Dans la solitude des champs de coton : la pièce culte de Bernard-Marie Koltès s’invite du 12 au 17 septembre au Théâtre Prospero

Anne Alvaro, Audrey Bonnet
Anne Alvaro, Audrey Bonnet

Reprenant Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, le metteur en scène Roland Auzet propose un questionnement réactualisé sur la relation à l’autre, la parole des actrices Anne Alvaro et Audrey Bonnet se donnant directement dans l’intimité sonore de casques audio.

« Que me veux-tu? »

C’est la question que sous-tend la relation entre le dealer et le client qu’interprètent Anne Alvaro et Audrey Bonnet. La pièce de Bernard-Marie Koltès pose en effet le contrat comme métaphore et moteur des rencontres humaines. C’est donc dans un lieu de deal que se déroule Dans la solitude des champs de coton, un lieu où les solitudes de l’un et de l’autre sont mises en rapport de manière aléatoire et quelque part forcée.

Le dealer et le client – commerçant, le premier se montre dans un premier temps revers et arrogant, mais néanmoins également intrigué par le second qui passe à côté de lui à cette heure illégale, sans trop savoir si c’est pour se livrer à quelque désir ou pour se repaître d’un plaisir encore inavoué.

De contractuelle, la relation prend la direction de l’universel, loin au-delà du simple échange commercial et personnel. Les relations humaines sont alors compliquées où chacun cherche à mettre l’autre à nu sans se laisser dévoiler. Dès lors, l’honnête trafic vire au vol et à la mendicité, une lutte sans merci où il est question du désir de l’autre en tant que désir de mettre fin à l’autre, tout en le faisant durer. De cette faim qui a tous les airs de la cruauté, qui tiendra le mieux, qui se fera dévorer?

La pièce commence dans la rue, le soir, derrière le théâtre Prospero, dans cet espace-temps sécurisé où tout peut cependant arriver. Et ils arrivent par derrière, le dealer et le client, tour à tour pour se frayer un passage à travers la foule qui s’ouvre autour d’eux, pour mieux les suivre et se refermer sur eux. Et puis ils filent à l’intérieur s’affronter entre les rangs des spectateurs assis face-face dans la salle aménagée en arène; le pugilat peut se poursuivre d’une façon plus territoriale et resserrée.

Anne Alvaro et Audrey Bonnet se battent pour l’occupation de la parole, des silences et de l’intériorité de l’autre en vue de le déposséder de ce qu’il ne sait peut-être pas et s’accroche pourtant pour conserver. Le dealer et le client vont et viennent, se fuient, se retiennent, se prennent à parti et prennent le spectateur pour témoin de leur dialogue aux allures de monologues croisés. C’est presque une danse et un véritable travail corporel a été effectué, les actrices se renvoyant, reprenant de volée sans se répondre vraiment les mots âpres et profonds, poétiques et sans concession de Bernard-Marie Koltès.

« Le premier acte de l’hostilité, juste avant le coup, c’est la diplomatie, qui est le commerce du temps. » Ainsi, c’est du temps que l’un et l’autre passent à négocier, à gagner par le biais du langage. Anne Alvaro et Audrey Bonnet, la première railleuse mais vacillante, la seconde entière et intense, se livrent une joute verbale qui vise à retarder l’issue de la parole, soit le premier coup porté. Ce faisant, les mots envoyés en plein visage font mal par eux-mêmes et révèlent la véritable cruauté : il s’en trouve toujours un pour vouloir donner ce qu’il n’a pas et que l’autre ne veut pas, et vice-versa.

Au terme du combat, il n’y a pas de vainqueur; s’ouvre seulement le second et dernier acte avec le point final qui tombe comme un couperet : « Quelle arme? »

Dans le but de mettre la parole sur le devant de la scène, et hors scène, Roland Auzet a pris le pari de faire intervenir un élément actuel, le casque audio; il en équipe le spectateur, rompant ainsi avec la dimension communautaire propre au théâtre pour adopter une approche plus cinématographique, où chacun se fraye son propre chemin, sonore tout du moins, à travers le dédale des souffles de l’intimité. La parole des actrices est par ailleurs couplée à une partition musicale électronique composée par le metteur en scène et qui, construite pour le seul spectateur, introduit une tension permanente entre les sons qu’il entend et les mots dont le timbre tragique vibre si fort pour faillir à la fin, inéluctablement.

Créée en 2015 aux Célestins, Théâtre de Lyon et reprise en 2016 au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, la pièce culte de Bernard-Marie Koltès, réactualisée par Roland Auzet, est actuellement à Montréal pour cinq représentations.

Dans la solitude des champs de coton, du 12 au 17 septembre au Théâtre Prospero.
Texte : Bernard-Marie Koltès
Mise en scène : Roland Auzet
Distribution : Anne Alvaro, Audrey Bonnet

Collaborateurs artistiques : Thierry Thieû Niang, Wilfried Wendling
Costumes : Nathalie Prats
Scénographie sonore : La Muse en Circuit
Informatique musicale : Thomas Mirgaine, Augustin Muller
Création lumières : Bernard Revel
Élaboration du dispositif sonore : Camille Lézer, Pierre Brousses, Franck Gélie, Grégory Joubert
Visuel : Jean-Louis Fernandez, Livia Saavedra

Production déléguée : La Muse en Circuit, Centre national de création musicale
Coproduction : Act-Opus – Compagnie Roland Auzet, Les Célestins – Théâtre de Lyon, C.I.C.T. – Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.
Présentation du Groupe de la Veillée

Crédits photographiques : Christophe Raynaud de Lage