L’heure sans ombre de Benoît Bouthillette, le somptueux retour de l’inspecteur Benjamin Sioui

L'heure sans ombre,  Benoît Bouthillette © photo : courtoisie
L’heure sans ombre, Benoît Bouthillette © photo : courtoisie

« …Je t’ai choisi Benjamin. Je suis Yemaya, la mère des mers, la mère des Océans. Qu’une divinité, qu’une Orisha t’ait possédée sans que aies été initié au préalable, fait de toi le dépositaire d’une mission mais d’une charge aussi. …Je suis entrée en toi. Je t’ai possédé. J’ai pris possession de toi, de la manière que toi-même me possède aujourd’hui en toi. Je t’ai chevauché. C’est ce que les croyants nomment la somme du cheval. Te chevaucher signifie beaucoup plus que je me suis chevauchée à toi, que je me suis superposée à toi. Toi et moi sommes unis par une intimité sans borne désormais. En m’en remettant à toi, je te confie, malgré toi, la tâche absolument désespérante et sans limite de préserver l’unité du monde. C’est une tâche inhumaine, je le sais, et c’est pour cela que tu dois laisser de côté tous tes réflexes pour retrouver tes instincts. …À travers la pureté de cette île, une partie de ce monde est en péril Benjamin. Le monde est la somme de ses parties, C’est aussi ça la Somme du cheval. Et, aujourd’hui, plus que jamais, après ce siècle de toutes les horreurs, son équilibre est en danger…Il t’incombe, je te le répète, de préserver l’équilibre du monde Benjamin…Pour l’instant, ferme les yeux, retourne à tes rêves. Redeviens policier. Et tente de répondre à cette question-là :  Donde estan los niños? Car des enfants meurent Benjamin…  »

C’est par cette initiation que Benjamin Sioui, inspecteur à la Sureté du Québec, d’origine amérindienne, une origine qui a aussi fait de lui un chaman, se trouve plongé dans le mystère de la disparition répétée d’enfants dans l’île de Cuba. Cuba, une île dans laquelle il a posé ses valises en attendant l’arrivée de celle qu’il a laissé au Québec et qui, il le sait maintenant, ne viendra pas le rejoindre. Une île, un pays, un régime qu’il a choisi pour y avoir déjà mené une enquête en collaboration au nom du Québec avec les autorités locales sur des vols d’œuvres d’art. Une collaboration que son anticonformisme a surement favorisée dans un monde et une culture si différente. Un pays où il a conservé dans la hiérarchie policière de solides amitiés. Dès lors, Benjamin se retrouve au cœur d’une enquête qu’il va suivre en accord conjoint entre sa hiérarchie québécoise et  les autorités cubaines et qui va le conduire à travers tout le territoire cubain. Une enquête qu’il va mener,  non pas comme l’étranger qui en impose et s’impose face à des autorités locales supposément dépassées mais comme un homme respectueux des prérogatives d’un pays, d’une législation, d’une culture, d’un mode de vie et du travail d’enquête dans lequel il se doit de rester l’observateur qui apporte son aide. Une aide, on l’aura compris, concrète, précise, qu’il puise dans ses compétences de policier enquêteur formé à la sémiologie en même temps qu’à la science archivistique. Une démarche qui rejoint les consignes qu’il a reçues de de Yemaya, la déesse mère : « …Ne perds jamais prise avec le réel, Benjamin. Lutte quoi qu’il advienne … ». Mais une aide aussi venue du pouvoir de Chaman de Benjamin qui devient vite un passeur entre le monde réel et celui des forces qui s’exercent au-delà dans l’univers de la Santeria, le vaudou cubain auquel il a été initié dès le commencement du livre. Très vite, les faits et leurs implications auxquels ont à faire face Benjamin et les policiers que l’État cubain a mis avec lui sur l’enquête donnent raison à la prédiction de Yemaha. « …Cette disparition d’enfants touchent à l’avenir et aux racines de l’humanité… »

L’Heure sans ombre est un livre foisonnant aux multiples regards. Plusieurs lectures non pas se superposent ce qui pourrait induire une juxtaposition incohérente ou laborieuse mais au contraire se nourrissent, se croisent, s’entrecroisent et dialoguent pour créer un livre superbe. Le roman se construit par ces récits mêlés et jamais emmêlés : la quête d’un homme sur lui-même, ses origines; les réflexions sur les religions catholicisme d’un côté, religions et croyances traditionnelles de l’autre et sur les ponts souvent a priori improbables et pourtant bien réels qui se construisent entre elles; la naissance et le développement d’un amour intense entre deux êtres comme la force des amitiés qui se retrouvent ou se tissent au delà des cultures; la découverte de l’autre et notamment celle de la société cubaine si vivante, vibrante et contemporaine et si loin des clichés et de la propagande des pro et anti Castro . Chacun de ces récits est mené à son terme sans que jamais l’un ou l’autre ne paraisse plaqué, superficiel ou, au contraire, omnipotent dans le cheminement de l’intrigue. Que ce soit Cuba ou les religions traditionnelles notamment leur présence et leur traitement témoignent, ne nous y trompons pas de la profonde culture, connaissance intime et ouverture de l’auteur.

Et puis il y a cette écriture, superbe, tout au service de ce magnifique projet littéraire. La aussi, l’auteur sait faire appel aux différents styles sans jamais qu’ils s’entrechoquent. Tour à tour poétique, hyperréaliste, fantastique, descriptive ou sensuelle l’écriture est toujours celle qui convient le mieux à la dimension du moment dans ce livre aux multiples facettes. La langue est toujours belle, lumineuse, visuelle, colorée. Elle nous entraîne, nous fait voir, vivre, aussi bien ce Cuba magnifique que les transes religieuses, l’amour absolu entre deux êtres, la forte complicité de l’amitié ou les horreurs de la vérité crue des crimes de sang et d’une enquête criminelle.
L’heure sans ombre est assurément un des livres qui font la rentrée littéraire de cet automne. Il dépasse bien largement par sa puissance et sa force créatrice la catégorisation, ici le roman policier, pour devenir une œuvre complète qui transcende les genres.

Benoit Bouthillette © Richmond Lam
Benoit Bouthillette © Richmond Lam

L’AUTEUR
Benoît Bouthillette a commencé sa carrière en remportant le prix Saint-Pacôme du roman policier 2005 pour La trace de l’escargot, un roman désigné dans La Presse parmi les dix plus beaux romans d’amour de tous les temps. Après une grave blessure au dos, il reviendra au métier par le biais de la littérature pour la jeunesse ainsi qu’en tant que directeur littéraire. Sa nouvelle publiée dans le recueil Crimes à la librairie braque à nouveau les feux sur son enquêteur. Benoît Bouthillette aura bientôt cinquante ans et il vit un bonheur tranquille dans les Cantons-de-l’Est.

 

 

L’Heure sans ombre, La somme du cheval partie 1
Auteur : Benoît Bouthillette
Roman policier
Collection Reliefs dirigée par Anne-Marie Villeneuve
Conception de la couverture : Anne Tremblay
Photo de couverture : Peeter Viisimaa / istock
Photographie de l’auteur : Richmond Lam
Éditions Druide : www.editionsdruide.com
ISBN: 978-2-89711-238-7 (Papier)
ISBN: 978-2-89711-240-0 (Pdf)
ISBN: 978-2-89711- 239-4 (Epub)
552 pages
Broché
29,95 $

En librairie le 4 novembre 2015
© photo de la couverture : courtoisie
© photo de l’auteur : Richmond Lam