Entrevue avec Serge Houde: le film Octobre de Pierre Falardeau 20 ans déjà

houde3
Serge Houde

Il y a 20 ans déjà, à l’aube d’une carrière d’acteur qu’il choisit sur le tard, Serge Houde se voit offrir sur un plateau d’argent un rôle inattendu, celui de Pierre Laporte. Une incarnation qui deviendra le tremplin d’une carrière qui suit depuis 1994, une trajectoire canado-américaine constante et tenace.

1993, Serge Houde est à Dorval, une heure avant son décollage pour Vancouver où il a élu domicile. Il téléphone à son agent montréalais pour connaître les résultats d’une audition qu’il passait la veille avec Pierre Falardeau pour le rôle Pierre Laporte,  Ministre du travail enlevé, séquestré et tué par une cellule du FLQ en octobre 1970.

«Es-tu assis, m’a demandé mon agent… Tu l’as eu. ‘J’aurais pleuré et dansé mais je devais monter à bord de l’avion’,» se rappelle-t-il.

À chacune de ses visites à sa mère dans la ville de Québec, Serge profitait de l’occasion pour faire quelques auditions. En apprenant qu’il pouvait tenter sa chance pour un personnage qui a marqué le Québec des années 70, Serge Houde ne lésinerait sur aucun moyen pour se préparer. Il avait 4 jours pour le faire. «Laporte me faisait peur mais j’aurais tout fait pour avoir le rôle!» explique l’acteur en rétrospective.

Coup de chance, à l’été 1993, le revue 24 Images publie un entretien avec Pierre Falardeau intitulé Octobre: une histoire de «patate chaude». Il y raconte la genèse et les complications pour son projet de film Octobre: Francis Simard, un des felquistes lui avait téléphoné de sa prison. Falardeau, qui cogite sur un projet, le visitera pendant 4 ans jusqu’à sa sortie, moment où lui et le comédien Julien Poulin passeront une semaine à interviewer Simard. En plus d’écrire un scénario sur l’histoire de Simard, ils publieront le livre: Pour en finir avec Octobre.

houde2
Serge Houde et Pierre Falardeau Photos Jean-François Leblanc – Stock – tirée du site Elephant

Cet article aiderait Serge Houde à comprendre l’esprit de Falardeau et à se préparer pour l’audition qui se passe à Montréal. «Quand j’ai traversé le Pont Pierre-Laporte en direction de Montréal, j’ai fait une prière. J’ai parlé à Pierre Laporte et lui ai dit : Si vous voulez que ce soit moi, aidez-moi!» se souvient-il allègrement.

Sur le lieu des auditions, l’acteur se rend aux WC pour s’assurer d’être tiré à quatre épingles. Soudainement, une grosse bouffée de fumée précédera le visiteur Pierre Falardeau qui entre dans les WC et le dévisage sans s’adresser à lui. Croyait-il que Houde était son candidat?

«Je m’inquiétais de la qualité de mon français à l’audition. Quand je suis entrée dans la salle d’audition, Falardeau avait le gros sourire en me voyant. Il m’a demandé de m’allonger sur la table et de faire semblant d’avoir peur. L’audition a duré 10 minutes,» dira le comédien audacieux 20 ans plus tard. En entrevue, de son côté Pierre Falardeau admettra : «Je le vois encore lors de l’audition, avec son complet trois pièces. Je me suis dit, tiens v’là mon ministre qui arrive. On ne s’est pas trompé».

Arrivé à Vancouver, Serge Houde plein d’espoir, pliera bagages, vendra et donnera ses meubles à des étudiants pour donner une chance inespérée à sa carrière québécoise. «Je voulais me dévouer à ce rôle. Alors j’ai loué un petit appartement à l’Ile des Soeurs pour m’isoler et me mettre dans l’ambiance. En attendant de tourner dans Octobre, j’ai décroché un rôle d’une journée qui se passait dans une vieille école. Pendant la pause du midi, je suis allé faire une sieste de 15 minutes. Couché par terre sur un carton recouvrant le plancher de bois, à mon réveil, j’ai trouvé là le Pierre Laporte que je cherchais entouré de cette odeur de vieux bois, mi-réveillé, un peu apeuré de ne savoir où j’étais. J’avais trouvé un point d’ancrage pour mon rôle, la peur, le mystère», s’amuse-t-il à raconter.

houde1
Serge Houde sur le tournage du film Octobre Photos Jean-François Leblanc – Stock – tirée du site Elephant

Pour bâtir son personnage, Serge Houde se remémorera cette photo qu’il avait vue de Pierre Laporte et de son fils, une situation qui lui rappelait son propre rapport avec son père. «Cette photo m’a marqué. Quand mon propre père est parti en ambulance, je ne l’ai plus jamais revu. J’avais 10 ans. Cette fois, Pierre Laporte garderait espoir parce qu’il se dirait : Je vais faire n’importe quoi pour revoir mon fils!»

En plus de faire une recherche sur la psychologie des gens kidnappés, Serge Houde irait au cimetière se recueillir devant la pierre tombale de Laporte. Puis avant le premier tour de manivelle, Houde prendra le taxi jusqu’à la résidence des Laporte pour alimenter son personnage.

Durant ce tournage de 20 jours, l’acteur de Vancouver s’isolera des acteurs jouant les felquistes pendant les pauses et les repas pour se garder dans le rôle de Pierre Laporte. «Falardeau m’avait dit : Je vois que tu t’occupes de ton personnage. Pas besoin de m’expliquer.» J’étais aussi passionné pour mon jeu que lui pour son film. En apprenant qu’il venait de Vancouver, Falardeau l’appellera à plusieurs reprises, le gars de l’ACTRA (syndicat anglophone de comédiens).

Dans les semaines qui suivirent la sortie du film en octobre 1994, les critiques dithyrambiques à l’endroit de Serge Houde seront nombreuses. Le critique Georges Privet parlera de la sobriété de son jeu, de sa force et sa dignité émouvante; le Globe and Mail soulignera l’approche méthodique et la performance sans faille de Houde, le célèbre magazine Variety notera la performance de haut niveau de l’acteur malgré la difficulté d’avoir si longtemps les yeux bandés et attaché au lit; le Calgary Herald expliquera que bien que le rôle soit petit en terme de dialogue, il est le plus grand en terme d’impact.

pecheurs
Serge Houde au centre avec la distribution de Les Pêcheurs Photo: courtoisie

Avec un film aussi fort qu’Octobre en 1994, la carrière de Serge Houde sera lancée. Il participera à d’importantes productions québécoises francophones dont récemment Les Rescapés, Le piège américain, Mirador, mais il jouera un rôle clé dans la série The Kennedys et dans Manners of Dying avec Roy Dupuis, dans Mortal Combat : Legacy Episode et sera en nomination comme acteur pour un Leo Award en 2014 dans Played.

Bientôt on pourra le voir dans la série anglaise 19-2 mais le mercredi 22 octobre, il se joint à l’équipe de Les pêcheurs à Radio-Canada dans l’épisode La fête des pères où il incarne le père de Martin Petit…. rire garanti!!!!

Source: Entretien avec Pierre Falardeau, 24 Images, été 1993

http://sergehoude.ca/

Pour voir Serge Houde:  Les Pêcheurs, le mercredi 22 octobre 21 heures.