Le NoShow : acteurs et spectateurs combattent côte à côte pour le théâtre valorisé sur les barricades de l’Espace Libre occupé

 

François Bernier
François Bernier

« Parce que… »

Parce qu’ils endurent parfois des décennies durant le statut précaire de même pas intermittents, les fins de mois difficiles à la merci du doute permanent, les 9 à 5 alimentaires à des années-lumière de leurs vieux rêves d’enfants et l’étiquette de « béesses de luxe » que leur collent sur le dos les discours méprisants.

Parce qu’ils sont prêts à jouer les clowns tristes sur un plateau de télévision en attendant que le rôle qui les motive à poursuivre leur vocation trouve un jour enfin son audition. Parce qu’ils sont prêts à ouvrir leur portefeuille pourtant troué pour un contrat qui ne leur rapportera souvent même pas de quoi patienter.

Parce que l’amour pour leur profession leur commande de ne pas céder aux sirènes d’une carrière autre et prête-à-payer, parce qu’ils constatent en l’éprouvant que La Bohème vit sur un air de pauvreté, parce qu’ils se déclarent eux-mêmes coupables d’être des acharnés, parce que le show-must-go-on sans arrêt sur la brèche tant que le rideau du ras-le-bol n’est pas sur eux tombé.

Parce qu’à tout prix ce prix pourtant personnellement si élevé que leur réclame leur vrai métier (car c’est un vrai métier), les acteurs se déclament encore prêts à le payer.

Jusqu’à un certain montant, cependant, jusqu’à un certain moment. 

Parce que leurs estomacs ne se nourrissent pas uniquement d’applaudissements, parce que le feu de leur foi s’essouffle avec le temps, parce que leurs idéaux n’ont plus vingt ans, parce que les haut-parleurs de la culture de masse qui ne pense que lucrativement finissent par assourdir leur « Faisons autrement. », les acteurs en appellent à leur public afin qu’ensemble tous se battent pour que puisse être préservé le théâtre de « la désaffection de ses artisans, sa détérioration et ultimement sa disparition. »

Si pour nous spectateurs, aller au théâtre est un acte militant, si une pièce de théâtre est pour nous un divertissement avec le souffle du sacré en supplément…
Quelle valeur monétaire sommes-nous prêts à accorder au théâtre qui sert de manière si essentielle notre humanité ? Combien sommes-nous prêts à débourser pour lui apporter aide et secours dans sa lutte pour le droit à des œuvres de qualité ?

Le financement, c’est le facteur-clé qui a (re)modelé les formes successives du NoShow, de l’aveu-même de son metteur en scène Alexandre Fecteau. Si la phase de développement entamée en 2010 s’est bien passée, c’est après, pendant la phase de production, que « tout le monde » l’a abandonné.
Le manque de financement a ainsi complètement modifié le spectacle qui, partant pour être une fiction (LaboM) sur des hommes et des femmes de théâtre passionnés, est passé par le making-of puis le cabaret-conférence pour aboutir enfin sur sa version définitive -écrite et montée en quelques quatre-vingt-dix heures- telle qu’elle s’est présentée en 2013 au Carrefour international de théâtre à Québec et dans sa version peaufinée au Festival TransAmériques en mai dernier.

Retour donc forcé au docu-théâtre pour Alexandre Fecteau qui, à l’intérieur de sa sphère de facilité (on lui doit déjà les docus-théâtre L’Etape, Changing Room et La Date), s’est attelé à la tâche de relater la réalité du NoShow à travers le vécu de ses acteurs, lesquels ont dès lors été amenés à s’impliquer plus avant dans le processus de créativité.
Co-auteurs, Francesca Bárcenas, François Bernier, Frédérique Bradet, Hubert Lemire, Florence Longpré, Julien Storini, Sophie Thibeault se mettent ainsi à nu au cours de numéros personnalisées dont la théâtréalité assumée les autorisent à « regarder les spectateurs dans les yeux » tandis qu’ils parlent avec transparence et sincérité des plaidoiries à cinq cents pièces en complet emprunté, des lettres de (re)présentation sans retour à quelque monstre sacré, des remises de prix en robe à double salaire se livrant à des remerciements amers, des traits de comédien tirés vers le bas sous le masque de saltimbanque MDR

Hubert Lemire, François Bernier, Florence Longpré
Hubert Lemire, François Bernier, Florence Longpré

Le NoShow n’est pas que dans l’émotion, dans les mots, mais aussi dans une situation. Le NoShow, c’est nous, c’est vous, c’est ce soir et ici, c’est une discussion. 

Fidèle à son mandat qui promeut l’immédiateté et l’interactivité, le Collectif Nous sommes ici co-fondé par Alexandre Fecteau et qui co-produit avec le Théâtre du Bunker Le NoShow s’est efforcé de faire descendre le spectacle de scène afin de nous faire vivre à nous spectateurs une expérience à la fois individuelle et collective mise en scènes construites pour former un tout dont une ou plusieurs parties pourtant irremplaçables peuvent être aléatoirement supprimées, proposant de la sorte soir après soir un spectacle différent et en même temps « extrêmement scénarisé » mis au point par le comité de lecture composé de François Bernier, Alexandre Fecteau, Hubert Lemire et Maxime Robin sous la direction d’Alexandre Fecteau qui met encore cette fois à profit son talent pour travailler la dimension performative de la théâtralité.

D’entrée, Le NoShow nous donne à résoudre un cas de conscience alors que nos retrouvant seuls dans l’isoloir nous sommes sommés confrontés à notre propre estimation du prix de notre de notre billet suivant six montants préétablis à découvrir sur des bulletins à remplir puis à remettre de manière anonyme à la billetterie.
Loin d’être anodin, cet acte presque citoyen aura une conséquence directe sur le déroulement du spectacle puisque selon le total des recettes de la soirée, une certaine somme des sept acteurs auront l’heur de faire leur travail au tarif minimal syndiqué. Les autres entameront hors scène un mouvement de contestation.
Ce ne sera pas pour nous l’unique occasion d’influencer le cours du NoShow, nos voix (et nos téléphones) étant encore plusieurs fois mis à contribution.

Le NoShow peut être qualifié de théâtre politique en tant qu’il nous provoque « avec irrévérence et humour » dans le but revendiqué de nous inciter à prendre part à la lutte en tant qu’alliés. « Le théâtre appartient autant à ses amateurs qu’à ses artisans. » soutient Alexandre Fecteau, et c’est à nous amateurs de rendre la main que les artisans nous tendent depuis la scène et à prendre le micro pour dire haut et fort à la société nos raisons intimes pour lesquelles le théâtre doit être placé sur le piédestal du Beau.

Le NoShow est un spectacle-événement certes incisif mais qui reste néanmoins festif. Leur tente plantée sur la pelouse du parc Coupal à quelques mètres seulement de la salle, les hommes et les femmes de ce « théâtre pauvre » dont ils se portent parole nous accueillent avant et après les représentations afin de poursuivre plus avant la discussion…et l’action.

Au-delà d’être conçue avec une joyeuse ingéniosité, du jeu ans tabou entre le théâtre et la réalité, du contact direct avec les acteurs dans leur nudité et de son propos toujours (tristement) urgent d’actualité, c’est le sentiment de se sentir impliqué, l’envie d’en parler autour de nous et d’y retourner qui fait que l’œuvre d’Alexandre Fecteau est plus qu’une pièce, c’est une nécessité.

Vous l’aurez compris, Le NoShow est plus qu’un show, c’est une rencontre entre anciens et nouveaux révoltés de la création qui pour que vive leur passion commune descendent dans la rue dos à dos avec pour tout pavé quelques paquets de marshmallows. Courez-y. 

Le NoShow, du 3 au 13 septembre à l’Espace Libre.

Distribution : Francesca Bárcenas, François Bernier, Frédérique Bradet, Hubert Lemire, Florence Longpré, Julien Storini, Sophie Thibeault

Production : Collectif Nous sommes ici, Théâtre DuBunker
Texte: François Bernier, Alexandre Fecteau, Hubert Lemire, Maxime Robin
Mise en scène : Alexandre Fecteau
Assistanat à la scénographie : Marianne Ferland-Dutil
Son : Olivier Gaudet-Savard
Lumière : Renaud Pettigrew
Vidéo : Marilyn Laflamme

Crédits photographiques : David Ospina