La Ronde fête ses 50 ans: une ambiance et des spectacles bien avant les manèges

La Ronde
La Ronde

Le parc d’amusement La Ronde fête ses 50 ans, mais on a tendance à oublier que ce lieu fut souvent un catalyseur pour la culture à Montréal.  Depuis quelques années, l’emphase a été mise sur les nouveaux manèges, mais La Ronde c’est bien plus que ça.  Même aujourd’hui, l’International des Feux Loto-Québec attire des centaines de milliers de spectateurs chaque année.  La Finale aura d’ailleurs lieu samedi prochain (5 août) avec l’annonce des gagnants et un feu hommage à Serge Fiori et Harmonium.  Dans les coulisses du Jardin des Étoiles, j’ai rencontré deux passionnés de l’histoire d’Expo 67 et de La Ronde, Denis Lono et Roger La Roche.  Denis Lono n’avait que 18 mois en 67 mais il a été présent chaque année depuis, il a grandi avec « ses » îles de Terre des Hommes, La Ronde, et surtout les feux d’artifice qui font partie de son ADN.  Après avoir été quatre fois membre du jury des feux, il fait partie de l’équipe qui s’occupe des 19 jurés du plus grand concours pyrotechnique au monde, celui de La Ronde.  À 13 ans, Roger La Roche était un des plus jeunes employés d’Expo 67 à vendre des tourtières en biais de ce qui est aujourd’hui la Biosphère.  Il occupe plusieurs postes, pour terminer en 73 à gérer les deux discothèques de La Ronde, la Disco-Villa et le Flibustier.  C’est en réaction aux fêtes du 40e de l’Expo 67 qui propagent des faussetés qu’il décide de raconter son expérience et de devenir l’historien officiel de l’Expo 67 et de La Ronde pour corriger le tir.  En prime, il est très heureux de faire partie des membres du jury des feux en cette année du 50e.  Voici les souvenirs que ces deux experts m’ont partagé en entrevue (dans le texte, RLR=Roger La Roche et DL=Denis Lono).

La Ronde de 67
La Ronde 

Est-ce que La Ronde a toujours fait partie des plans d’Expo 67?
(RLR) Au départ, il devait y avoir un petit parc d’amusement temporaire sur l’île Notre-Dame, mais en 1965 les plans sont faits pour La Ronde qu’on connaît aujourd’hui.  On savait que l’Expo était un lieu scientifique et culturel, l’objectif premier de La Ronde était d’apporter un lieu de divertissement pour balancer le côté intellectuel de l’Expo. Le deuxième objectif c’était d’avoir un milieu plus familial où on pouvait amuser les enfants dans les manèges l’après-midi mais ensuite profiter des spectacles en soirée après avoir mangé dans un des restaurants qui étaient excellents à l’époque.  C’était donc fait pour le niveau social et ensuite relaxer après une journée à l’Expo.  (DL) La Ronde c’était un peu la cour de récréation de l’Expo. Il y avait bien sûr les manèges mais c’était plus que ça à l’époque.  Très jeune, quand je terminais mon travail au centre-ville, on venait prendre un verre et relaxer, au passage faire un manège ou deux, comme on payait à l’unité pour chaque manège.  On allait aussi voir les spectacles sur le Lac des Dauphins et bouffer en même temps.  Jusqu’aux années 2000, il y avait un bas tarif pour l’accès au site mais sans l’accès aux manèges.  (RLR) À cause de ça, c’était aussi un endroit de socialisation pour les personnes agées qui venaient passer la journée à voir des spectacles comme le ski nautique ou à se promener.

Le Gyrotron à l'arrière du Labyrinthe
Le Gyrotron à l’arrière du Labyrinthe

À quoi ressemblait La Ronde en 67?
(DL) Les grands fondements de l’aménagement sont encore là: en entrant, on voit la statue de Gladstone, à gauche le Fort Edmonton, puis à droite le Monde des Petits et le mail central et les manèges.  Aujourd’hui c’est plus sobre, car en 67 il y avait beaucoup de couleurs, de décorations, de la musique, et ça terminait très tard le soir.  (RLR) Il faut par contre faire notre deuil du Village Québécois ou Canadien, car toute cette section à l’arrière a été massacrée par l’arrivée de nouveaux manèges. Par contre, toute la nouvelle section où était le parc des glissades d’eau a été bien mieux aménagée. Il y avait aussi le Safari dans ce qui est aujourd’hui le stationnement arrière, avec de vrais animaux.  (DL) Sans oublier une montagne d’un million de dollars au milieu du Safari qui était fait de pièces de 1$.  (RLR) Petite anecdote, le fédéral avait refusé de donner autant de pièces, en réalité c’était du papier maché sur lequel était collé 10,000$ en pièces, mais tout le monde pensait qu’il y avait vraiment un million.  (DL) Toute cette section à l’arrière a été mal intégrée jusqu’à temps qu’on en fasse une véritable entrée (RLR) et surtout qu’on y installe en 72 l’Aqua-Délice qui était une boîte à chansons qui faisait vivre ce village.  On pouvait voir en spectacle des noms comme Michelle Richard, Michel Louvain, plusieurs crooners et bien d’autres.

Spectacle de ski nautique
Spectacle de ski nautique

Quels étaient les spectacles présentés en 67 à La Ronde?
(RLR) Faut savoir qu’avec l’Expo 67, c’est 8000 spectacles qui sont présentés sur les deux îles, incluant La Ronde.  À La Ronde, la consécration est faite au spectacle de ski nautique qui va continuer jusqu’à la fin des années 90.  Puis il y a le Saloon du Fort Edmonton qui devait présenter du Can-can à la française, donc avec un peu de nudité, mais qui a été interdit par l’administration Drapeau, tout comme l’autre spectacle dans le village qui devait être un strip-joint. Ce sont les deux seuls cas de censure qu’il y a eu.  Malgré tout, on présente un spectacle de Can-can au Saloon et le party est pris bien dur dans tout le Fort Edmonton, avec des débordements jusqu’à l’extérieur du Saloon. En 67, il y avait un spectacle de draveurs de l’Ouest du Canada. La ville d’Edmonton a mis beaucoup d’argent pour ça et aussi tous les détails de la décoration du saloon qu’on peut encore apprécier aujourd’hui.  (DL) Dans le village, la boîte à chansons Latulippe, a présenté des artistes comme Pauline Julien, Robert Charlebois, Gilles Vigneault. Il y avait aussi des spectacles pour enfants au Monde des Petits, et encore aujourd’hui avec Ribambelle.  On a même un épisode de Bobino qui a été tourné ici qu’on peut voir sur Youtube.

Un chansonnier à la boîte à chansons de La Ronde
Un chansonnier à la boîte à chansons de La Ronde

Le Pavillon de la Jeunesse
(RLR) Le Pavillon de la Jeunesse a été la plus grande pépinière culturelle du Québec en 67 et 68.  (DL) Il était situé là où est le Boomerang aujourd’hui.  (RLR) C’est hallucinant ce qu’il y a eu dans ce pavillon. Les spectacles les plus significatifs étaient ceux non planifiés.  Par exemple, Grateful Dead présentait un spectacle à Montréal, mais dans l’après-midi ils sont venus jammer au Pavillon de la Jeunesse.  Il y avait beaucoup de musiques expérimentales. Le groupe québécois l’Infonie est né là, avec la rencontre de Walter Boudreau et Raôul Duguay.  (DL) Plusieurs personnes ont débuté là, par exemple Monique Simard, Louise Roy, Gilles Gougeon et plein de gens de Radio-Canada. Ils avaient beaucoup de lattitude pour inventer, exprimer et expérimenter.  (RLR) C’était aussi une expérimentation participative, les gens embarquaient avec les performances.  (DL) Une belle anecdote c’est la sortie du disque Sgt. Pepper’s des Beatles à Londres, alors qu’il n’y a pas d’Internet à cette époque. Une hôtesse de l’air ramène de Londres le disque et l’apporte au Pavillon. La première écoute de l’album en Amérique du Nord se fait donc ici, à La Ronde.

Denis Lono et Roger La Roche au Jardin des Étoiles
Denis Lono et Roger La Roche au Jardin des Étoiles

Le Jardin des Étoiles
(DL) Le bâtiment du Jardin des Étoiles est exceptionnel, notamment grâce à son architecture dite brutaliste qui utilise le béton comme matériau décoratif. Il est iconique de l’Expo par ses formes pyramidales, comme les formes du Gyrotron et des pavillons thématiques.  La salle et la scène triangulaire sont aussi uniques au Canada, avec trois pastilles qui permettent d’émerger ou d’engloutir dans le plancher de la scène des éléments du spectacle.  Trois sections de gradins comprenant des sièges et aussi des tables font un total de 1500 places.  On y présente jusqu’à 4 spectacles pour enfants durant le jour, montés par Paul Buissonneau, puis une discothèque pour jeune jusqu’à 19h.  En soirée, il y a une ribambelle d’artistes qui présentent des spectacles à grands déploiements. Par exemple, Muriel Millard y présente sa revue. Elle a des costumes qui valent plus de 100,000$.  Des spectacles de variétés sont tournés pour la télé, comme «Jardin des Étoiles» avec Michel Girouard à TVA en 77-78, puis «Et ça tourne» avec Alain Montpetit qui recevait des vedettes connues, comme Dalida qui a chanté au Jardin.  Donc beaucoup de spectacles sont présentés ici jusqu’à la fin des années 2000.  (RLR) On a aussi intégré le Jardin des Étoiles au concours de feux d’artifice. Les billets du feu donnaient souvent accès au spectacle du Jardin.  (DL) Oui, je me souviens qu’on a eu Claude Dubois, puis un des derniers spectacles de Pierre Lalonde alors qu’il chantait avec son fils.  Ne pas oublier que la comédie musicale «Demain matin, Montréal m’attend» a été présentée pour la première fois en 1970 au Jardin des Étoiles.  (RLR) C’était pas juste des crooners mais la musique actuelle qui jouait au Jardin.  Dans les années 70 on a eu Octobre, Harmonium, Beau Dommage dont le spectacle tourné ici est encore en ligne.

Spectacle des Beach Boys en 1986
Spectacle des Beach Boys en 1986

Quels sont les spectacles qui vous ont marqué durant les 50 ans de La Ronde?
(RLR) Je me souviendrai toujours du spectacle des Beach Boys sur le lac en 1986, un soir après les feux. C’était hallucinant.  Mais je reviens toujours au spectacle de Muriel Millard qui était vraiment le plus marquant.  (DL) Pour moi ce sont les spectacles du Jardin des Étoiles les soirs de feux, avec des vedettes comme Bob Walsh, la première version de Elvis Story, des spectacles hommages, des humoristes.  (RLR) Il y a aussi eu le jeune Leonard Cohen en 67, pas encore connu, mais qui a tout de suite eu des rappels.

D’où vient la tradition des feux d’artifice à La Ronde?
(RLR) En 67, c’était à chaque soir, certains plus grands selon les fêtes.  (DL) Mais le premier vrai feu a été celui du 30 juin 64 où on a remis les clés des îles aux organisateurs de l’Expo, il y avait 5000 invités par le maire Drapeau, dans un grand cérémonial.  (RLR) Mais ce feu a été un désastre car les vents ont viré et le feu s’est mis à tomber dans la foule et l’orchestre. Heureusement il n’y a eu aucun blessé.  Les feux sont restés occasionnels après 67.  (DL) Puis en 1985 c’est le début de l’International. Pour deux années on a des feux classiques sans musique, et certains synchronisés avec musique. Quand on a vu l’engouement, on est passé uniquement aux feux musicaux.  (RLR) Le premier feu musical était « Nuit Blanche » de l’Espagne avec du Moody Blues, je m’en souviens encore, tellement c’était hallucinant.  (DL) Il ne faut pas oublier qu’on a créé l’International parce qu’on voulait ramener les gens à La Ronde maintenant que Terre des Hommes était terminé. C’était le renouveau, La Ronde venait d’être complètement rénové, on a inauguré Le Monstre aussi.  (RLR) On oublie à quel point les feux ont un impact social sur la ville. Ça fait partie de leur culture. Dans Hochelaga-Maisonneuve, les gens sont tous sur Notre-Dame les soirs de feux.  Les feux ont dépassé La Ronde.  (DL) Absolument! Les soirs de feux, La Ronde devient le point de mire et c’est La Ronde de 67.  Après 50 années, rien n’a changé, le plaisir est toujours là.  (RLR) Ça change pas, on veut se faire éblouir chaque soir avec de belles images, de l’émotion simple.  (DL) On peut faire l’analogie avec l’humour: on aura beau avoir de l’humour intellectuel et réfléchi, mais la tarte à la crème ça fait encore rire tout le monde. C’est ça les feux.

Le ski nautique devant ce qui est aujourd'hui l'estrade principale des feux d'artifice
Le ski nautique devant ce qui est aujourd’hui l’estrade principale des feux d’artifice

Après l’entrevue, ils m’ont fait part de leur expérience de membres du jury de l’International.  J’en parlerai dans l’article annonçant les gagnants la semaine prochaine.  En attendant, la grande finale de l’International est présentée le samedi 5 août prochain à 22h avec l’annonce des gagnants à 21h. Ce spectacle pyromusical mettra à l’honneur les musiques de Serge Fiori et d’Harmonium.  Et le mot de la fin pour Denis et Roger?  Tous les deux veulent nous donner rendez-vous au même endroit dans 10 ans pour le 60e!

Liens:
La Ronde
Site Web de Roger La Roche

Photos: Roger La Roche (photos d’époque) et Carl Desjardins (photo au Jardin des Étoiles)