La Bête à sa mère, l’excellent premier roman de David Goudreault.

David Goudreault La Bête à sa mère © photo: courtoisie
David Goudreault La Bête à sa mère © photo: courtoisie

« ..Ma mère se suicidait souvent. Elle a commencé toute jeune, en amatrice. Très vite, maman a su obtenir la reconnaissance des psychiatres et les égards réservés aux grands malades. Pendant que je collectionnais des cartes de hockey, elle accumulait les diagnostics… Ma mère était discrète, elle se suicidait en cachette la plupart du temps… Contrairement à ce que présentent les rapports officiels, je n’étais pas affecté par ses habitudes. Quand maman sortait la tête de ses enfers, c’était une femme merveilleuse. …J’imagine qu’elle a persévéré. Mais c’est la dernière fois que je l’ai vu attenter à ses jours. On nous a définitivement séparés. Pour ma sécurité et son équilibre. …je savais bien moi qu’elle ne mourrait jamais et qu’il n’y avait que ses berceuses pour m’apaiser. On était une famille spéciale, mais une famille quand même. …Les services sociaux nous ont eus, comme elle disait. J’aurais tout donné pour retrouver ma mère mais les enfants de sept ans ne siègent pas aux tables multidisciplinaires des services de la protection de la jeunesse. …»

Quand le remède est pire que le mal : voilà ce qui pourrait caractériser la lente destruction de cet être. Entre familles d’accueil qui n’ont souvent d’accueil que le nom, foyers pour jeunes, impersonnels et souvent dysfonctionnels, et lacunes ou incapacités à suivre les jeunes qui leur sont confiés, la séparation va conduire l’enfant à une école de la vie qui ne va faire qu’alimenter son auto destruction au rythme effréné des nouvelles ruptures et des échecs. Des ruptures et des échecs qui vont achever de le convaincre que : « …l’essentiel dans les milieux hostiles n’est pas d’être le plus fort mais le plus fou. … ».  Cet homme, éminemment seul, va, ainsi, survivre. Survivre par la création de son propre univers en marge des autres et de la société, construit autour d’un sens de la débrouillardise hors de la norme : Petits larcins, alcool, amphétamines, drogue sexualité sauvage; construit, aussi, par ses déchainements de violence accumulée sur les êtres humains y compris et peut-être même surtout sur ceux avec lesquels il avait ébauché une amorce de relation humanisée,  ou sur les animaux, surtout les chats, ses animaux domestiques qui… s’attachent!!! Ainsi, face la destruction de lui-même, qu’il met autant d’énergie à s’imposer que la société en met à la lui imposer, cette même destruction va lui permettre de surnager en la détournant pour se façonner en un être profondément  égocentrique et s’en faire un bouclier.
Mais survivre, aussi, en sachant conserver, en parallèle, les ressorts d’une possible résurrection : « Knowledge est power, disait aussi Easy-E, célèbre chanteur de Compton. Je savais qu’il me fallait, cultiver le jardin secret de mon cerveau. Je conservais mes habitudes et lisais… » Et surtout survivre en conservant l’espoir de retrouver sa mère. Pour renouer le fil interrompu de sa vie heureuse. Aussi, quand une piste se présente, il n’hésite pas et sait trouver en lui, au milieu de ses dérives, les forces mentales et matérielles pour organiser les retrouvailles. Mais attention il n’a pas droit à l’échec, l’enjeu est trop grand. Échouer c’est l’assurance du naufrage.

Le livre est construit autour de cette quête des retrouvailles. Chaque chapitre, qui prend la forme littéraire d’une petite nouvelle en soi, est une étape. D’abord survivre, malgré tout, et puis cheminer, peut-être, vers de la résurrection en puisant sa force dans l’espoir autant que dans cette capacité atypique qu’il a élaborée à se créer son propre univers et à s’auto-suffire.

La Bête à sa mère est écrit sous la forme du narrateur-héros dont on ne connaîtra jamais l’identité. Un récit de sa vie qu’il rédige «…Pour qu’on sache d’où je viens et que je suis tout à fait conscient de mes gestes… Voici ma version. Je me livre à cœur ouvert…». Un récit à la subjectivité assumée, revendiqué. Un récit qui aurait pu être, aussi, le prétexte à un roman lourd navigant entre le pathos et le manichéisme du portrait à charge autant de la délinquance que des services sociaux. La Bête à sa mère évite avec brio cet écueil et se révèle un livre à la fois riche et foisonnant. Riche et foisonnant dans sa langue et son style. Des phrases courtes, incisives rythmées, mais qui marient avec harmonie, humour, poésie, tendresse, violence, précision et même crudité. On ne peut s’empêcher de penser à l’écriture de Daniel Pennac en lisant ces lignes. Une communauté d’écriture mais aussi d’univers et même d’engagement que l’auteur, David Goudreault, ne renie pas.
Riche et foisonnant dans ses perspectives. Si La Bête à sa mère est l’histoire d’un naufrage hyperréaliste il ne saurait n’être que cela. Il est aussi la quête onirique, cette vie en parallèle que vit le héros, du lien familial, de l’amour filial et du sentiment d’attachement. Loin d’un déterminisme aussi primaire que sordide, le possible résiste tout au long du livre. Le possible d’un geste du destin qui viendrait tout bousculer. « … Je suis un homme chanceux. Quoique je croie que l’on fait sa chance, je ressens la présence d’une puissance supérieure. Elle veille sur moi et me fait des petits clins d’œil …». Le possible de la force des mots pour convaincre. « …Ça ne changera rien (le récit de son histoire). Peut-être tout aussi. Si cela n’excuse pas mon geste, ça peut l’expliquer… ». Le possible de la force de l’amour : « …Ma chambre avait maintenant les dimensions de l’univers, immense comme les possibilités qui s’offraient à moi à nous. Ma mère et moi. Étendu sur le petit matelas inconfortable de ma chambre humide, je me suis vautré dans le confort de l’amour filial et je me suis repassé la scène en sépia …».
Riche et foisonnant dans les sentiments. Ceux vécus, exprimés par le narrateur. Le héros, à l’image de sa vie elle-même, passe, envers lui-même, les personnes qui l’entourent ou les institutions qui rythment son parcours, en permanence et en un éclair, par toute la gamme des sentiments et les vit de façon intense et absolue. : Révolte, tendresse, espoir, désabusement, rejet, haine, amour, violence, dégout. Des sentiments que, nous aussi lecteurs, nous ressentons tour à tour mais parfois en décalage du héros car l’auteur a su préserver notre droit au libre arbitre face à son narrateur.

Dans ce premier roman David Goudreault a su, avec élégance, dynamisme et là encore harmonie, mobiliser et faire dialoguer ses différents parcours personnels: Poète, parolier reconnu, nouvelliste, mais aussi travailleur social, animateur d’atelier d’écriture dans des centres de détention.

La Bête à sa mère nous happe dans l’histoire et les espoirs de son narrateur. Il se lit d’une traite. C’est assurément un premier roman qui en appelle de nombreux autres.

David Goudreault ©  : Jean-François Dupuis
David Goudreault © : Jean-François Dupuis

À propos de l’auteur
Poète et slameur, David Goudreault a été le premier Québécois à remporter la Coupe du monde de slam de poésie, en 2011. Travailleur social de formation, il utilise la poésie en tant qu’outil d’expression dans les écoles et les centres de détention du Québec et de la France. Récipiendaire de la médaille de l’Assemblée nationale du Québec en 2011 pour ses réalisations artistiques et son implication sociale, il a, à son actif, trois albums, ainsi qu’un récit et deux recueils de poésie. La Bête à sa mère est son premier roman.

 

 

La Bête à sa mère
David Goudreault : http://www.davidgoudreault.org
Roman
Couverture, mise en page et Grille intérieure : Axel Pérez de Leon
Éditions Stanké : http://www.editions-stanke.com
Groupe Librex, Québécor Média
Version papier : 22,95$. ISBN : 9782760411708
Version électronique ; 16,99$. ISBN : 9782760411807
Parution : avril 2015
232 pages
Pour lire un extrait : http://www.sogides.com/medias/58/196/feuilleteur/9782760411807/9782760411807.html

© photo: courtoisie
© photo de l’auteur : Jean-François Dupuis (à la prison Winter de Sherbrooke)