La fureur de ce que je pense, un hommage à la fois intimiste, poétique et troublant à Nelly Arcan, à ses mots, à son œuvre, par des actrices extrêmement talentueuses!

Evelyne de la Chenelière
Evelyne de la Chenelière

C’était mercredi le 31 mai à la Salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec, qu’avait lieu la seule représentation de la pièce La fureur de ce que je pense, dans le cadre du carrefour international de Théâtre de Québec.

Résumé

Créé au printemps 2013 sous l’impulsion de la comédienne Sophie Cadieux, dans une composition dramaturgique et une mise en scène réalisées par Marie Brassard, le spectacle donne corps et voix aux mots de Nelly Arcan. Le titre, ainsi que la totalité de la partition littéraire, sont extraits textuellement de l’œuvre de cette dernière. Née en 1973 à Lac-Mégantic, de son vrai nom Isabelle Fortier, Nelly Arcan a publié plusieurs récits, chroniques et quatre romans, tous autofictionnels, dont le premier, Putain, est paru en 2001 dans un immense fracas médiatique. Elle s’est enlevé la vie à l’âge de 36 ans, après avoir en quelque sorte annoncé sa mort dans ses écrits. L’entreprise n’est cependant pas biographique : elle veut rendre hommage à la puissance et à la beauté tourmentée de l’écriture de l’auteure. Sur scène, sept chants aux titres évocateurs, chacun référant à un des motifs de l’œuvre, jaillissent de sept chambres, portés par sept interprètes magnifiques dont les soliloques se croisent, se joignent, se superposent ou se répondent. La scénographie, la musique, la lumière, la mise en scène, également somptueuses et pertinentes, contribuent tout aussi fortement à créer cette symphonie théâtrale sublime et bouleversante. 

sept chambres, sept solos, six actrices, une danseuse
sept chambres, sept solos, six actrices, une danseuse

Quelle belle idée que de recevoir, le temps d’une soirée, au grand théâtre de Québec, cette pièce qui a connu un énorme succès à l’Espace Go à Montréal, il y a quatre ans. Cette pièce est encore d’actualité, puisque récemment on a même eu au grand écran le film sur Nelly Arcan. Contrairement au film, cette pièce ne s’attarde pas sur la portion biographique de la vie de Nelly. C’est plutôt un spectacle inspiré des textes de Nelly, de Putain, Folle de même que L’enfant dans le miroir. On y explore le mystère et la douleur de vivre de Nelly, mais aussi on y parle de féminité, la séduction, de la dualité entre l’image qu’on projette, ce qu’on est vraiment et ce qu’on voudrait être. Naturellement, on y aborde aussi la folie, la mort, mais également la famille, la sœur de Nelly…

Ce qui est intéressant, c’est que Marie Brassard a travaillé avec les six actrices et la danseuse, pour que chacune d’elle amène son filon créateur, son énergie, en fait, qu’elle donne une partie d’elle-même à sa partition. C’est ainsi que sont nés six solos, dans six chambres différentes, aux thèmes variés, et un septième solo, pour la danseuse, qui interagit avec les six actrices, en étant la sœur, le père, le spectre dans un rêve. Elle a également sa propre partie solo et c’est la seule qui se promène d’une chambre à l’autre. Elle est le lien entre les diverses facettes de Nelly.

Sophie Cadieux
Sophie Cadieux

On retrouve donc les sept chambres, illuminées à tour de rôle. Dans ces chambres au décor unique pour chacune d’elle, on voit une femme, un peu à la manière d’une vitrine de magasin. On la voit vivre, se mouvoir, ou juste Être ! Pendant que la lumière jaillit sur l’une d’elles, dans sa case, où elle marche de long en large, se colle à la vitre, tel un animal en cage, et se raconte, se livre, autant en parole qu’en chant, les autres femmes, dans leurs chambres, sont là, et suivent le rythme de la musique. Cette musique qui est hypnotisante, avec ses sons technos, qui ajoutent à l’ambiance. Et le texte que ces actrices incarnent avec parfois une amplification, une métamorphose au micro, amène une musicalité qui s’allie formidablement à la musique, aux lumières tamisées, aux mouvements de l’actrice. Bref, c’est une symbiose de tous ces éléments qui font de cette expérience théâtrale, un hommage à la fois intimiste, poétique et troublant à Nelly Arcan, à ses mots, à son œuvre.

Dans les chambres on retrouve :

La chambre des mirages, où il est question d’illusions, de l’image et du corps. Sophie Cadieux, qui est l’instigatrice initiale de ce projet, est complètement transformée et transportée dans l’univers de Nelly.  C’est la performance qui m’a le plus impressionné. Secouée à l’occasion par des spasmes, une gestuelle saccadée, qui permet d’accentuer ses paroles à certains moments, fait que l’on est rapidement fasciné par son personnage.

Christine Beaulieu
Christine Beaulieu et Anne Thériault

La chambre du sang, où il est question des liens de sans et de la filiation. On y retrouve Johanne Haberlin, qui est une belle découverte pour moi. Une Nelly plus élégante, moins sexy, plus gracieuse, qui contraste avec la Nelly précédente que l’on vient de quitter.

La chambre de L’Éther où il est question du cosmos, des étoiles et de la nature. On y retrouve Julie LeBreton, en robe dorée, pleine de brillant, dans une salle de bain. Elle y rêve tout éveillée. Julie y est éclatante comme toujours!

La chambre Occulte où il est question de la destinée et de la confusion des genres. Christine Beaulieu y est sublime! Elle aurait dû être un homme, aurait voulu être d’un autre genre. Son personnage nous captive!

La chambre de l’ombre, où il est question du pouvoir d’attraction de la mort. Évelyne de la Chenelière nous est dévoilée toute frêle et isolée. L’ajout de la danseuse au début de ce solo, pour mettre en juxtaposition les deux femmes, est hypnotisant!

Evelyne de la Chenelière, et Anne Thériault
Evelyne de la Chenelière, et Anne Thériault

La chambre des serpents, où il est question de la foi et de la folie. Larissa Corriveau, que je découvre dans cette pièce, se donne à fond dans le solo le plus sombre du spectacle. Un moment qui donne des frissons.

Finalement, la chambre perdue, où il est question de l’errance, de la solitude et de la souffrance. C’est Anne Thériault la danseuse, que l’on voit tout au long de la pièce, qui vient clore ce magnifique spectacle avec aisance, grâce et émotions! Alors que le chant des six actrices l’accompagne, comme au début du spectacle, une symbiose des voix vient lier toutes ces femmes en une seule et unique femme sublime… Nelly Arcan. 

EN MARGE DES SPECTACLES

Entretien avec les artistes

MERCREDI 31 MAI

21h45

Foyer de la salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec

Après la représentation, les sept actrices (et danseuse), ainsi que Marie Brassard ont répondu aux questions du public et ont accueilli les commentaires, tous positifs, des spectateurs.

D’après l’oeuvre de Nelly Arcan
Adaptation et mise en scène Marie Brassard
Idéation et développement Sophie Cadieux 
Production Infrarouge  

En français 1 h 40 min

Crédits

Avec Christine Beaulieu, Sophie Cadieux, Larissa Corriveau, Evelyne de la Chenelière, Johanne Haberlin, Julie Le Breton, Anne Thériault
Collaboration à l’adaptation et dramaturgie Daniel Canty
Scénographie et accessoires Antonin Sorel
Assistance aux accessoires Alex Hercule Desjardins
Lumières Mikko Hynninen
Musique Alexander MacSween
Son Frédéric Auger
Costumes Catherine Chagnon
Assistant aux costumes Éric Poirier
Maquillages Jacques-Lee Pelletier
Coiffures Patrick G. Nadeau
Direction de production Anne McDougall
Direction technique décor Jean-François Landry
Direction technique Matéo Thébaudeau
Agent de tournée Menno Plukker Theatre Agent Inc (menno@mennoplukker.com)
Production Infrarouge
Coproduction Théâtre français du Centre national des arts du Canada (Ottawa), Festival TransAmériques (Montréal), PARCO (Tokyo)

Avec le soutien de Conseil des Arts de Montréal, Conseil des arts et des lettres du Québec, Conseil des arts du Canada

La version originale du spectacle a été créée à Espace Go en 2013.

La fureur de ce que je pense
Le 31 mai au Grand Théâtre de Québec (dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec)
Du 3 au 6 juin 2017 Le FTA présentera aussi cette pièce à l’Usine C (Montréal) 

Info: www.carrefourtheatre.qc.ca 

Crédit  photos : Caroline Laberge, courtoisie du Carrefour.