C’est sur les chemins tortueux de l’immigration et les revers du rêve que nous emmène Olivier Choinière avec sa pièce Polyglotte. Le spectateur est accueilli par un agent d’immigration et par ce qu’on peut imaginer être la musique solennelle de la cérémonie d’assermentation canadienne, lieu où se déroule l’action. Le décor est sobre, des murs blancs capitonnés sur lesquels sont projetées des images et un tourne-disque personnifiant « la voix ». Le propos, c’est la trajectoire d’hommes et de femmes qui, partis chercher des conditions de vie meilleures, ont plutôt trouvé l’assimilation et le désenchantement.
Cette voix, qui appartient à un personnage gouvernemental que nous ne verrons jamais, ponctue la pièce de phrases stéréotypées et de questions de toutes sortes. « Pendant 400 ans, les colons et les immigrants ont contribué à la richesse de notre pays ». Nous comprenons où nous glissons: du côté du sarcasme. Entre en scène une Iranienne voilée d’un bout de tissu fuchsia. Elle, c’est l’Immigrant, l’étranger, l’autre. Celle qui peut faire peur. Et pourtant, elle fera bientôt partie de « la grande famille canadienne ». Arrivent à sa suite huit futurs résidents tous aussi colorés et vibrants, mais tous bridés par la voix. Cette censure est fort bien illustrée par le feu que doit allumer un des personnages pour brûler un livre contre les gaz de schiste. Les prises de positions ne sont pas toujours tolérées dans ce beau pays…
Ils sont appelés « candidats » et portent des numéros. Ce sont des immigrants de tous horizons: une journaliste haïtienne qui vend maintenant des cafés, un ingénieur égyptien contraint à travailler dans le service à la clientèle… Les personnages doivent démontrer une connaissance et un attachement au pays que peu de gens peuvent se vanter d’avoir. Après tout, quel Canadien peut chanter l’Ô Canada en entier et connaît la distance Montréal-Sorel par coeur? Tout ira bien pour eux, du moment où ils démontrent leur capacité à faire tourner la machine et leur relative soumission à cette machine.
Selon l’auteur lui-même, le propos de Polyglotte n’est pas l’immigration mais le « discours dominant ». Et c’est de façon admirablement inventive qu’il en fait la démonstration avec cette pièce engagée, construite autour d’extraits originaux d’une méthode de conversation destinée aux nouveaux arrivants dans les années 60 (La méthode Poly-Glote). Bien que les phrases datent un peu, elles soulèvent des enjeux encore actuels tels que l’eldorado, les préjugés, l’hypocrisie des pouvoirs et le racisme latent.
Polyglotte, d’Olivier Choinière
Présenté au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 3 octobre
Texte et montage: Olivier Choinière
Mise en scène: Olivier Choinière et Alexia Bürger
Interprétation: German Barragan, Tatiana Burtin, Mondiana François, Samira Ghorbani, Jorge Juarez, Mahmoud Shawky Ali, Pamela Robertson, Somnath Shinde, Mireille Tawfik, Farlene Thelisdort et Edward Wong.
Décors, costumes et accessoires: Elen Ewing
Lumières et vidéo: Gonzalo Soldi
Conception sonore: Éric Forget
Assistance à la mise en scène et régie plateau: Camille Gascon
Régie générale: Dominique Hawry
Régie plateau: Julien Veronneau
Direction de production: Annie Lalande
Direction technique: Caroline Turcot
Une coproduction de l’Activité et du Festival Transamériques
Informations et billets: http://auxecuries.com/projet/polyglotte/