Éloges de la fuite : un homme se met au vert sur la scène de La Licorne transformée en forêt

Philippe Racine
Philippe Racine

Le rideau s’ouvre sur l’autoportrait d’un homme seul et nu qui se lève et se retourne lentement devant nous.
Très vite autour de lui, partout, ils arrivent alors, à trois pour représenter la société, laquelle s’évertue à ramener l’animal à la raison, à faire rentrer le mari, l’ami à la maison. Car cette société veut à tout prix éliminer l’individu libéré qu’elle ne comprend pas, lui qui s’est dévêtu pour partir prendre un peu, beaucoup d’air frais au fond des bois.
Leurs efforts pour domestiquer cet être volontairement asocial donnent lieu à des discours teintés de diverses morales; au-travers de ceux-ci transpire ce que l’être humain peut manifester de sa nature bestiale. En face, l’homme seul et nu ne dit rien, laisse les logiques de lutte s’épuiser en vain contre sa force vitale pour ensuite révéler son désir tout simple, celui de prendre la fuite, quelques jours, de respirer à fond et puis s’en retourner aussi simplement auprès des siens.

Après Toutou rien et La Fugue, Éloges de la fuite est le troisième volet de la trilogie montée par la troupe Qui va là, laquelle fête de cette manière la fin d’une décennie en résidence à La Licorne.
Mise en scène par Justin Laramée, Éloges de la fuite s’inspire de l’ouvrage éponyme (mais sans « s ») de biologie comportementale du neurobiologiste Henri Laborit en vue d’aborder des sujets essentiellement humains tels que l’amour, la mort, les autres, le sens de la vie…

La pièce est conçue pour donner à penser et à rire aussi, l’humour souvent noir rappelant celui-là même dont usent volontiers la mort et son reflet, la vie.
Des ombres et des objets, des jouets se font une place habilement trouvée sur la scène et participent ainsi de cette ambiance de conte pour enfants à tendance herboriste dont la pièce est envoûtée.

Si Éloges de la fuite sait effleurer joliment l’entrée de la caverne philosophique et de la forêt mythique, la pièce n’y pénètre toutefois pas en profondeur. De sorte que le propos, la fuite dans l’imaginaire, nous laisse sur notre faim sans s’être épanoui réellement. Mais c’est autrement, par l’atmosphère tragi-comique ponctuée par de la fine plaisanterie et de l’émotion délivrée comme des piqûres de vaccin – avec sur ce point une mention spéciale pour l’émouvante Anne-Marie Levasseur – que la pièce atteint ce qu’elle avait promis.
Et puis le personnage de Jean-François, toujours hors scène et dont le statut équivoque manifeste, plus peut-être que le personnage principal, cette confusion entre l’animal et l’humain attendue et pour le coup adroitement amenée, avec du cœur donc et une acide drôlerie.

Éloges de la fuite, du 16 mai au 4 juin au Théâtre La Licorne.

Interprétation : Félix Beaulieu-Duchesneau, Justin Laramée, Anne-Marie Levasseur, Philippe Racine

Production : Qui va là en codiffusion avec La Manufacture
Texte : Justin Laramée
Mise en scène : Félix Beaulieu-Duchesneau, Justin Laramée, Philippe Racine
Décor : Qui va là
Éclairages : Alexandre Pilon-Guay
Musique : Benoît Côté

Crédits photographiques : Qui va là