Entrevue avec les artisans du film Antoine et Marie, qui prendra l’affiche le 19 juin prochain.

Antoine et Marie
Antoine et Marie

Produit entièrement par des fonds privés et tourné à Alma, le film « Antoine et Marie » a été présenté au public de Alma en grande première, et ensuite à Québec au cinéma Cartier le 16 juin dernier. Pour l’occasion, le réalisateur Jimmy Larouche, ainsi que les deux acteurs principaux du film Martine Francke et Sébastien Ricard ont gentiment répondu à nos questions.

Mon appréciation du film sera sur ce site dès vendredi le 19 juin, journée de la sortie officielle du film en salle un peu partout dans la province.

Synopsis

Au lendemain d’un 5 à 7 entre collègues de travail, Marie (Martine Francke) se réveille seule, dans un taxi, sans le moindre souvenir de sa soirée. Que peut-elle répondre à son conjoint (Guy Jodoin) qui la suspecte de l’avoir trompé? Et si Antoine (Sébastien Ricard), livreur de pièces automobiles, possédait la clé de cette énigme… « Antoine et Marie » trace le portrait troublant de deux êtres aux destins séparés, unis à jamais par un même drame.

Le film est pour les 16 ans et plus

Jimmy Larouche
Jimmy Larouche

Réalisateur Jimmy Larouche

Vos sujets de films ne sont jamais reposants. La cicatrice qui traitait de l’intimidation, puis maintenant le sujet de l’agression sexuelle au GHB. Pourquoi ce sujet et pourquoi l’aborder de manière si dénudée de mot, de musique, tout en silence en fait, et en ne montrant même pas le viol? « J’ai voulu parler de ce sujet, car c’est un drame au Québec, mais aussi un peu partout dans le monde. 50 % des femmes au Québec ont déjà été victimes d’une forme d’agression à caractère sexuel dans leur vie. C’est immense. C’est arrivé à une ex-copine, des amies, de la famille. Et pourquoi l’aborder de cette façon? Je voulais que les gens, en écoutant le film, ressentent ce que le personnage de Marie ou toute autre victime d’agression sexuelle va ressentir. Tous ces questionnements, toute cette douleur qu’elles ne peuvent pas exprimer de peur d’être jugées.  Et les silences sont à l’image de ce que le personnage de Marie doit vivre. Elle doit garder cela pour elle, en dedans, de peur d’être jugé par une société qui continue à rendre coupable, à faire sentir coupables, des victimes. Parce qu’elle avait un décolleté, parce qu’elle a des amis de gars, parce qu’elle aime prendre un verre. »

Vous portez tous les chapeaux : Scénariste, réalisateur, producteur et distributeur et vous préférez tourner dans votre ville natale Alma, pourquoi? « C’est la manière que j’ai trouvée de faire des films. C’est dur d’être subventionné au Québec. Il y a beaucoup de gens qui veulent des subventions et très peu sont disponibles. Et comme je ne veux pas attendre 3 à 5 ans avant d’être peut-être subventionné pour mon film, car j’aime trop ça faire des films, alors je me trouve d’autres moyens pour réussir. Donc, j’ai trouvé des investisseurs privés, des amis, des entreprises, et la ville d’Alma. J’ai eu énormément d’aide des gens qui croient en ce que je fais. En fait, le film est à eux, autant qu’à moi. »

Vous avez un site internet qui a été conçu pour le film par Catherine Audet (très beau site vraiment) et on y retrouve une liste des chansons sur la trame sonore du film avec des extraits des chansons, comme la pièce « Creeps are Fighting Back » du groupe Les Hatchbacks, « End it all »  du groupe Lucy Loves Lenin, la chanson thème du film Antoine et Marie,  » Stay Tonight  » du groupe Dear Criminals, ainsi que  » Petite Mort  » et « Face the Odds » deux autres chansons de ce groupe montréalais et finalement « The Envy », une chanson composée, réalisée et arrangée par Fred Voss et interprétée par Zeina Aridi. Mais au final, quand on écoute le film, on entend vraiment que la chanson Stay Tonight durant le générique. Où sont les autres pièces dans le film, je ne les ai pas remarqués. ? « Il y a deux formes de musique au cinéma. La musique extra diégétique, c’est celle qui arrive d’ailleurs, c’est la trame sonore qui est ajoutée dans le film pour créer l’ambiance avec des violons, pour aller chercher l’émotion chez le spectateur.  Tandis que la musique intra diégétique vient de l’intérieur du film. Par exemple, pendant que Marie travaille au garage, on entend la radio dans le garage et elle joue une chanson. Quand ils sont dans le bar, on entend en sourdine la musique de fond qui joue dans le bar. Lorsque la fille d’Antoine est chez elle, elle écoute de la musique dans sa chambre. C’est de la musique qu’on entend peu, mais pour moi c’était important qu’elle soit bonne. Et j’ai eu la chance d’avoir énormément de groupes, dont Dear Criminals qui ont fait la chanson du générique, qui ont accepté de me laisser utiliser gratuitement leurs chansons. »

Quel a été le plus grand défi pour vous, que ce soit en tant que réalisateur ou vos autres chapeaux que vous avez portés? « Pour moi, la réalisation, c’est mon bonbon. Pour le montage, j’ai travaillé avec Mathieu Demers et tout ça s’est fait dans le plaisir. Le plus difficile je te dirais que c’est la production, soit trouver l’argent nécessaire pour faire le film et la distribution, car je le distribue également avec Chantal Pagé, ma partenaire en distribution, à travers ma compagnie Alma Films. C’est énormément demandant quand tu n’as pas de moyens de trouver des façons que les gens voient le film. »

Une campagne promotionnelle innovatrice et originale a été conçue pour la sortie en salle du 2e long métrage de Jimmy Larouche. En effet, les billets pour assister aux séances du film ont été mis en prévente et, sur présentation de leur coupon de cinéma, les spectateurs obtiennent une consommation gratuite dans un des établissements partenaires. De plus, 30 000 sous-verres ont été distribués dans de nombreux bars à travers le Québec afin de sensibiliser les gens au danger du GHB (drogue du viol).

Martine Francke
Martine Francke

Martine Francke

Vous jouez Marie, une femme du début de la quarantaine victime d’un viol au gamma-hydroxybutyrate (GHB). Comment se prépare-t-on pour jouer un tel rôle? « J’ai rencontré des victimes du viol et aussi des victimes de la drogue GHB qui se sont fait violer.  Ces femmes m’ont dévoilé leur intimité grave et profonde si bien que cela m’a transporté tout le long du tournage.  J’ai discuté beaucoup avec Jimmy. On a rencontré une criminologue. J’ai lu sur le choc post-traumatique et sur le viol. J’avais besoin d’en savoir beaucoup pour bien me préparer et ensuite arriver sur le plateau et complètement m’abandonner à Jimmy et ce personnage de Marie, d’une grande profondeur. Ce fut un long processus d’apprentissage. J’ai même dû apprendre à pêcher avec Jimmy Larouche pour que mon personnage semble à l’aise de le faire, car moi-même je n’y connaissais rien à la pêche. Je me suis donc investie avec tout mon abandon et ma connaissance de la douleur. Et je me suis sentie comme une porte-douleur pour ces femmes que j’ai rencontrées, tout au long du tournage. Et encore aujourd’hui, je regarde le film et je pense à ces femmes qui sont blessées pour le reste de leur vie à cause du viol et ça me bouleverse profondément. »

Votre personnage parle peu. Est-ce plus difficile à jouer et faire passer les émotions quand on parle si peu? « Non pas du tout, car on comprend que ces femmes-là, victimes, vivent dans le silence. Elles ont une douleur silencieuse. Elles ne veulent pas parler, et ne peuvent pas parler. Et quand elles dénoncent, ce qui est rare, c’est extrêmement douloureux. Donc, Jimmy voulait faire un film silencieux parce que ces femmes sont pleines de silence. On ne pouvait pas parler tant que ça. Ce n’était pas nécessaire. »

Tourné à Alma, loin de notre quotidien, est-ce que cela aide à s’ancrer encore plus dans le rôle? « Absolument. Je n’avais pas à être déconcentrée par ma vie quotidienne. J’étais complètement happée par mon personnage, par les lieux. Cela m’a permis de me concentrer corps et âme entièrement. »

Comment est-il Jimmy comme réalisateur, car vous deviez vous sentir à l’aise de vous abandonner ainsi à lui? « Jimmy est un être sensible et profond. On en a tellement parlé avant. Cela faisait en fait plus d’un an qu’on se parlait du film, avant même de tourner. Car c’est après avoir tourné dans son film la cicatrice que j’ai dit à Jimmy vouloir participer à un autre projet avec lui, de plus grande envergure si c’était possible. Car j’ai vraiment eu un coup de foudre professionnel pour cet homme et c’était réciproque. Il y a une chimie qui s’est opérée artistiquement. Alors il m’a proposé justement ce film sur le viol avec Marie comme personnage pour moi. Et c’est de là qu’on a travaillé ensemble sur ce projet dans les tous débuts. Et je dois dire que Jimmy a énormément de respect pour le sujet qu’il traite. Et reste que c’est un homme qui réalise un sujet grave de femmes. Et il le fait magnifiquement, avec tellement de compassion envers les femmes. »

Vous avez eu de grands défis dans ce rôle, je pense par exemple à la scène de lit avec votre mari joué par Guy Jodoin, c’est dur pour nous à regarder, j’imagine que c’est dur pour vous à jouer ? « Oui c’est dur à voir, à jouer et à vivre. J’avais demandé au réalisateur de pouvoir tourner ces scènes avec un homme avec qui je serais à l’aise. C’est quand même assez délicat et je voulais me sentir confortable avec cet homme-là, car on a une scène intime dans le lac, des scènes de crises et une scène dans le lit. Je voulais donc me sentir respecté dans ce film. Jimmy a eu beaucoup de générosité et d’ouverture, car il m’a demandé de faire une liste de noms de personnes avec qui je serais à l’aise. Dans la liste, certaines personnes ne pouvaient pas. Puis j’ai proposé le nom de Guy Jodoin. Je trouve qu’il est sous-estimé comme acteur dramatique. Je l’ai connu, il y a longtemps à la LNI. Sa générosité était évidente et exemplaire. Comme Jimmy ne le connaissait pas, il m’a laissé l’appeler moi-même pour lui demander de jouer le rôle de mon mari. Ça faisait très longtemps qu’on n’avait pas travaillé ensemble et il a été ravi et ému que je lui demande. Et au final, il a été un partenaire idéal. »

Avez-vous d’autres projets en cours? « Oui, au théâtre. Je joue dans la pièce Boeing Boeing du 13 juin au 5 septembre à la Maison des arts Desjardins de Drummondville. Également je prépare un spectacle solo, Aller-retour, que j’ai écrit avec le musicien Jean-Claude Marsan. Je le présente en rodage au théâtre de la Marjolaine d’Eastman, les dimanches et mardis, du 26 juillet au 16 août. »

Sébastien Ricard
Sébastien Ricard

Sébastien Ricard

Que pensez-vous de la façon dont Jimmy Larouche a abordé ce sujet du viol par la drogue du GHB? « Dès le début, j’ai trouvé l’idée belle à plein d’égards. Par exemple, dans la cicatrice, j’avais trouvé qu’on avait trop insisté sur l’aspect intimidation. Tandis que le film Antoine et Marie, oui, cela aborde le thème du viol, mais ça parle surtout d’une communauté, de vivre ensemble via les destins individuels qui sont traumatisés par un événement central. Cela parle aussi du problème de l’incommunicabilité des gens, des tabous aussi. J’aime bien qu’on présente les vies d’Antoine et Marie, en parallèle. On ne montre pas le viol non plus. On insiste plus sur l’impact humain d’un tel acte en fait et surtout de la faillite collective par rapport au support que devrait avoir la femme victime de ce genre d’événement. Également, je trouve cela audacieux de voir comment ce film a été bâti avec autant de participation d’autant de gens de la ville d’Alma qui ont voulu s’impliquer avec Jimmy. »

Votre personnage, on le connaît peu, mais on comprend qu’il a des problèmes d’intimité avec sa femme et qu’il a des problèmes en général à entrer en communication avec les femmes en fait. Vous, comment l’avez-vous abordé ce rôle? « Plus je travaille dans ce métier d’acteurs, plus je me rends compte que tu peux travailler beaucoup avant, mais c’est vraiment en jouant le personnage lors du tournage que tu saisis vraiment de quoi il est question. Le rôle se révèle à toi à ce moment-là vraiment, quand tu commences à le faire. Il suffit d’arriver libre sur un plateau, le plus possible disponible à l’autre avec qui tu vas jouer et aux indications du réalisateur. Pour mon personnage, les indications de départ, c’était qu’Antoine avait une grande colère en lui, une souffrance indicible et un problème de communication fondamental. Et donc, plus t’avances là-dedans, plus tu t’enfermes là-dedans et cela lui donne des pulsions morbides. Malgré tout, j’ai essayé d’être généreux avec mon personnage pour lui donner une certaine dose d’humanité quand même. Ce n’est pas parce que c’est un personnage sombre qu’il ne peut pas avoir quand même une certaine humanité et je me devais d’être généreux avec lui pour ça. Et c’est intéressant de mettre ce genre de personnage-là à l’écran, car ils existent ces hommes autour de nous. »

Tourné à Alma, loin de notre quotidien, est-ce que cela aide à s’ancrer encore plus dans le rôle? « C’est toujours une bonne idée de pouvoir s’isoler ailleurs. Être dans un autre milieu ça aide à plonger davantage. Et cela a teinté tout le film d’avoir la communauté d’Alma qui a participé d’une manière ou d’une autre au film. C’est la première fois que j’ai vécu quelque chose de semblable. »

Vous avez assisté à la projection du film à Alma, où s’est tourné le film. Comment cela s’est-il passé? « C’était fascinant de voir comment toute une société, toute la ville d’Alma, qui a mis tellement d’énergie derrière le projet de Jimmy de diverses façons, d’assister à la projection chez eux. C’est un peu leur film, vous savez. Alors c’est sûr, ce film frappe fort et les gens étaient émus, et touchés. Et il faut le dire, c’est vraiment le temps qu’on en parle de ce sujet qui est tabou, qu’on ne parle jamais et qui pourtant est une réalité qui est beaucoup plus fréquente qu’on le pense. Donc, d’avoir ce genre de film québécois qui parle de nous québécois et d’une réalité qui est vécue ici au Québec, c’est génial. En espérant que ça fasse réfléchir maintenant! »

Pour la galerie de photos lors du tapis rouge au cinéma Cartier : https://www.flickr.com/photos/infoculturephotos/sets/72157654260343308

À Tire-d’Aile CALACS
À Tire-d’Aile CALACS

Antoine et Marie a obtenu le Grand Prix Focus du Festival du Nouveau Cinéma, à Montréal, l’automne dernier. Il a aussi remporté un « Rising Star Award » au Festival international de film du Canada et a été sélectionné en compétition au Festival Cinequest, en Californie.

Ce film a été tourné à Alma, sans l’aide des institutions subventionnaires, avec une somme de 400 000 $ et surtout le soutien de plusieurs commerçants et de la population locale.

Le film  Antoine et Marie est associé aux centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS).  À Tire-d’Aile CALACS était présent lors de la première médiatique au Cinéma Cartier de Québec, le 16 juin à 19 h, afin de présenter sa mission au public. Une cueillette de dons a été effectuée et des projections spéciales d’Antoine et Marie seront organisées par la suite. En plus d’offrir de la visibilité à CALACS, tous les revenus de ces projections seront remis à l’organisme.

Scénario et réalisation

JIMMY LAROUCHE

Producteurs
DAVID-OLIVIER ST-DENIS
PATRICIA DIAZ
JIMMY LAROUCHE

Direction de la photographie
GLAUCO BERMUDEZ

Direction artistique
JOËLLE PÉLOQUIN

Conception sonore
ANDREAS MENDRITZKI

Costumes
MARILYNE GARCEAU

Montage
MATHIEU DEMERS

Producteurs exécutifs
ÈVE-MARIE OUELLET
VILLE D’ALMA
PASCAL PILOTE
STÉPHANE HARVEY
FRÉDÉRIC BLANCHETTE
MATHIEU DEMERS
THANH-NAM PHAM

Production
ANTOINE ET MARIE FILM

Distribution au Canada
ALMA FILMS

 

Site Internet: http://www.calacslevis.org

site Internet officiel antoineetmarielefilm.com

Facebook : https://www.facebook.com/calacs.tiredaile?fref=ts

Crédit photos : Réjeanne Bouchard