La chaleur avant midi un roman de Mylène Durand au pouvoir d’attraction fascinant

Mylène Durand La chaleur avant midi © photo : courtoisie
Mylène Durand La chaleur avant midi © photo : courtoisie

Clarisse devenue Clarissa depuis qu’elle vit au Costa Rica, est semble-t-il en paix. En paix avec la vie, en paix avec son entourage, en paix avec elle-même. Dans ce pays de la chaleur, de la faune et de la flore luxuriantes et omniprésentes comme cette mer réconfortante et salvatrice, dans cet hôtel dont elle a des parts mais où elle préfère être femme de chambre, elle s’oublie à son passé et renaît. Une vie simple au milieu d’êtres, d’un entourage, dont la sérénité, la simplicité et l’affection des relations l’apaisent. La vie pourrait ainsi perdurer, longtemps. Les employés de l’hôtel forment son monde, sa famille : Carmen et Manuel et leurs cinq enfants, Violetta et Rosibel, les autres femmes de chambres, Ernesto le cuisinier, Joaquin le moniteur de planche et guide pour touristes devenu son amant… Bien sûr, la vie y reste imprégnée de ses traditions, de ses histoires et croyances traditionnelles. Yolanda, la vieille femme s’en fait l’écho, Cassandre de cette communauté. Et puis il y a Dande le 4éme des cinq enfants de Carmen et Manuel, un enfant trop mâture pour son âge qui voit et perçoit le monde différemment. Les clients de l’hôtel, touristes internationaux, sont sa fenêtre sur le monde, une fenêtre que l’on referme bien vite sans regrets, sans affects. Après ceux-ci, il en viendra d’autres, on ne s’attachera pas, on effacera bien vite toute trace de leur passage par un ménage en profondeur des chambres, comme on en effacera le souvenir et c’est bien ainsi. De cette vie, Clarrissa a fait sienne : « …Ainsi en ces journées qui se ressemblent, une certaine sérénité est possible, et le passé se défait tranquillement, Il se décolle comme la croûte sur une plaie. Clarisse en est arrivée à croire, qu’à force de plonger au creux des vagues de l’océan pacifique, de se gorger de sel, d’eau, de soleil et de sable foncé, elle y laisserait son ancienne peau, comme certains insectes muent. Pour survivre… »

Le besoin de survivre, cache le secret de Clarissa. Un secret qu’elle a enfoui au plus profond d’elle-même jusqu’à presque réussir à l’oublier et qu’autour d’elle on respecte, qu’on ne cherche pas à percer même si on sent bien que cette femme, étrangère, arrivée un matin de nulle part et parlant à peine l’espagnol, en a forcément un. Il faudra l’irruption brutale de l’extérieur, venu des terres d’avant, le Québec, par l’arrivée à l’hôtel d’Éloïse, une jeune cliente malade, pour que Clarrissa soit confrontée à son passé qui ressurgit. Un passé qui lui demande des comptes, fait sauter le rempart fragile qu’elle avait édifié entre elle et sa vie d’Ailleurs, sa culpabilité, ses terreurs. Et si Éloïse était sa fille, son enfant de 7 ans, abandonnée dans son départ qui devait être sans retour. Quel est ce lien mi attraction, mi répulsion qui les attire l’une vers l’autre. Quelle force cette jeune femme, qui elle ne se livre pas, détient-elle en elle pour que Clarissa revive à son approche tout ce qu’elle refoule avec autant d’application. Pour que derrière Clarrissa ressurgisse Clarisse, l’enfant, l’orpheline en famille d’accueil, devenue mère à son tour avant d’abandonner Camille, sa fille, mentalement d’abord appelée par l’appel de l’Ailleurs et de la création artistique avant de partir pour de bon, loin, dans une contrée qui est tout le contraire de la terre du froid, le Québec.

Mais Éloïse est-elle une personne bien vivante ou l’incarnation de ces femmes maléfiques de la tradition costaricaine, dont la venue est annoncée par Yolanda. Une femme qui a le pouvoir de tout bouleverser, les êtres comme la nature, et qui force chacun à se révéler, pour le meilleur et pour le pire, à entrer dans sa spirale, à détruire tout ce qui avant elle respirait la paix d’une vie en apparence paisible, avant de disparaître. Car si Clarrissa est confrontée violemment à son passé, doute tant sur ses choix que sur sa conscience vis à vis de ce qu’elle a fait et sur ce qu’elle doit faire, c’est aussi toute la communauté qui est bousculée face à cette arrivée qui agit comme un révélateur des êtres, de leurs âmes et de leurs passions. Chacun se révèle à lui-même comme aux autres.

Pour son deuxième roman, La chaleur avant midi, Mylène Durand, lauréate du Prix fiction du Salon International du Livre insulaire d’Ouessant (France) pour L’immense abandon des plages, revient sur la force, la survivance, et le pouvoir des liens, au delà des disparitions, entre une mère et ses enfants même si cette fois-ci c’est par le vécu et  le regard de la mère. Comme dans sa première œuvre également, la nature, notamment la mer vers laquelle on peut tout à la fois se réfugier et se perdre, par son omniprésence, son attractivité et sa force sur les âmes comme sur les corps, influe dans le drame qui se joue, dans sa révélation, dans son déroulement, dans son dénouement.

Les mots, le rythme concis en même temps que riches en images, proches de la poésie, nous font pénétrer et nous retiennent dans cette histoire étrange et irrésistible dans laquelle se mêlent, s’entremêlent, se heurtent, entre réalisme et surnaturel, les relations entre les êtres, les liens du sang, les croyances traditionnelles, et la nature. Cette histoire, sensible, nous fascine, mais dans le même temps nous déroute. Parce qu’elle évoque des sentiments, le besoin impératif que peut avoir une mère de partir et de ne pas avoir à s’en expliquer, qui nous habitent parfois mais que nous taisons parce que non dicibles, que nous refoulons pour ne pas, peut-être, passer à l’acte; parce qu’elle défie notre rationalité de pays occidentaux envers la tradition, les puissances supérieures et leurs liens avec la nature et l’histoire qui nous dominent, envers aussi des « êtres » transmetteurs et révélateurs, jusqu’au drame, de nos passions, de nos secrets; Mais aussi, peut-être, parce qu’on a parfois la sensation que l’histoire n’est pas complètement dite, comme si l’auteur souhaitait nous laisser vivre nous-mêmes notre rapport à ce roman sans nous imposer sa propre narration à moins que l’histoire et les personnages ne l’aient débordée. Il y a des non-dits, des choses en suspend, peut-être même inachevés dans ce roman et dans ses personnages sans que l’on sache vraiment dire s’il s’agit de sa faiblesse ou de sa force.

La chaleur avant midi
Auteure : Mylène Durand
Collection Plume dirigée par Marie-Madeleine Raoult
Conception de la couverture : Julie Larocque
Éditions de la Pleine lune: www.pleinelune.qc.ca
ISBN: 978-2-89024-426-9 (Papier)
ISBN: 978-2-89024-427-6 (PDF)
ISBN: 978-2-89024-428-3 (Epub)
231 pages
Broché
22,95 $
Parution octobre 2014
Avec le soutien du Conseil des Arts du Canada et de la Sodec Québec
L’auteure a reçue une bourse du Conseil des Arts et des Lettres du Québec pour l’écriture de ce roman.
Les libraires : http://www.leslibraires.ca/livres/chaleur-avant-midi-mylene-durand-9782890244269.html/31efb9a647acdee979c4a0ae484723ccb1f39907a058311698185ce2a331f175d1ebb9d38f781934ca5090ef1bc2fd30cb43423721044885b59d0b4fb94d4a76/?u=4850

© photo : courtoisie