Life is beautiful : l’art performance philippin pose des questions sur la société moderne

Life is beautiful
Life is beautiful

L’art performance est fait pour cela : poser des problèmes de façon inédite, se questionner, nous faire nous questionner, nous faire sortir des sentiers battus de notre confort sociétal et personnel, ouvrir les yeux, écouter tout en essayant d’entendre. Et apprécier, ou non, cette expression artistique qui requiert une ouverture d’esprit pour celui qui se trouve sur son chemin un peu par hasard. Car l’art performance, c’est la liberté. La liberté de l’artiste, la liberté du spectateur.

Lors de la soirée philippine, à la 18e Rencontre internationale d’art performance de Québec, le samedi 13 septembre, le ton est donné avant même d’entrer dans la salle : un agent d’insécurité philippin accueille les spectateurs. L’insécurité : voilà ce qui est notre monde.

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La présentation de Mideo M. Cruz

Mais en pénétrant dans la salle, le visiteur découvre, de dos, un individu à grosse tête blanche, béatement avachi devant un écran sur lequel un seul message apparaît, sur les fonds de couleurs différentes: LIFE IS BEAUTIFUL. Une voix répète ce message dans une des quatre-vingt-dix langues parlées aux Philippines. Des fragments de diverses informations lui arrivent, projetés sur sa tête, sans toutefois réussir à transpercer cette brume blanchâtre d’inconscience – et d’insouciance – qui l’entoure, à l’atteindre et à le faire réagir. Non, le seul message qu’il voit est celui qu’on veut lui laisser croire : la vie est magnifique. En bref, une allégorie percutante, offerte par Mideo M. Cruz, du monde actuel dans lequel nous sommes innondés, à chaque seconde, d’un flux d’informations sans fin et auxquelles nous finissions par réagir par l’indifférence absolue.

Jose Tence Ruiz, dans le personnage de l’agent d’insécurité, nous attire dans un univers plus ludique, imprévisible, où la réalité, avec ses innombrables rebondissements, peut prendre des apparences plus légères, voire festives.

Jose Tence Ruiz
Jose Tence Ruiz

Mais est-ce vraiment cela? Les trois-quatre images d’enfants dont la pauvreté est frappante, projetées au début de la présentation (avec une subtile réflexion sur le mot avant-garde, qui devrait signifier en soi le progrès : av… ab… abject), sont peut-être oubliées sur le coup du magicien mais pas pourtant effacées de notre mémoire. Au moins il faut l’espérer, faute de quoi nous pourrions ressembler au personnage fantomatique de la première présentation.

Si l’indifférence devait y être, personne ne reste impassible devant la saisissante présentation de Roy Lu, illustrant le tragique destin des victimes de tsunami, entraînés dans la mer déchaînée et hurlant jusqu’au dernier souffle au secours qui ne vient pas.

Les trois artistes ont présenté un programme riche, imaginatif et articulé. Articulation pas évidente à la première vue, mais dont on se rend compte avec le recul, après avoir repassé quelques images fortes de la soirée. L’indifférence, l’incertitude, l’incrédulité, la peur devant l’inconnu, le soulagement après avoir constaté que le danger n’en était pas un, l’amusement, l’humour…, et la tragédie aussi, la vraie, de l’abandon de l’être humain… Tout était là. Le vrai monde, quoi…

Mideo M. Cruz est un artiste multidisciplinaire et un organisateur d’événements artistiques habitant en Asie du Sud-Est. Son travail se compose d’images fortes et d’allégories de l’ordre social. En 2011, son installation Poleteismo au Centre culturel des Philippines a semé la controverse. L’Église catholique s’y est farouchement opposée, ce qui a mené à des rituels d’exorcisme et à une audition au Sénat. Parmi ses récompenses figurent en 2003 le Prix des treize artistes du Centre culturel des Philippines et la bourse Sungduan, et en 2006 le Prix de la Galerie d’art Ateneo.

Jose Tence Ruiz a été rédacteur en chef de VISION magazine en 1976. Il propose depuis des activités artistiques dans divers domaines tels que la scénographie, le design d’édition, l’illustration de livres, les présentations multimédiatiques, l’enseignement, l’illustration éditoriale, la peinture, l’art engagé, la sculpture, l’installation et l’art performance. Il travaille actuellement comme artiste multimédia et écrivain-consultant-commissaire indépendant pour le collectif Neo-Agono, ainsi que diverses institutions telles que le Centre culturel des Philippines, la Commission nationale pour la culture et les arts, le Musée des arts de Pasig et la Galerie d’art Ateneo.

Roy Lu
Roy Lu

Originaire des Philippines, Roy Lu vit et travaille à Gatineau. Il est un des membres fondateurs de Mindworks un événement présenté pour la première fois en 1983 et se tenant aujourd’hui annuellement à l’Université des Philippines, à Cebu. En 2007, il immigre au Canada et s’implique immédiatement dans le milieu artistique de Gatineau. En 2008, il est mis en nomination au Golden Cherry Award pour l’artiste de l’année dans la région d’Ottawa-Gatineau. Il présente son travail en 2010 lors du Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul et au Festival international d’art performatif de Rouyn-Noranda. Privilégiant principalement la performance, Lu crée parallèlement divers objets qu’il intègre par la suite à ses actions.


La 18e Rencontre internationale de l’art performance (RIAP) continue avec sa deuxième semaine :

Performances :

Salle Multi – Coopérative Méduse, 591, rue Saint-Vallier Est, Québec

Jeudi 18 septembre, 20h – Canada (Calgary, Winnipeg, Montréal)

Vendredi 19 septembre, 20h – Norvège

Samedi 20 septembre – Cuba

Conférence-discussion :

Le Lieu, centre en art actuel : 345, rue du Pont

Dimanche 21 septembre, 13h

Coût : 5 $

www.riap2014.org

© Photo : Venceslava Jarotkova