Territoires de paroles : la dramaturgie contemporaine étrangère à l’honneur

Territoires de paroles © Photo de courtoisie
Territoires de paroles © Photo de courtoisie

C’est avec, Je disparais, le texte fort du Norvégien Arne Lygre, qu’a débuté cette première édition d’une semaine consacrée à la dramaturgie contemporaine étrangère à Montréal.

Durant une seule semaine et pour cinq soirées seulement, cinq auteurs différents ont été sélectionnés pour être présentés sur la scène du Prospéro. Quasiment pas de mise en scène au sens théâtral du terme – ni décors, ni costumes, ni musique ou si peu… –  des acteurs qui lisent leur texte devant les spectateurs, mais qui par leur présence, leur talent, et peut-être aussi grâce en partie à ce dépouillement scénique, font ressortir de ces textes des émotions qu’on n’atteindrait sans doute pas à la seule lecture que l’on pourrait en faire soi-même.

C’est en tout cas ce que j’ai ressenti à l’audition de Je disparais par cinq acteurs excellents, quatre femmes (Marie-France Lambert, Anne-Marie Cadieux, Alice Pascual, Marie-Claude Langlois) et un homme (Benoît Gouin) – et avec quand même la mise en scène essentielle de Catherine Vlidal- , venus incarner une foule de personnages présentés dans la pièce de Arne Lygre. Aucun d’eux n’a de nom : il y a Moi, Mon amie, La fille de mon amie, Une étrangère plus un tas d’autres personnages encore moins nommés. On ne sait pas bien où ils vivent : un pays qui ressemble au nôtre mais qui soudain peut basculer dans autre chose. On ignore aussi l’origine précise des catastrophes qui atteignent soudain les personnages : l’arrivée d’une dictature, une guerre, une révolution, une nécessité de s’exiler. À quoi s’ajoutent tous les événements dramatiques de la vie et qui surviennent sans prévenir : la maladie, l’effondrement d’un bâtiment, un accident de la route, un incendie, la perte d’un enfant…

Dans cette pièce à la fois minimaliste et foisonnante de personnages, en apparence déconstruite mais en vérité très structurée, et qui dévoile les multiples scènes comme des exercices d’écriture à tiroirs, on suit le personnage de Moi, cette femme mariée qui attend son mari pour quitter la maison d’où elle préfèrerait ne pas partir. Mais le mari n’arrive pas et Moi s’exile avec son amie et la fille de celle-ci. Le mari, on l’apprendra plus tard, a fait un autre choix, celui de rester et de s’adapter à la situation nouvelle. En chemin, les deux femmes observent des situations dramatiques qui arrivent à d’autres et qui les font réfléchir. L’homme en fait autant.

Territoires de paroles © Photo de courtoisie
Territoires de paroles © Photo de courtoisie

Impossible de ressentir la douleur d’autrui, de prendre à cœur ce qu’une autre personne ressent, d’éprouver ce que les autres éprouvent, y compris des proches, y compris soi-même… C’est un peu le leitmotiv de toute la pièce et du propos de Arne Lygre. Et ce leitmotiv a de multiples conséquences. Chacun de nous se définit par les liens qu’il a avec d’autres. Moi a son mari, Mon amie a sa fille, tous les personnages sont fortement liés par des liens de filiation, d’amitié ou d’amour. Et pourtant. Lorsque le moi est atteint, ces liens – que chacun avait juré plus fort que tout – ne pèsent plus aussi lourd face à l’adversité.

Arne Lygre semble vouloir faire réfléchir sur le paradoxe qui fait que l’humain, lorsque tout va bien, mise sur ces liens avec autrui qui le font vivre. Mais qu’advienne une catastrophe et il ne pense plus qu’à lui-même (il peut ressentir de la honte et d’autres sentiments, mais ils finissent par passer)… Un nouveau départ se présente alors qui nécessitera de nouveaux liens, qu’on prétendra, de nouveau, tout surpasser…

Malgré leur côté très succinct, les réflexions des personnages sont d’une très grande profondeur et donnent beaucoup à réfléchir. La vision de l’auteur est sans doute pessimiste, elle m’a semblé avoir sa part de vérité. Et la présentation dépouillée de spectacle était propice à la réflexion.

Territoires de paroles ne dure que cinq soirées. C’est un événement qu’il ne faut pas manquer.

Mardi 5 avril : Je disparais d’Arne Lygre, écrivain et dramaturge norvégien.

Mise en lecture par Catherine Vidal

Avec Anne-Marie Cadieux, Benoit Gouin, Marie-France Lambert, Marie-Claude Langlois, Alice Pascual

Mercredi 6 avril : Temps universel +1 de Roland Schimmelpfennig, dramaturge allemand.

Mise en lecture par Christian Lapointe

Avec Monique Miller

Jeudi 7 avril : Harper Regan de Simon Stephens, dramaturge britannique.

Mise en lecture par Charles Dauphinais

Avec Geneviève Alarie, Sophie Clément, Steve Laplante, Alice Moreault, Iannicko N’Doua, Richard Thériault

Vendredi 8 avril : Winterreise d’Elfriede Jelinek, femme de lettres autrichienne, lauréate du prix Nobel de littérature en 2004.

Traduction Sophie Herr, paru aux éditions du Seuil

Mise en lecture par Angela Konrad

Avec Alain Fournier, Marie-Laurence Moreau, Lise Roy

Samedi 9 avril : Les enivrés d’Ivan Viripaev, auteur, scénariste, metteur en scène, réalisateur, acteur russe.

Mise en lecture par Florent Siaud

Avec Paul Ahmarani, David Boutin, Maxime Denommée, Évelyne de la Chenelière, Marie-Pier Labrecque, Daniel Parent, Marie-Eve Pelletier, Étienne Pilon, Dominique Quesnel, Évelyne Rompré.

Informations : www.theatreprospero.com/spectacle/ecritures-contemporaines-dailleurs/

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