Au coeur du Moyen-âge méridional dans L’Affaire Guillot le troisième volet des Chroniques De Gervais D’anceny

Maryse Rouy: L'Affaire Guillot  © photo: courtoisie
Maryse Rouy: L’Affaire Guillot
© photo: courtoisie

C’est à nouveau la grande Histoire comme dans le premier tome de cette série Meurtre à l’Hôtel Despréaux qui permet et même oblige Gervais d’Anceny à quitter le refuge de quiétude consacré à la copie, l’étude des livres anciens, la prière mais aussi, son autre passion la cuisine, au Monastère du Neubourg en Normandie où il est oblat. Ce statut bien particulier lui permet en effet de vivre comme les moines sans toutefois prononcer ses vœux et donc être soumis à la règle de la clôture.

Cette fois –ci, son ami, l’officiel Coudrier, tout juste promu Prévôt de Paris (autrement dit responsable de la police de la capitale) le mandate pour porter à Avignon un pli secret du roi de France Charles V à un cardinal qui a toute la confiance du Roy comme du Pape. Pourquoi Avignon? C’est qu’en cette fin de 14ème siècle si troublée marquée par les ravages de la Peste noire et de la Guerre de cent ans, l’Église de Rome depuis 1378 est en plein schisme, le Grand Schisme d’Occident sur fonds d’évolution d’une société qui cherche à secouer, notamment sous l’égide de la bourgeoisie naissante et du commerce, l’ordre religieux qui l’encadre. Deux papes s’opposent, l’un à Rome Urbain VI, l’autre à Avignon Clément VII, Français et soutenu par le roi de France, peu ouvert aux mutations tant sociétales que de modes de vie d’une Église qui vit alors dans le luxe ostentatoire. Avignon, une ville qui n’appartient cependant pas alors à la France mais au Comtat Venaissin, propriété de la Papauté et, où, depuis 1309, les Papes résident loin des tensions de Rome. Pour mener cette mission, Gervais d’Anceny est l’homme de la situation. Ancien négociant en drap il a bien sûr des amis, dans cette ville dont l’économie est propulsée par la résidence papale, ce qui lui permettra de passer plus inaperçu. Son ancienne fonction lui permet aussi de maîtriser parfaitement la langue d’Oc alors parlée uniquement dans le Sud de la France. Son statut d’oblat lui permettra de bien connaître le monde du religieux. Enfin il a fait preuve dans sa vie de négociant comme dans les différentes aventures et affaires auxquelles il a pris part de ses talents d’habile diplomate. Pour renforcer sa couverture autant que par plaisir de sa compagnie, Gervais se fait accompagner par son fidèle second du temps où il était drapier, Perrin qui l’a aussi tant secondé dans ses deux précédentes enquêtes à Paris. Se joint à eux, un peu en leur forçant la main, Valentin, gagne-deniers qui a su savoir se rendre si utile lui aussi lors des deux précédentes affaires. À son arrivée à Avignon, Gervais est accueilli par son ancien confrère Brice Chamas. Il s’installe chez lui dans une attente de son contact qui promet d’être ennuyeuse et peut-être même longue même s’il a hâte de se départir d’un pli bien menaçant pour lui. Il met cependant à profit cette attente pour mieux s’imprégner de la vie dans cette ville bourdonnante en pleine expansion. Tout l’intéresse : Le magnifique palais papal avec sa bibliothèque exceptionnelle et aux cuisines à la pointe de la modernité d’alors; les sociabilités des négociants dans une culture qu’il connaît mal; les technologies nouvelles pour lui comme la fabrication de la pâte à papier dans des moulins. C’est cet intérêt pour la société qui l’entoure comme le souci qu’il a des autres qui convainc Gervais d’Anceny d’accepter la demande de l’un des voisins de son hôte, Noël Guillot négociant en chiffons pour la fabrication de la pâte à papier. Fort de la réputation que Gervais a acquise dans l’élucidation d’affaires classées ou expédiées par la police, celui-ci lui demande de chercher à découvrir si la mort de son frère, dont il a hérité le commerce et même de l’épouse(!), est bien mort, comme la prévôté l’affirme, de cause naturelle ou s’il n’aurait pas été, comme il en a l’intime conviction, victime d’un meurtre. C’est ainsi que Gervais se retrouve au cœur de deux intrigues : Celle du pli secret dont la remise à son mystérieux correspondant pourrait bien lui valoir une atteinte à sa vie comme à celle de ses hôtes et celle de la recherche de la vérité sur les circonstances ayant entouré la mort subite d’Eustache, le frère de Noël.
Au rythme de ces deux histoires nous découvrirons, avec comme guides incomparables Gervais et ses deux aides, Perrin et Valentin, la vie dans cette cité papale et notamment celle de la société bourgeoise que l’installation du pape a favorisée.

Ce troisième volet des « Chroniques de Gervais D’anceny » nous transporte dans d’autres univers géographiques et sociétaux que celui du Paris de la fin du 14ème siècle et de la vie des monastères que nous avions explorés lors des deux précédents volumes. On y découvre un monde du négoce qui, bien que régi par les mêmes lois que celui de Paris à une époque où celui-ci prend une dimension internationale pour les plus importants et grands d’entre eux, demeure cependant emprunt des spécificités régionales et surtout de la proximité du pouvoir de la Haute Église et des marchés et activités qu’elle génère. C’est d’ailleurs cet autre univers vu à travers les préparatifs d’une fête à l’occasion d’une visite royale ou sa splendide bibliothèque et de ses copistes que nous découvrons. Si le terme de chronique, au sens de la narration, souvent par petites touches, petites scènes et faits qui, réunis ensemble, forment un tout cohérent dressant un panorama-portrait devait bien s’appliquer plus particulièrement à un livre de cette trilogie ce serait sans conteste celui-ci. En effet, l’intrigue en elle-même, moins présente et forte que dans les autres tomes nous permet de véritablement arpenter cette ville et ses modes de vie en emboitant le pas de l’enquêteur. Une fois encore Maryse Rouy a changé son angle de vue renouvelant ainsi notre attention et notre intérêt. Ainsi, le premier tome des chroniques de Gervais d’Anceny: Meurtre à l’hôtel Despréaux mêlait habilement étude sociale implacable et détaillée du Paris médiéval présentée à l’occasion du rapport d’enquête pour les autorités policières écrit par le héros lui-même de retour dans son monastère et description de la vie monacale ayant servi de cadre à la rédaction de ce texte. Dans le deuxième tome, Voleur d’enfants, nous explorions autant les relations qui se tissent entre les membres d’une société bien loin de nous que nous plongions dans le suspense de l’intrigue policière elle-même bien nourrie. Ici l’auteur nous entraîne plus dans une promenade, une déambulation, au cours de laquelle, comme les héros, nous découvrons une société qui n’est pas la nôtre même si elle repose sur un schéma général que nous connaissons déjà et dont nous devons apprendre à connaître les spécificités pour s’y retrouver et y progresser. Nous sommes ainsi, les « hôtes d’un Moyen-âge» plus sociable, plus ouvert sur les modernités d’alors et aussi plus convivial que celui des images d’Épinal de notre imaginaire collectif même si, ne nous y trompons pas à Paris comme à Avignon cette société du 14è reste une société dure et brutale.

En postface, l’auteure Maryse Rouy écrit « Homère nous l’a enseigné il y a bien longtemps écrire c’est devenir en une seule personne Ulysse et Pénélope, écrire c’est à la fois voyager et tisser. Chaque roman est pour moi un voyage dans un temps et dans des lieux qui nous sont devenus étranges autant qu’étrangers et dans lesquels se retrouvent pourtant des choses familières. Du côté de l’étrange et de l’étranger des façons de voir des idées, des valeurs, des habitudes, des sentiments, des manières d’aimer de haïr ou d’ignorer; du côté du familier, des espoirs des peurs des volontés, des angoisses. Pour imaginer ce que les gens du XIVe siècle pouvaient éprouver et penser, il faut s’immerger dans leur culture…Mais il est bon de joindre autant que possible un saut sur les lieux où se situe l’action du roman….Certaines villes ont conservé leurs fortification d’autrefois, et leur configuration laisse apparaître le tracé médiéval. Avignon est l’une de ces villes. À la regarder depuis le pont Bénézet ….J’ai vu les religieux, les pèlerins, marchands et portefaix qui se préparent à entrer dans la cité de Clément VII et j’ai eu envie de les suivre. Le meilleur moyen était d’y envoyer Gervais …». C’est exactement cette même envie, cette même expérience que nous procure la lecture de L’affaire Guillot. Car lire, c’est comme écrire, le même processus, la même alchimie si bien décrits par Maryse Rouy, sauf que nous, nous n’avons juste qu’à nous laisser porter par la création de l’auteur. Et nous suivons cette découverte avec d’autant plus de plaisir que notre guide, dans les pas duquel nous mettons les nôtres, est Gervais que nous retrouvons tel un vieil ami et complice.

Maryse Rouy © Maxime G Delisle
Maryse Rouy © Maxime G Delisle

À propos de l’auteur
Maryse Rouy a publié une trentaine de romans. Qu’ils s’adressent aux jeunes ou aux adultes, ils marient harmonieusement une recherche approfondie et les libertés de la fiction. Bien qu’elle se soit intéressée à diverses époques, le Moyen-Âge reste sa période de prédilection.

Les chroniques de Gervais d’Anceny; L’affaire Guillot
Maryse Rouy
Roman historique et policier
Éditions Druide http://www.editionsdruide.com
336 pages
24,95 $
ISBN papier : 978-2-89711-265-3
ISBN epub : 978-2-89711-266-0
ISBN pdf : 978-2-89711-267-7

© photo: courtoisie
© photo de l’auteure; Maxyme G Delisle