Stephan Eicher : la magie d’un Grand de la chanson qui se réinvente

Stephan Eicher en concert au Théâtre Maisonneuve © photo : Marc Young
Stephan Eicher en concert au Théâtre Maisonneuve Festival Montréal en lumière © photo : Marc Young

Pour son concert de clôture, le Festival Montréal en lumière dont le pays invité est, cette année, la Suisse, nous a offert, ce soir, un concert unique de Stephan Eicher, auteur compositeur et interprète lui-même suisse et par ailleurs coprésident d’honneur de cette nouvelle édition.

Mais ne cherchez pas dans ce concert et plus généralement dans l’œuvre de cet artiste un quelconque exotisme d’Épinal de la Suisse mais bien plutôt un hommage aux multiples influences culturelles et nationales et au multilinguisme, de ce pays au quatre langues officielles. En effet, né en suisse, d’un père aux origines yéniches et musicien de jazz, et d’une mère suisse elle-même, Stephan Eicher a aussi été élevé à partir de l’adolescence à l’École Humanité un collège international où se côtoient des élèves de plusieurs nationalités. Il a gardé de cette enfance comme de ses origines familiales le goût de la rencontre entre les cultures. Il est aujourd’hui un musicien qui transcende les frontières. Les frontières linguistiques : Ses albums font rythmer ensemble, le français, l’anglais, le suisse allemand ou l’italien; les frontières musicales ensuite : les genres comme les instruments s’y côtoient, se mêlent et dialoguent : musiques classique, musiques traditionnelles de toutes les contrées du mondes, musiques anciennes, musiques électroniques, musiques acoustiques, rock…De tous ses apports ou emprunts, il aurait pu sortir un ensemble hétéroclite, hétérogène disparate. C’est pourtant tout le contraire qui s’est produit et c’est bien la cohérence qui domine l’œuvre de cet artiste, car il s’agit bien d’une œuvre, un peu à part dans le monde des variétés d’aujourd’hui, même si des liens avec l’œuvre de Francis Cabrel ou de William Sheller ne sont pas incongrus. Cette cohérence elle le doit à des mélodies entre nulles autres pareilles, toujours reconnaissables, unies dans la diversité, mais aussi à sa voix à la fois chaude et rocailleuse qui lient et unifient tous ces genres, et ces langues : Il y a un univers de Stephan Eicher où les textes font totalement corps avec la musique au delà des différentes langues comme des styles de musique. Et s’il n’est pas véritablement un chanteur « engagé » il est sûrement un chanteur à textes, merveilleusement servi par son parolier francophone depuis plus de 25 ans, le célèbre romancier français Philippe Djian. Par là même, il est un chanteur engagé pour un monde dans lequel, comme il le dit lui-même « …La musique, c’est la lumière, le bonheur; mon cœur s’ouvre quand je l’entends. Alors que tout le monde autour est en train de se transformer en pierre…». Un univers dans lequel la rencontre des cultures et des musiques est au service d’une poésie du monde comme des rapports humains et amoureux et qui, même si elle n’est pas toujours emprunte d’optimisme, est toujours, au service de l’Homme.

Stephan Eicher Festival Montréal en Lumière © photo : Marc Young
Stephan Eicher Festival Montréal en lumière            © photo : Marc Young

Ce concert au Théâtre Maisonneuve fut bien un concert unique car la prestation n’aura lieu qu’une fois mais surtout unique par la qualité et l’originalité du récital. En effet, l’artiste a fait le pari, réussi, d’être seul en scène. Seul avec, comme « musiciens », pour l’accompagner dans la reprise, pour la plupart, de ses plus célèbres chansons (Déjeuner en paix;Pas d’amis comme toi; Dis moi où; Tu ne me dois rien; Two people in a room; Combien de temps…) quatre instruments acoustiques : un piano, un orgue, un xylophone et une batterie, tous automatisés qu’il actionne lui-même avec un pédalier ou chacune de ses trois guitares. La version moderne de l’homme orchestre et des automates. Ces derniers sont fabriqués dans une usine de Belgique spécialisée encore aujourd’hui dans ces automates mécaniques. Mécaniques, le chanteur insiste bien. Il réfute d’ailleurs tout apport de l’intelligence artificielle celle qui fait qu’un jour l’homme perdra le contrôle sur la machine. Perdre le contrôle. Un risque que l’on prend tout de même avec les automates, non pas parce que la machine a pris le pouvoir mais parce que la défaillance mécanique peut jaillir. Une gageure pour un musicien qui laisse ainsi entrer dans son spectacle le risque du hasard, celui de la machine qui répond ou non à sa commande et qui peut finalement de fait se jouer de lui, le dominer: « …Chaque soir, quand je sors de scène, avec mon équipe, on choisit qui a gagné. La machine ou l’homme. Deux fois déjà les automates ont gagné. Je n’étais pas le maître. On attend que je gagne contre eux… »

Au début du spectacle, ce choix artistique, il est vrai, nous déroute, nous déstabilise, peut-être même un peu nous frustre. Une réorchestration dans laquelle on ne retrouve plus ses repères, où les chansons connues, aimées, attendues, deviennent nouvelles, presque inconnues. C’est que les chansons de Stephan Eicher sont tellement ancrées en nous, font tellement partie de nous, que l’on a juste envie de les vivre « en vrai » et de se laisser porter par ces mélodies qui nous accompagnent depuis 30 ans. Et puis on se laisse gagner par la magie annoncée par l’artiste dès le début du spectacle. On se laisse séduire par ces nouvelles sonorités dans lesquelles les instruments peuvent jouer le même morceau tantôt en solo tantôt en groupe les mettant ainsi en valeur; par une présence orchestrale plus forte que dans la version « habituelle»; par l’artiste qui joue avec les instruments et pas seulement au sens musical du terme; par les jeux de lumières qui les révèlent chacun à leur tour; par le spectacle ainsi créé comme celui d’un magicien. De cette musique acoustique mécanique, Stephan Eicher dit qu’elle apporte l’émotion, la nostalgie comme la mélancolie, celles des boîtes à musique qui nous calment et nous rendent sentimentaux par l’usage même de la répétition. On se laisse nous aussi prendre et à notre tour, entrainer, séduire. Et puis il y a la présence de l’artiste. Car Stephan Eicher n’est pas de ceux qui livrent juste leur spectacle et puis s’en vont devant un auditoire qu’ils ont eux-mêmes rendu anonyme. L’artiste nous fait participer à ce jeu qui se joue sur scène entre lui et ses instruments. Il interagit avec la salle, se livre, manie l’humour, la complicité. Un vrai moment de spectacle au sens le plus noble du terme pendant lequel l’artiste se donne, anime la scène comme la salle, construit, crée est généreux et ne se contente pas de « resservir » un spectacle « prêt à consommer ».

Anna Aaron en première partie du concert de Stephan Eicher © photo : Marc Young
Anna Aaron en première partie du concert de Stephan Eicher © photo : Marc Young

En première partie du concert la chanteuse, Suisse, Anna Aaron accompagnée de la bassiste Émilie Zoé fut une révélation. Derrière son apparente fragilité et timidité et une présence tout en respect du public, on découvre une chanteuse aux musiques de piano et  guitare et à la voie, puissantes, fortes et prégnantes mais aux textes souvent sombres.

Stephan Eicher
Anna Aaron, accompagnée d’Émilie Zoé
Samedi 28 février 20h
Théâtre Maisonneuve
Place des Arts http://placedesarts.
Festival Montréal en Lumière. http://www.montrealenlumiere.com

© photos : Marc Young