Ionesco, le maître de l’absurde au Théâtre du Rideau vert

La Cantatrice chauve © François Laplante Delagrave
La Cantatrice chauve © François Laplante Delagrave

S’il existe des paroles absurdes, c’est-à-dire dissonantes, c’est que l’on sait bien que la parole humaine entretient des rapports très intimes non seulement avec la logique mais aussi avec le réel. Deux personnes s’adressent l’une à l’autre et parlent de quelque chose. Trois protagonistes donc au moins dans tout acte de communication : le sujet qui parle, l’interlocuteur et ce dont on parle qui est censé avoir quelque réalité objective, y compris s’il s’agit, par exemple, de sentiments intérieurs de l’une des deux personnes en présence. Même s’il est toujours impossible de se comprendre parfaitement, on reste dans des marges acceptables de négociations qui permettent de vivre, c’est-à-dire de partager un réel commun, sans sombrer dans la folie, c’est-à-dire dans l’illogisme.

C’est à ce mécanisme complexe, mais que nous pratiquons tous depuis toujours, que s’attaque Ionesco dans la Cantatrice chauve. A quoi ressembleraient des conversations entre des personnes bien comme il faut, mais qui déviraient sans arrêt de leurs lignes logiques et rationnelles, mais qui en adopteraient les plus fidèles apparences? Le résultat ne peut qu’être comique (du mécanique plaqué sur du vivant, dirait Bergson). Et l’on rit beaucoup dans la Cantatrice chauve, y compris grâce au jeu scénique des six acteurs talentueux. À moins que la pièce ne donne un peu mal à la tête, par moments, lorsque l’on prend conscience que certains de ses dialogues ressemblent aussi à des conversations creuses et insensées que l’on entend parfois dans nos vies bien réelles…

Ionesco est le génie de l’absurde et sa Cantatrice chauve un chef-d’œuvre que le théâtre du Rideau vert a bien raison de monter de nouveau. La pièce est un succès inégalé dans le monde, qui se joue sans discontinuer depuis plus de 60 ans au théâtre de la Huchette à Paris et un peu partout ailleurs.

La Leçon © Théâtre du Rideau vert
La Leçon © Théâtre du Rideau vert

Et la tradition veut que cette pièce relativement courte soit toujours proposée avec une autre encore plus courte du même Ionesco, La leçon. Il n’est plus trop question d’absurdité dans le discours, encore que. C’est davantage la caricature d’un cours privé entre une élève (magnifiquement interprétée par la jeune Rosine Chauveau-Chouinard) et un professeur qui finit, de par sa position, à abuser de son pouvoir. Du coup, le rire devient jaune et fait un peu grincer des dents, peut-être par mimétisme avec la jeune élève…

La Cantatrice chauve, suivi de La Leçon, du 3 février au 4 mars 2017, au Théâtre du Rideau Vert à Montréal

Textes : Eugène Ionesco

Mise en scène Normand Chouinard

Avec Sylvie Drapeau, Dorothée Berryman, Carl Béchard, Luc Bourgeois, Rosine Chouinard-Chauveau, Rémy Girard, Danièle Lorain

Informations : http://www.rideauvert.qc.ca/