« Les bâtisseurs d’empire » ou « Le Schmürz », la dernière pièce de Boris Vian

Les bâtisseurs d’empire ou Le Schmürz © Gunther Gamper DSC
Les bâtisseurs d’empire ou Le Schmürz © Gunther Gamper

Tragédie, jeux sur les mots et rétrécissement de l’espace physique et surtout psychique pour une œuvre des plus loufoque… Toute une famille (le père, la mère, Zénobie la fille, et Cruche, la domestique) vit dans un immeuble de plusieurs étages et déménage pour le logement du niveau supérieur à chaque fois que le même bruit menaçant se fait entendre. D’où vient ce bruit et quelle menace annonce-t-il qui oblige ces déménagements intempestifs? On l’ignore. Mais ce que l’on sait, c’est qu’à chaque fois, le nouveau logement se fait plus étroit et les objets emportés plus rares. Et dans chaque nouveau logement, bizarrement, la même créature attend la famille, un homme blessé, estropié, sanguinolent, enveloppé de bandages et qui se fait tabasser à tout bout de champ et par tout le monde, sauf par Zénobie qui, paradoxalement, est la seule qui remarque sa présence… Cette créature mystérieuse est le Schmürz, une sorte de souffre-douleur qui n’ouvre pas la bouche et qui reçoit les coups sans la moindre protestation.

Les bâtisseurs d’empire est la dernière pièce écrite par Boris Vian, et sa présentation à Paris précéda de quelques mois la mort du grand écrivain à l’âge de 39 ans. Or la mort est on ne peut plus présente dans cette œuvre tragique et angoissante, même si l’humour implacable de Boris Vian est bien arrimé à chacune des répliques des personnages. Car toutes ou presque sont prises au pied de la lettre. Les protagonistes n’écoutent pas ce qu’ils se disent les uns les autres mais ce qui se dit par et dans les mots eux-mêmes. Quand par exemple Cruche la domestique demande à Zénobie qui a faim : « Qu’est-ce que je fais pour le déjeuner? », l’adolescente répond : « Pour le déjeuner ou pour nous? »… Mais cet humour décalé ne suffit pas à alléger l’atmosphère qui se fait de plus en plus pesante à mesure que l’action évolue.

Dans le beau décor qui orne la scène du théâtre Denis-Pelletier, le logement dans lequel déménage la famille est bien visible, vide, limité à deux pièces, et comme entre ciel et terre avec une sorte de fumée sulfureuse qui s’échappe des niveaux inférieurs. On apprend qu’avant les déménagements où la scène se situe, la famille vivait dans six pièces confortables et bien meublé, sans doute au rez-de-chaussée. Et le rétrécissement progressif de l’espace n’en est pas encore à son niveau le plus critique. De quel rétrécissement s’agit-il? La menace du bruit existe-t-elle vraiment ou n’est-elle que le fruit de l’imagination du couple des parents qui – dans ce cas – feraient montre d’une paranoïa carabinée qui les entrainerait sans raison vers leur perte? Les interprétations peuvent être nombreuses évidemment. Mais il semble qu’il n’est pas rare d’imputer sa défaillance à vivre à autrui, et ceux qui ont se réflexe facile et dommageable ont l’illusion de se sentir mieux en tapant sur les autres plutôt qu’en essayant d’affronter la vie avec ses hauts et ses bas.

Les bâtisseurs d’empire ou Le Schmürz © Gunther Gamper
Les bâtisseurs d’empire ou Le Schmürz © Gunther Gamper

La pièce est très bien interprétée, le décor réussi et les beaux costumes (en particulier féminins) en phase avec les années 60 de création de l’œuvre. Si on ne rit pas vraiment, on sourit à tout moment des jeux sur le langage qui rappellent à quel point Boris Vian est génial. Et l’on se sent subjugué et impuissant comme spectateur témoin, du fait de ne pas comprendre qui est le Schmürz et pourquoi tout le monde ou presque a tant besoin de se défouler sur lui.

 

Les bâtisseurs d’empire ou Le Schmürz, du 27 septembre au 21 octobre 2017 au théâtre Denise-Pelletier à Montréal

De Boris Vian, Mise en scène Michel-Maxime Legault

Avec Olivier Aubin, Josée Deschênes, Marie-Pier Labrecque, Gabriel Sabourin, Sasha Samar et Marie-Ève Trudel

Scénographie Jean Bard

Costumes Marc Senécal

Lumières David-Alexandre Chabot

Conception sonore Laurier Rajotte Assistance Dominique Cuerrier

Accessoires Jeanne Ménard-Leblanc

Maquillage-coiffures Florence Cornet

Mouvement Danielle Lecourtois

Assistance aux costumes Pierre-Luc Boudreau

Production Théâtre Denise-Pelletier

Informations : http://www.denise-pelletier.qc.ca/spectacles/64/