Au début, il y a le néant. Le noir. Peu à peu, la lumière, plutôt accidentelle et hésitante, investit l’espace vaguement poussiéreux et vide, pour finir par nous révéler quatre individus égarés, assis par terre, abandonnés à eux-mêmes et à d’étranges appareils qui transposent leur pensée matérialisée en mots sur le mur du fond.
Ainsi commence Germinal, issu de l’imagination d’Antoine Defoort et Halory Goerger, accompagnés sur la scène de Beatriz Setién et d’Arnaud Boulogne. Le quartet doit inventer tout, mais pas forcément dans le sens matériel – il trouve les outils nécessaires au bon moment et au bon endroit, même si parfois un effort, et pas moindre, est nécessaire. Ce qu’il faut aux quatre bâtisseurs du monde, c’est apprendre à être ensemble, à communiquer. Tout devient plus simple quand la voix se fait entendre, rendu possible et amplifiée par un micro dégagé à coups de pioche du dessous de la scène.
Plus simple?
Les mots et les concepts pour nommer la réalité surgissent l’un après l’autre et bientôt, les deux panneaux, sur lesquels ils s’affichaient, ne suffisent plus. Mais pourquoi se limiter à deux panneaux? Le mur entier est là pour accueillir ce qui jaillit de la pensée des protagonistes. Et soudain, ces êtres, émerveillés par les possibilités et la richesse qui découvrent de leurs vies, se retrouvent submergés, angoissés par l’abondance de tout ce qu’ils vivent et ce qu’ils veulent nommer.
Cette complexité demande une catégorisation pour avoir ses repères, pour pouvoir éviter le chaos, mais cette catégorisation n’est pas aisée. Quel critère choisir? Au départ, tout semble clair : il y a des choses qui font « pocpoc » quand on les touche, comme les gravats, et il y a des choses, ou plutôt des phénomènes, qui ne font « pas pocpoc », comme la lumière. Mais voilà : il y a encore des choses qui font frr frr, comme les rideaux. Et tout se complique…
…et tout s’accélère.
La découverte d’un manuel de construction du monde sous forme d’ordinateur bouleverse tout. Combien de possibilités se cachent dans ce petit appareil! Combien de mondes peuvent être construits à partir des choix qui nous appartiennent!
On aura compris : les auteurs jouent avec des mots, des concepts, font quelques entorses aux règles et au bon sens bien consciemment, prennent des libertés, des raccourcis insoupçonnés, hilarants, pour le plus grand bonheur du spectateur.
Et pourtant, aussi légère et loufoque que la pièce puisse paraître, elle est profondément philosophique, humaniste et humaine.
Germinal est, en fait, une allégorie de l’évolution de l’humain, transformé par des découvertes faites au hasard de possibilités, transformant à son tour ce monde qui l’entoure et qui devient de plus en plus complexe. Les protagonistes sont touchants dans leur naïveté, mais surtout dans leurs efforts de traverser des moments difficiles, admirables et admirés dans leur peur devant la finitude des choses, de leur vie, de la vie. Peur qu’ils surmontent en se remémorant, dans un « truc bien », une chanson, tous les mots qui ont façonné leur long chemin depuis le vide noir vers ce bonheur d’être ensemble.
C’est l’idée d’être ensemble, de faire ensemble un spectacle, qui a été à l’origine de cette pièce au croisement du théâtre, de l’improvisation et de la performance. Par ailleurs, aucun des artistes n’a suivi des cours de théâtre. Les deux auteurs ont une formation en arts plastiques, Arnaud Boulogne est musicien et Beatriz Setién, danseuse. Voilà donc trois hommes et une femme qui construisent une présentation sur la scène racontant au spectateur la construction du monde.
Le résultat est convaincant et le public, conquis et enchanté, a réservé une ovation debout aux protagonistes de ce spectacle hors commun.
Germinal
Conception et mise en scène : Antoine Defoort et Halory Goerger. Une production de L’Amicale de production. Avec Arnaud Boulogne, Beatriz Setién, Antoine Defoort et Halory Goerger.
Au Théâtre de la Bordée (Carrefour international de théâtre), du 4 au 6 juin.
© photos : courtoisie
