iTMOi (in the mind of igor) ou le Stravinsky contemporain

iTMOi
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En 2013, cent ans après le scandale qu’avait provoqué le Sacre du printemps d’Igor Stravinsky, on demande à Akram Khan, le fondateur d’origine bangladeshie de l’Akram Khan Company, de nous livrer sa vision de cette œuvre intemporelle. Après avoir conquis le public international, c’était enfin au tour de Québec le 28 octobre 2014 de recevoir iTMOi (in the mind of igor) au Grand Théâtre. Un défi de taille qui se dessinait : la réinterprétation d’un des spectacles les plus joués et les plus revisités du 20e siècle, mais duquel personne ne se lasse pour sa richesse symbolique et pour son envergure historique. C’est au bout de 65 minutes, devant des artistes de partout dans le monde, que les spectateurs debout comprennent que Khan a gagné son pari.

Akram Khan, chorégraphe et danseur maintes fois décoré, sème son style unique sur la scène internationale et travaille avec plusieurs collaborateurs multidisciplinaires. Grand explorateur des contrées artistiques, le créateur s’intéresse aux époques, aux pays et aux musiques qui ont pu transformer le mouvement et s’inspire de ces différentes traditions pour innover. Il décompose,  dissèque et reconstruit. Dans iTMOi, seulement 30 secondes de la pièce musicale du Sacre du printemps ont été utilisées. Khan en a extrait l’essence pour mieux l’adapter. Il respecte la structure et juxtapose les tableaux effrénés et les plus statiques. iTMOi est une mosaïque de crescendos uniques qui laisse le spectateur et l’interprète respirer le temps d’une pause pour mieux recommencer l’escalade vers ce qui est, chaque fois, une éruption violente, accentuée par une conception musicale fracassante. En effet, l’univers sonore composé par Nitin Sawhney, Jocelyn Pook et Ben Frost, ponctué d’imprécations ténébreuses inintelligibles d’un personnage, joue un rôle particulièrement important dans ce spectacle aux allures théâtrales. Un décor simple entoure les danseurs, c’est-à-dire un carré qui monte et descend et une sphère surplombent la scène, pour créer une ambiance dantesque.

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Akram Khan éclate les genres complètement et crée une œuvre kaléidoscopique. Derrière des chorégraphies basées sur le kathak, une danse traditionnelle indienne, et le contemporain, l’artiste sort de sa zone de confort et insère une foule de clins d’œil au hip hop, au flamenco, au butô, à la danse africaine et même au sema des derviches tourneurs. Ce métissage de gestuelle, mêlé aux costumes, propose une exploration de l’humain dans toute son histoire et laisse place à l’imaginaire. Cet éclectisme libère de tout conformisme et submerge l’art dans l’innovation et l’audace.

Les onze interprètes se démènent entre autres avec le thème du rituel du sacrifice. Le sacrifice peut prendre plusieurs formes : l’adoration, le mariage, la foi, l’amour, la mort, la naissance. Tous ces aspects sacraux sont revisités dans iTMOi, mais guidés par la tradition slave à la Stravinsky. La gestuelle répétitive des artistes est surtout basée de sauts et de tours sur eux. Ils piétinent la terre, la sentent, la palpent, s’en imprègnent, la projettent, l’adorent… Ils s’étourdissent pour s’enfuir dans l’irréel, pour que leur esprit les quitte et qu’il rejoigne celui des dieux… Ils tournent autour de leur offrande, cette petite femme qu’ils emprisonnent, qu’ils vénèrent… Celle-ci se désarticule, se démembre, se liquéfie pour se détacher de son corps, prison de l’âme et s’élève…

iTMOi (in the mind of igor) met en scène des tableaux statiques caractérisés par une lenteur théâtrale et des tableaux explosifs qui nous tiennent en haleine jusqu’au bout, essoufflés par la vivacité, presque la furie des mouvements. iTMOi est comme plusieurs petites morts et plusieurs naissances époustouflantes!

Producteur : Farooq Chaudhry

Interprètes : Kristina Alleyne, Sadé Alleyne, Ching-Ying Chien, Hoon Kim, Denis « Kooné » Kuhnert, Yen-Ching Lin, TJ Lowe, Christine Joy Ritter, Catherine Schaub Abkarian, Nicola Monaco et Blenard Azizaj

Conception des costumes : Kimie Nakano

Conception lumière : Fabiana Piccioli

Scénographie : Matt Deely

Crédit photos : Jean-Louis Fernandez