Les gens du Sud n’aiment pas la pluie, le roman tendre et bouleversant de Patricia Portella Bricka

Patricia Portella Bricka Les gens du Sud n'aiment pas la pluie © photo : courtoisie
Patricia Portella Bricka Les gens du Sud n’aiment pas la pluie © photo : courtoisie

Vingt ans après le décès de sa grand-mère Patricia Portella Bricka nous transmet, tel un passeur, par son roman Les gens du Sud n’aiment pas la pluie, le récit sa vie. Un besoin impérieux, « … Parce que durant vingt ans, j’ai écrit… sans m’interroger sur le but de mon écriture. J’écrivais, persuadée simplement qu’il m’était impossible de faire autrement. Et puis est venu le moment où j’ai cru que ces mots que je mettais sur le papier n’étaient que des appâts que je lançais à l’aveuglette, à la recherche d’une essence que je ne pouvais ni nommer ni encore moins définir. Au bout du compte, j’ai compris que je m’étais leurrée, que je n’écrivais pas pour atteindre un but. J’écrivais pour maîtriser les mots comme un bâtisseur construit des cabanes pour maîtriser le marteau avec lequel il bâtira plus tard sa cathédrale. Ce livre qui te ramène à la vie distille en moi ta joie de vivre, à travers mes mots qui crient tes maux, ceux que tu écartais si soigneusement pour continuer à avancer sur un chemin que l’Histoire t’avait tracé… »

Carmen, appelée affectueusement Abuela, est morte à 95 ans à Marseille en France dans sa terre d’exil. Étrange revanche sur la vie que cette longévité pour cette femme, une survivante, dont l’existence fut celle des ruptures, douleurs et misères au rythme des soubresauts de l’Histoire de ce 20ème siècle. Car Abuela (grand-mère en espagnol), de son nom de naissance Carmen De La Hapa Lopez, s’est trouvée au cœur des tumultes de la grande Histoire, et toujours du côté des perdants : Des perdants d’un monde socio-économique qui n’a pas encore accepté la protection sociale; des perdants des luttes politiques qui vont bouleverser les pays européens puis leurs colonies; des perdants des relations amoureuses dans cet univers de violence. Pourtant, à sa naissance, tout semblait sourire à cette enfant née dans l’aristocratie andalouse, le bon coté, celui où l’on mange à sa faim, celui où l’enfance peut être une insouciance, même si déjà la sourde malédiction incarnée par les accidents domestiques qui lui enlèvent la quasi-totalité de ses frères et sœurs, rode. Mais du jour au lendemain on peut traverser la frontière pas si étanche que cela qui vous sépare de la misère. Une misère dont on ne se relève pas et qui va vous poursuive implacablement tant et aussi longtemps que l’Histoire imprimera sur vos vies sa force tragique et destructrice.

Chassée avec ses parents et sa sœur de leurs terres et de la demeure familiale par une parenté sans scrupules, Carmen se retrouve, à peine sortie de l’enfance, «placée », seule, séparée du reste de sa famille. Elle est immédiatement plongée à l’envers du décor de l’Espagne du début du 20ème siècle. Ballottée de place en place, elle découvre alors la dureté du monde des domestiques mais aussi les solidarités dans la misère. Ces solidarités qui permettent de survivre, de sourire même, envers et contre tout et qui l’accompagneront et la sauveront tout au long de sa vie quand le tragique pourrait prendre le dessus. Car du tragique, la vie de Carmen en à revendre : La faim et son cortège d’humiliations pour nourrir sa famille; la perte des êtres chers, parents, frères et sœurs, enfants, tous ceux qui ont perdu la lutte contre l’adversité; l’époux, compagnon de l’infortune, parfois protecteur mais trop souvent violent et infidèle et aussi prompt à la révolte à une époque où l’on fait payer cher aux ouvriers le rêve d’une vie meilleure; les guerres, Guerre d’Espagne, Guerre d’Algérie avec, toujours, au final, la route de l’exil. Un exil qui vous laisse la vie sauve mais qui vous a tout pris et où il faut tout reconstruire.

Mais n’essayez pas d’assouvir dans Les gens du Sud n’aiment pas la pluie un quelconque pathos voyeuriste sous couvert de réalisme, de celui que l’on recherche dans les faits divers. Parce que le livre est à l’image de la vie d’Abuela faite de l’instinct de survie, de résilience, de quête des instants de bonheur dont on sait profiter au maximum pour la force qu’ils nous apportent mais sans révolte, sans résistance…. en prenant soin de ne rien écraser dans sa chute ….. Parce qu’aussi l’auteur établit la distanciation nécessaire par le parti-pris qu’elle revendique dès le prologue : « … Ses réminiscences, devenues miennes sont-elles vraiment incomplètes, romancées? Tout à la fois sans doute. Une dose homéopathique de son histoire, des traces fugaces…Seule l’imagination m’aide à redonner forme aux souvenirs qu’elle me racontait, et c’est tant mieux ! J’ai toujours détesté les romans historiques. La fiction a quelque chose de plus léger, de plus libre… de plus authentique!… » Parce qu’enfin l’auteur utilise le roman à deux voix, au double regard, sans artifice, naturellement : celui du narrateur qui raconte la vie de Carmen et, en parallèle, des « extraits » du journal intime de l’auteure encore petite fille qui transcrit ses relations avec sa grand-mère, qui lui racontait cette même histoire de sa vie, et ses perceptions rendues forcément parfois un peu obscures, incomplètes, déformées mais aussi magnifiées par l’enfance et l’affection et la tendresse profondes qui unissent si souvent des enfants à leurs grands-parents. Ainsi, en écho de cette épopée des laissés pour compte de l’Histoire et de ses drames, naît un deuxième roman. Celui de la vie des « Réfugiés de la Guerre civile d’Espagne » devenus moins de 25 ans plus tard, pour cause de nouveau bouleversement, « les Rapatriés d’Algérie », « les Pieds-Noirs ». Vivant le cœur et les yeux tournés vers ailleurs, ils peinent à s’intégrer complètement, en France, « leur nouvelle patrie » qui les accueille peu ou mal, dans ces cités dont le rêve de la « Cité radieuse » commençait déjà lentement mais sûrement à se fissurer avant de virer au cauchemar. Une vie, toutefois, où la sérénité, l’apaisement, paraissent enfin possibles à Carmen parce qu’elle a atteint là son désir : « … Parvenir au bout du voyage entourée des siens… ». Un « bout du voyage » qui est double même s’il est décalé dans le temps et sur lequel se termine symboliquement le livre…La mort du dictateur espagnol Franco le 20 novembre 1975 et le départ d’Algérie en juin 1962 vers ce qui sera l’ultime étape.

Patricia Portella Bricka, la petite fille d’Abuela est aujourd’hui elle aussi immigrée. Elle est arrivée au Québec il y a vingt ans (mais espérons-le dans des circonstances moins tragiques). Diplômée en littérature elle a préparé et animé des ateliers d’écriture et est formatrice. Son premier roman L’itinérante témoigne de son implication forte dans la cause d’autres femmes, dont les vies, elles aussi, brisées par des réalités trop dures, ont chaviré : les femmes itinérantes. Avec Les gens du sud n’aiment pas la pluie elle nous livre un témoignage rendu tendre et souriant par le regard de l’enfant dont elle livre le journal intime en même temps que bouleversant par le récit du narrateur sur la dignité de ceux pour qui « … Pas de chance! L’Histoire se répétait et on leur avait donné le même rôle de figurants… et dont la seule préoccupation se résumait à marcher, tomber et se relever... » Il nous rappelle, bien à propos, qu’en ce monde toujours et encore de grands bouleversements et de drames, au-delà de l’histoire d’une famille, de sa famille, le respect de leur dignité est ce que l’on doit à tous les « déplacés » des guerres et des crises.

Les gens du sud n’aiment pas la pluie
Auteure : Patricia Portella Bricka
Roman
Mise en page : André Leclerc
Couverture : Julie Larocque
Éditions de la Pleine Lune : www.pleinelune.qc.ca
ISBN:9782890244177 (Papier)
ISBN:9782890244184 (Pdf)
ISBN : 9782890244191 (Epub)
25,95 $ / 18,99 $
320 pages
Broché
En librairie le 28 août 2014
Avec le soutien du Conseil des Arts du Canada et de la Sodec Québec

Les libraires : http://www.leslibraires.ca/livres/les-gens-sud-aiment-pas-pluie-patricia-portella-bricka-9782890244177.html/259d265dfbf7f97dafbbde89f448d2dbb19974ddea3c112ff477424bc2e4a057a6a3f69e9b7e7dff615a1d2378dddf89f3958fb450047314c8926a628fbe299e/?u=4850
© photo : courtoisie