Andréanne Mars, de Véronique-Marie Kaye, ou parcours hors norme d’une femme de notre temps

Véronique-Marie Kaye Andréanne Mars © : courtoisie
Véronique-Marie Kaye Andréanne Mars © : courtoisie

Andréanne, à tout juste 26 ans, a déjà connu trois mariages. Trois mariages qui furent aussi tous des échecs. Succession de malchances à moins que finalement le mariage et Andréanne ne fassent pas…bon ménage. Il est vrai que ses conjoints ne furent pas des garants de réussite et des modèles pour l’épanouissement pour leur conjointe : « …Le premier, Martial, prétendait être amoureux; mais il n’aimait que la porno et Star Wars…. ». Quant au second, « …Elle crut tout d’abord qu’il était amoureux fou –il la regardait en se traînant comme une larve chercheuse de substance et soupirait, soupirait! Mais non, ce n’était pas de l’amour. Végétalien confirmé, cet air et ses soupirs comme de l’adoration lui venaient d’un grand manque de protéines…». Le troisième enfin, « …Hyppolite prenait à pleines mains ses seins magnifiques de sirène blanche et hilare, Andréanne prenait des poses, les maintenait fière de sa souplesse …On dit que le ridicule ne tue pas mais ce n’est qu’une vérité de pacotille. Le ridicule tue bien des choses à commencer par le mariage… ». Une victime Andréanne de ses trois échecs successifs? Il faut dire aussi qu’elle n’est probablement pas elle non plus un modèle pour réussir une vie à deux : En fait « …Elle s’était mariée trois fois pour les mêmes raisons :  …La robe, le gâteau, les ongles parfaits, les oiseaux, et les papillons en plastique dans les cheveux. Pour être au centre de la fête; temporairement pour être au centre de l’univers…De son côté Andréanne aimait surtout Andréanne… ». Au moins, elle ne reste pas dépossédée de ces trois mariages, tout au contraire : « …Andréanne avait désormais la voiture du premier mari, et le logis du deuxième. Ne lui manquait que l’argent. Sur ce, le mari numéro trois vint à la rescousse… ».

C’est donc munie d’un bon compte en banque, d’un duplex pour elle et d’un deuxième juste à côté qu’elle peut louer, qu’elle entame sa nouvelle vie de célibataire tout en continuant de travailler dans un centre de fitness qui lui apporte le plaisir d’entretenir son corps comme sa sociabilité. Car si Andréanne n’est peut-être pas faite pour la vie de couple elle n’en est pas moins sociable et appréciée de ses quelques amis, de sa patronne Suzanna, de ses collègues et des clients qu’elle coache. A-t-elle fait pour autant une croix sur le sexe et ses plaisirs? Pas vraiment!!! Mais elle a trouvé son assouvissement dans une autre pratique qui ne l’expose pas : « …À la fin d’une longue journée certains prennent une bière ou un bain, promènent leur chien ou jouent de la guitare. Andréanne Mars regardait ses locataires faire l’amour. Elle fonçait chez elle mettait ses vêtements du jour dans la laveuse, courait toute nue jusqu’à sa chambre sautait dans son lit… Sur ses écrans Sony, Toshiba, Samsung, LG, Panasonic, en Full HD, UHD, plasma et 3D, C’était du cul mur à mur. Le bonheur… ». Sa vie sexuelle par masturbation et voyeurisme de celle des autres pouvait durer aussi longtemps que ses locataires ne s’apercevaient de rien et qu’ils correspondaient exactement à ses attentes. D’ailleurs, dans ce but, elle les sélectionnait soigneusement sur ce principal critère.

Jusqu’au jour où elle rencontra Nicholas, un de ses clients du Club de fitness et « …Qu’elle garda, à son insu quelque part dans une partie cachée de sa mémoire comme un goût de bonbon, un goût frais et mentholé qui la surprenait de temps à autre… ». Un homme qui allait insidieusement s’imposer à elle. Jusqu’à aussi qu’elle rencontre, aussi, Clothilde. Une jeune femme prostrée depuis qu’elle a été violée à l’aube de sa vie d’adulte. Clothilde vit dans un monde de terreur, chez ses parents. Andréanne, avant même de connaître la raison de l’état de Clothilde voit en elle tout le potentiel de plaisir qu’elle pourra prendre sur ses écrans en la ramenant à la vie, notamment le plus important pour Andréanne, sexuelle. Elle parvient donc à la persuader, ainsi que ses parents, à emménager comme sa locataire. Elle va même jusqu’à la faire embaucher dans son centre fitness, lui faire rencontrer son frère, Jacquo dont la folie est exacerbée par les mélanges de médicaments qu’il s’auto-administre et finalement l’orienter vers Paolo, son collègue, qui, elle en est sûre, la conduira pas à pas vers la vie de couple dans laquelle faire l’amour ne sera pas le moindre des échanges. Mais le plan ne prend pas le tour prévu et ce n’est pas Paolo, Nicholas et Clothilde qu’Andréanne va réussir à diriger pour son propre compte mais bien eux, avec la complicité de Jacquo, qui vont transformer sa vie. Une transformation placée tout d’abord sous l’égide de la coercition de Paolo par le chantage ou de la mise devant le fait accompli de Nicholas puis, peu à peu, sous celle de la force de l’amour, de l’amitié et de la sollicitude auxquels, même Paolo se rallie finalement. Ils vont ainsi selon une triangulation relationnelle aussi atypique qu’efficace l’amener vers une autre vie sentimentale bien que toujours hors des sentiers battus de la vie l’éloignant peu à peu mais jamais totalement de celle du truchement par le voyeurisme de la vie des autres. « …La chaîne fonctionnait ainsi : Nicholas veillait sur Andréanne; Andréanne veillait sur Clothilde- et Paolo aussi par la force des choses… ». Est-ce pour autant la voie du bonheur pour Andréanne?

Véronique-Marie Kaye © : courtoisie
Véronique-Marie Kaye © : courtoisie

Une nouvelle fois Véronique-Marie Kaye, ne s’attache pas à écrire une chronique sociale mais bien plutôt nous propose un portrait vivant, fort, d’une femme et de sa vie sentimentale et sexuelle hors norme, hors codification sociale pour son époque. Comme Marjorie Chalifoux, dans son premier roman éponyme, avait, à sa manière, au milieu du 20ème siècle transgressé la règle tacite et les tabous de la vie des femmes, Andréanne fait de même en ce début de 21ème siècle. Sa sexualité nous paraît être la libération ultime de certains des derniers tabous de notre société ceux du voyeurisme et de la masturbation. À moins qu’Andréanne ne fasse finalement aussi l’expérience de la destruction d’une autre norme plus insidieuse encore : À l’époque où la jeune femme forte, autonome voire même individualiste est plus qu’à la mode, le modèle dominant, c’est cette fois-ci, à l’inverse du siècle de Marjorie, celle qui accepte que les autres la guide vers un autre chemin que celui centré uniquement sur elle-même qui crée  peut-être la rupture. Mais là encore l’auteure sait parfaitement  ne pas tomber dans la mièvrerie et conserver à son héroïne ce petit, et même grand rien d’anti-conformisme, et de rébellion qui nous rend plaisant et agréable ce portrait et en fait l’originalité. Pour décrire les plaisirs d’Andréanne l’auteure évite avec brio l’écueil et même la seule facilité du langage vulgairement cru pour le seul fait de dire. Le côté fantasque mais aussi suffisamment sociable de ses personnages qu’elle sait rendre attachants, comme de leurs comportements font le charme de ce roman qui apporte avec subtilité et humour, parfois grinçant, un sujet qui aurait pu facilement glisser vers le scabreux et la provocation aussi inutiles que stériles.

À propos de l’auteur
Véronique-Marie Kaye est romancière et dramaturge. Elle a remporté le prix littéraire Trillium 2016 pour son roman Marjorie Chalifoux (2015) et a été finaliste au même prix, en 2014, pour sa pièce Afghanistan. Andréanne Mars est son troisième roman.

Andréanne Mars
Véronique-Marie Kaye
Roman
Œuvre en première de Couverture : Marc Charles Bertrand
Conception de la couverture : Olivier Lasser
Éditions Prise de Parole : www.prisedeparole.ca
224 pages
ISBN : – 978-2-89423-794-6 (Édition papier) 22,95$
ISBN : 978-2-89423-795-3 (PDF) 16.99$
ISBN : 978-2-89423-796-0 (ePub)
© photos: courtoisie