Jeudi, le 14 janvier dernier, avait lieu au Théâtre du Trident, la première médiatique de la très attendue pièce Quills, mettant en scène Robert Lepage et qui traite du séjour du marquis de Sade à l’asile de Charenton en 1801. Robert Lepage s’est à nouveau surpassé! Un véritable génie!
Résumé
Le récit prend naissance en France, sous Napoléon 1er, dans le paisible asile de Charenton, dont le plus célèbre pensionnaire est nul autre que le flamboyant, l’irrépressible marquis de Sade. L’abbé de Coulmier, directeur de l’établissement, croit pouvoir réhabiliter cet homme qui explore par sa plume les interdits de l’être humain, ses pulsions sexuelles et ses désirs immoraux.Malgré l’omniprésence de l’abbé, Sade, aidé par la jeune lavandière Madeleine, continue de faire publier ses récits sulfureux. Napoléon Ier envoie donc à l’asile le docteur Royer-Collard pour faire taire ce fou dont les écrits mettent en péril les fondements moraux de la société. Mais jusqu’où ira-t-il pour l’arrêter? Censure et liberté d’expression s’entrechoquent et s’affrontent dans cette pièce marquante qui questionne à la fois la responsabilité de l’artiste face aux répercussions de son œuvre et la définition même de la morale, dont les repères ne sont pas aussi immuables qu’on le croit.
Les mots me manquent pour décrire les émotions qui m’ont envahie pendant cette magistrale pièce de théâtre cinématographique, ainsi qu’au sortir de la salle. Après une ovation debout de plusieurs minutes, en quittant, je me suis retrouvé sans mot, cherchant mon souffle, tentant de reprendre mes esprits et revenir à la réalité.
L’essence même du personnage du Marquis de Sade est représentée dans cette pièce de plus de 2 h 15 sans entracte. Pour incarner le plus grand que nature Marquis de Sade, personne d’autre que Robert Lepage n’aurait pu l’interpréter de manière plus juste. Avec son allure fière, son talent de conteur, son charisme et sa présence qui incite à l’écoute, son personnage nous allume avec ses propos érotiques et pervers. Il nous titille avec son utilisation habile de sa plume, sa capacité à créer des images érotisantes en nous. Il nous dégoûte aussi parfois du sadisme et de la violence verbale dans ses histoires à saveur érotique. Puis, dans sa lente descente aux enfers, où il goûtera à sa propre médecine de sadisme, Robert Lepage verra son Marquis se mettre littéralement à nu et se faire démembrer et nous donner une performance de jeu inoubliable! Le rôle d’une vie! Même à son plus bas, alors qu’il est complètement nu, le Marquis conserve sa verve, sa dignité, sa prestance.
À ses côtés Jean-Pierre Cloutier lui donne la réplique avec tout autant de ferveur. Leurs tête-à-tête, leurs combats, l’un pour la survie de son art, l’autre pour se faire aimer par Dieu, sont des délices à regarder et à écouter. Des dialogues crus autant sur le sexe que la religion, nous tiennent en haleine. Un véritable combat de coq dont personne n’en sortira vraiment vainqueur, ni sans y laisser des plumes.
Érika Gagnon, Mary-Picknell et Pierre-Olivier Grondin complètent la distribution de cette pièce inoubliable. Ils incarnent avec intensité et efficacité les divers autres personnages qui gravitent autour du Marquis dans cet asile.
Durant la première partie de cette pièce, on prend plaisir à découvrir le Marquis de Sade et à écouter ses histoires. On passe du rire, au désir, à l’excitation, puis à l’aversion et la répugnance et au dégoût, à tout moment. Il est intéressant et divertissant de voir le docteur Royer-Collard (joué avec brio par Jean-Sébastien Ouellette ) le médecin en chef de Charenton, cette maison de fous, ainsi que l’abbé de Coulmier (Jean-Pierre Cloutier) tenter de maîtriser et contrôler ce Marquis. Plus ils tentent de le brimer dans l’expression de son art d’écriture et de raconter ses histoires, plus le Marquis trouve des moyens, pas tous très orthodoxe, de continuer de s’exprimer.
La deuxième heure de cette production théâtrale sombre lentement dans la torture, l’horreur, la folie pure. On est sur le bout de notre siège. Et la finale est à couper le souffle. J’en suis ressortie complètement étonnée et déroutée.
Pièce de théâtre audacieuse pas seulement sur le fond, mais également sur la forme, Robert Lepage, Jean-Pierre Cloutier et Ex Machina, on imaginé un espace scénique et une mise en scène des plus originales. Ils sont littéralement le père, le fils et le Saint-Esprit de la création, dans cette production de Quills. Sans l’aide de projection vidéo, ce trio créatif nous offre une proposition de théâtre cinématographie géniale, en intégrant dans son décor, des murs de miroirs, sur un plateau rotatif. Ces miroirs sont tantôt des portes coulissantes, tantôt ils permettent le reflet, puis avec l’ajout de lumière en arrière, ils nous font découvrir un autre lieu, un souvenir, un moment passé. Bref, on est constamment dans l’action, dans le mouvement, dans le procédé cinématographique.
Cette pièce à l’humour très noir, est sans contredit, un de mes coups de coeur à vie en théâtre! Peu de spectacles peuvent bouleverser autant. Une expérience de théâtre à vivre une fois dans une vie assurément!
Pour la galerie de photos : https://www.flickr.com/photos/infoculturephotos/sets/72157663452204355
Quills est présenté au Théâtre du Trident du 12 janvier jusqu’au 6 février.
Le spectacle comporte du texte et des scènes au contenu sexuel explicite. Le spectacle est donc conseillé à un public averti, âgé de 16 ans et plus.
mardi 19h, mer au ven 20h, sam 15h durée 2h15
Puis la pièce sera présenté à l’Usine C à Montréal du 17 mars au 9 avril 2016 pour son 20e anniversaire
TEXTE Doug Wright
TRADUCTION Jean-Pierre Cloutier
MISE EN SCÈNE Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage
AVEC Robert Lepage, Jean-Pierre Cloutier, Érika Gagnon, Pierre-Olivier Grondin, Jean-Sébastien Ouellette et Mary-Lee Picknell
Assistance à la mise en scène Adèle Saint-Amand
Scénographie Christian Fontaine
Environnement sonore Antoine Bédard
Conception des éclairages Lucie Bazzo
Conception des costumes Sébastien Dionne
Accessoires Sylvie Courbron
Production Ex Machina
Coprodution Théâtre du Trident
http://lacaserne.net/index2.php/theatre/
Crédit photos : Lise Breton
