchènes ou russes, tantôt à leur propre rôle. La présence de Xenia Chernyshova ajoute également une touche particulière à la distribution : cette comédienne ukrainienne s’exprime plusieurs fois en Russe, ses compagnons la traduisant. Empruntant alors les mots véritables d’Anna, on s’y sent vraiment.

« La liberté d’expression n’est pas un luxe, c’est l’oxygène de la démocratie », disait Eric Bergkault, réalisateur d’un film sur Anna. En effet, celle-ci faisait de la liberté d’expression son oxygène, risquait sa vie au nom de la vérité. Elle ne prenait pas parti, elle ne choisissait pas son camp. Elle défendait les droits de l’Homme, tout simplement.

Mais, ce qu’il faut garder en tête, c’est qu’entre ironie et drame, entre mémoire et oubli,  cette pièce est, avant tout, une histoire vraie.

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Femme non-rééducable / Anna P. sera présenté à Premier Acte jusqu’au 29 mars. On peut se procurer les billets via le réseau Billetech ou par téléphone au 418-643-8131.