La peinture est le plus complet des arts. C’est par elle que celui qui sait le faire peut exprimer l’ensemble de ses émotions, de ses sentiments qui l’habitent, en cherchant au plus profond de soi, à son inconscient le plus enfoui.
Yves Ayotte
Cette année, le symposium Visit’Arts est allé chercher son président d’honneur dans un petit village de Saint-Sauveur-des-Monts, à l’écart de grands centres d’arts visuels. Y vit et peint Yves Ayotte, artiste autodidacte qui avait déserté, dès ses débuts artistiques, l’enseignement universitaire en arts visuels afin de préserver et développer sa liberté, sa façon d’envisager le monde qui nous entoure et sa façon de créer. Travaillant d’abord aux pinceaux, depuis 1978, passé depuis une dizaine d’année à la spatule, celui qui exerce son art par besoin de s’exprimer, de se trouver et de se retrouver dans le monde dont les repères ont été perdues avec l’accident d’avion qu’il pilotait en 2003, vit maintenant pleinement sa passion, après avoir fait de la peinture son passe-temps favori pendant 25 ans.
Pour Yves Ayotte, le processus de création d’un tableau est avant tout la recherche de soi, le soi le plus profond, l’exploration de l’inconscient qu’on découvre en créant, l’expression de ce qui habite l’artiste au moment de la création mais aussi de ce qui résulte du chemin parcouru. Rien n’est oublié dans ce subconscient qui fait parfois en sorte que l’artiste soit en désaccord avec son propre œuvre, qu’il ne le comprenne pas. Et qu’il veuille, lors de périodes sombres, détruire ce qu’il a fait, car il se sent incompris, abandonné, incapable de communiquer aux autres ce qui ressent. Mais heureusement, les mots sages et prévoyants d’une mère aimante et persuadée de la beauté de ce qu’elle voit ont le pouvoir d’atténuer les doutes : il y a toujours quelqu’un qui comprend, qui comprendra le message d’un tableau, il faut seulement être patient et attendre que cette personne se présente, tôt ou plus tard, et qu’elle vienne chercher « son » tableau. Et parfois, cela peut être l’artiste lui-même qui ne veut plus se séparer de ce qu’il a créé, par l’attachement sentimental, par la force du témoignage de son parcours artistique ou humain, par la compréhension, subite, du message que son tableau, puisé dans les profondeurs de son être, lui envoie.
Les tableaux d’Yves Ayotte sont à l’image de l’artiste : à la fois discrets et flamboyants. Discrets par leurs sujets intimistes : maisons de campagne, sous-bois, église, voiliers se balançant doucement sur la mer. Les titres que le peintre a choisis à ses œuvres sont tout aussi doux : Paisible ancestral…, Douceur d’un sous-bois, Souvenir d’enfance, Enfin chez soi… Mais viennent les couleurs, vives, déchirantes, parfois – souvent – violentes même, qui altèrent cette paix apparente et trahissent des sentiments plus tourmentés. La technique de l’huile sur toile et de la spatule, dont les traits bruts et décidés structurent la peinture, aussi.
Ainsi, Enfin chez soi capte le moment d’aboutissement d’un chemin sinueux, orageux, dont les souvenirs ne se sont pas encore dissipés pour deux personnages dépouillés à l’entrée d’un chez soi meilleur. Derrière les nuages menaçants d’un bleu acier lourd toujours présents et couvrant un tiers de la toile, l’espoir jaillit cependant, représenté par des traits, même s’ils sont rares, de jaune et de blanc.
Les couleurs deviennent plus tamisées là où une certaine nostalgie s’installe. Dans Douceur d’un sous-bois, le rouge des feuilles dans les arbres est adouci et les tons chauds jaunes et bruns apportent un apaisement enveloppant. L’ensemble est sublimé par une lumière cristalline, venant du sous-bois et ajoutant peu à peu, presque imperceptiblement, un voile subtil dans le feuillage.
La lumière devient éclatante dans les tableaux avec la thématique nautique. Les voiliers, symboles de liberté de A Dieu Vat – l’ancienne expression marine qui, d’ailleurs, est interprétée par d’aucuns comme apparentée à « adieux, va » – baignent dans le jaune et le blanc de leurs voiles, à peine interrompus par le noir des mâts, le rouge et le brun des coques, et le bleu apportant la perspective et la profondeur de l’espace. Les contours s’estompent, les frontières ne sont pas définies entre la mer et le ciel, les voiles s’enchevêtrent, on devine un personnage… et on se sent submergé par cette blancheur porteuse d’un désir de libération envoûtant.
La lumière… En exprimant la lumière ambiante, l’artiste reste toutefois fidèle à lui-même. Car la lumière est surtout et avant tout intérieure. C’est encore une fois en soi-même qu’il faut puiser pour exprimer ce qui paraît, sur le tableau achevé, comme une lumière venant de l’extérieur. Pour Yves Ayotte, le maître de la lumière intérieure est incontestablement Rembrandt van Rijn. Ses portraits, aussi austères et ténébreux soient-ils, sont l’exemple de la maîtrise ultime de l’expression, par la peinture, de la lumière intérieure qui habite chaque être humain.
L’artiste poursuit patiemment sa quête de la lumière intérieure. En lui-même, mais aussi chez les autres. Il n’a pas peur de manquer d’inspiration, de souffrir du syndrome de la toile blanche. Son imagination est pleine d’idées qui n’attendent que d’être exprimées, sans être toutefois des projets fixes. Il est plutôt inquiet de ne pas avoir suffisamment de temps pour exprimer tout ce qui l’habite. Car Yves Ayotte devant son chevalet, c’est un peintre qui ne sait pas où son art et son subconscient vont l’emmener sur le chemin de création. Et tout reste encore à dire, à exprimer…
Mais une chose est sûre : la lumière intérieure sera toujours présente dans sa peinture. Il suffit, à un spectateur attentionné, de s’attarder devant un tableau, de rester immobile et de se laisser imprégner de l’atmosphère, tantôt inquiétante, tantôt apaisante, de ses œuvres. C’est seulement après qu’il peut entrer, à pas feutrés, dans le monde, ô combien riche et profond, des tableaux d’Yves Ayotte.
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© photos : Courtoisie
Portrait Yves Ayotte : Venceslava Jarotkova
