Une ovation debout pour Les Fées ont soif au Théâtre de la Bordée

Lorraine Côté, Marie-Ginette Guay, Lise Castonguay
Lorraine Côté, Marie-Ginette Guay, Lise Castonguay

Le Théâtre de la Bordée place la barre haut, très haut, pour la saison théâtrale 2014-2015 dans la Capitale avec son adaptation repensée, actualisée, de la pièce-phare de la dramaturgie québécoise de la fin des années 1970, Les Fées ont soif de Denise Boucher.

Le Théâtre du Nouveau monde programme cette pièce audacieuse, originale et surprenante pour sa saison 1978-1979. Or, elle provoque un scandale, notamment parce qu’elle met en scène une Vierge Marie statufiée qui crie sa soif de se libérer de ce carcan insupportable qu’on lui impose depuis des siècles. Le Conseil des arts de la région métropolitaine décide de ne pas accorder une subvention au TNM, les milieux conservateurs catholiques tentent de faire interdire les représentations. La pièce est cependant présentée le 10 novembre 1978 et connaît par la suite un succès énorme partout dans la province. Elle est présentée à Québec, l’année suivante, au Palais Montcalm.

Elle n’a jamais été rejouée sur une scène professionnelle depuis sa création.

Après 36 ans, le Théâtre de la Bordée arrive donc avec cette nouvelle version actualisée, fidèle toutefois au texte de Denise Bouchard. Et il ne fait aucun doute que cette heureuse relecture modernisé sera L’ÉVÉNEMENT de la saison.

Lorraine Côté, Lise Castonguay
Lorraine Côté, Lise Castonguay

Car oui, une présentation peut bien être repensée, mais les enjeux présentés en 1978 au TNM restent les mêmes. Les rôles de femme stéréotypés, réducteurs, voire dégradants sont personnifiés à la perfection par le trio d’actrices formidables, chez lesquelles le plaisir est palpable d’incarner la mère (Marie), la putain (Madeleine) et la Vierge (la Statue) à la recherche d’elles-mêmes, de leur identité, de leur essence de femme libre et accomplie, révoltées contre la souffrance imposée par le monde aux valeurs patriarcales et religieuses. Lise Castonguay, Lorraine Côté et Marie-Ginette Guay sont touchantes, au début, dans la tragique acceptation de leur condition, nobles dans leur vulnérabilité, sublimes dans leurs rêves d’une vie différente, majestueuses dans leur détermination et dans l’affirmation de leur soi le plus profond.

Les scènes marquées d’un humour subtil, d’une naïveté émouvante qui cache de grandes blessures convergent vers les images les plus fortes, celle de femme battue et celle de femme violée, où l’on retient son souffle devant le grand art de trois comédiennes d’exprimer, par la voix et par le geste, l’insupportable et l’innommable.

À la fin de la pièce, ces trois femmes, tellement différentes dans leurs destins qui semblaient, au début, inévitables, et dont les différences représentent trois facettes imposées aux femmes au fils des siècles, s’unissent pour parler d’une seule voix afin d’exprimer leur soif de la liberté et de leur identité propre. Et elles nous invitent à imaginer ce qui pourrait être un monde sans mépris, sans violence envers les femmes, un monde d’équité, d’égalité et d’émancipation. Une invitation ardente à la réflexion, qui a provoqué une longue ovation debout d’un public ému et reconnaissant de ces moments inoubliables d’un grand art assumé des trois comédiennes et d’un texte profond et riche, toujours d’actualité.

Alexandre Fecteau
Alexandre Fecteau

Cette version contemporaine de la pièce Les Fées ont soif est portée, avec une sensibilité remarquable, par la mise en scène d’Alexandre Fecteau, appuyé par le scénographe Vano Hotton. L’alliance des deux jeunes créateurs est extrêmement heureuse : le résultat est non conventionnel, atypique, mais en même temps harmonieux et fluide. Projections vidéo et interactions avec le public, deux éléments que le metteur en scène affectionne, font partie intégrante de la pièce.

Par ailleurs, les spectateur de cette première soirée ont eu le privilège d’assister à la remise, à Alexandre Fecteau, du Prix John-Hirchs 2013 du Conseil des arts du Canada, destiné aux jeunes metteurs en scène dont le travail préfigure des accomplissements majeurs sur le plan de l’excellence et de la vision artistiques.

Denise Boucher, Le Théâtre de la Bordée, 17 septembre 2014
Denise Boucher, Le Théâtre de la Bordée, 17 septembre 2014

Le public a chaleureusement applaudi l’auteure Denise Boucher, les trois actrices de la présentation en 1978, Louisette Dussault, Michèle Magny et Sophie Clément, ainsi que le metteur en scène de cette première présentation, Jean-Luc Bastien, tous présents dans la salle.

Une petite exposition fait écho à la programmation de la pièce Les Fées ont soif au Théâtre de la Bordée. Pour la première fois, le théâtre établit une collaboration avec le Musée national des beaux-arts du Québec et expose trois tableaux de Paryse Martin, de François Morelli et de Julie Pelletier, avec une thématique proche de celle de la pièce théâtrale.

 

 

 

 

 

Denise Boucher : Les Fées ont soif

Au Théâtre de la Bordée

Du 16 septembre au 11 octobre 2014

Distribution :

Lise Castonguay
Lorraine Côté
Marie-Ginette Guay

Mise en scène : Alexandre Fecteau
Assistance à la mise en scène : Joée Lachapelle

Décor et accessoires : Vano Hotton
Costumes, maquillages et coiffure : Élène Pearson
Assistance aux costumes : Julie Morel
Lumières : Laurent Routhier / Projet Blanc
Musique originale : Maude et Navet Confit
Vidéo : Eliot Laprise

 

http://www.bordee.qc.ca

 

© Photo : Venceslava Jarotkova, courtoisie