« Les fées ont soif » au théâtre du Rideau Vert à Montréal

Les fées ont soif © théâtre du Rideau vert
Les fées ont soif © théâtre du Rideau vert

Deux femmes dont les styles de vie sont aux antipodes, une mère de famille confinée dans son foyer et une prostituée, entourent une troisième qui symbolise la Vierge Marie du catholicisme. La mère de famille et la prostituée sont insatisfaites de leurs sorts respectifs, et on peut les comprendre. La première se plaint d’être appréciée dans son entourage que pour les enfants qu’elle met au monde. Elle ne sort jamais, sauf pour les courses de la maison; ne travaille pas et s’ennuie en attendant son mari qui ne la traite pas avec respect, voire dans son cas avec violence. La prostituée n’est pas non plus épanouie dans son style de vie, et on peut la comprendre également. Elle rêve entre autres choses de tendresse et de maternité… Le point commun entre les deux est le manque d’amour. « L’amour est très malade » entend-on dans la bouche de l’une des protagonistes. Et pour la pièce, Les fées ont soif, la cause de leurs insatisfactions réside dans la manière dont les hommes ont conçu la religion, ce qui se révèle dans la figure de la Vierge, mère de Jésus et « reine du néant » qui, à la manière d’une prière s’écrie : « Prenez pitié de nous. Nous sommes des

Les fées ont soif © théâtre du Rideau vert
Les fées ont soif © théâtre du Rideau vert

femmes égarées. Que faisons-nous sur cette terre? »…

On imagine sans peine qu’il y a quarante ans, lorsque cette pièce désormais classique du répertoire québécois, fut programmée du TNM, elle souleva la colère des institutions de la droite religieuse, et aussi du Conseil des Arts de Montréal… Mais le directeur du TNM de 1978 ne céda heureusement pas à la censure. La pièce fut maintenue à l’affiche et les tribunaux lui donnèrent finalement raison.

Aujourd’hui, cette pièce est présentée au Théâtre du Rideau Vert dans une nouvelle mise en scène et avec une nouvelle distribution d’actrices/chanteuses et de musiciennes, toutes extrêmement talentueuses, avec de beaux costumes et un décor très réussi. Elle mêle narration des protagonistes, poésie, musique très bien interprétée sur scène, chansons, le tout formant un plaidoyer pour la libération de la femme sur fond de critique du rituel catholique, de ses prières et de ses symboles.

C’est cet aspect qui m’a le plus intéressée. À l’écrivaine Denise Boucher, qui a signé le texte il y a quarante ans, il fallut sans doute beaucoup de courage pour se sentir suffisamment libre de sa parole et dénoncer ce qui lui paraissait insupportable dans le statut attribué aux femmes par les institutions religieuses. Pour les aspects libération de la femme dans la société, il est vrai que c’est un sujet dont on entend tous les jours parler, mais la pièce est-elle pour autant en phase avec ce qui se joue actuellement ? Je n’en suis pas si sûre.

Aujourd’hui, la plupart des femmes travaillent et n’estiment plus comme une conquête hors d’atteinte de leur liberté de quitter leur mari. Les prostituées existent toujours. Les hommes violents aussi (parfois ce sont des femmes qui le sont). Quant au viol que subit le personnage de la pièce, serait-il aujourd’hui atténué dans sa gravité sous prétexte qu’une prostituée en est la victime? Je doute que ce serait aussi tranché que cela nous y est montré, et tant mieux.

Un autre aspect peut être encore mis en rapport avec l’actualité. Dans un des monologues de la Vierge, celle-ci change le genre de certains mots qui se retrouvent au féminin : « la soleil brillait très fort dans la ciel (sic) ».

J’aurais sans doute ressenti cette partie comme pleine d’humour il y a quarante ans, mais aujourd’hui, elle m’a un peu inquiétée. Qu’importe que lune soit au féminin et soleil au masculin en français? Les femmes, dont je suis, vont-elles encore longtemps se sentir insultées pour des formes langagières qui remontent à des siècles, qui se sont formées de manière empirique par l’usage, et dont je doute que des hommes aient consciemment pensé pour donner un statut inférieur aux femmes. L’amour est toujours très malade. Les femmes de la pièce rêvent d’amour avec des hommes. Tout ce débat sur la langue (tiens, un mot au féminin) me semble à la limite paranoïaque, et je ne m’y associe nullement. Cette féminisation à outrance que la parole de moins en moins libre oblige, ne fait qu’alourdir et allonger la langue pour vanter une forme au détriment de ce qu’on y dit. Les hommes sont accusés de crimes qu’ils n’ont pas commis, ce qui n’aidera pas l’amour (toujours et peut-être éternellement très malade) et les relations hommes / femmes (aurais-je dû écrire « femmes / hommes » ?).

Toujours est-il que la pièce Les fées ont soif est une œuvre très réussie, ludique, distrayante et sans aucun doute porteuse de multiples réflexions.

 

Les fées ont soif du 25 septembre au 10 novembre 2018 au théâtre du Rideau Vert à Montréal

Texte Denise Boucher

Mise en scène Sophie Clément

Assistance à la mise en scène Alexandra Sutto

Avec Bénédicte Décary, Caroline Lavigne, Pascale Montreuil

Musiciennes Patricia Deslauriers, Nadine Turbide

Décors Danière Lévesque

Costumes Linda Brunelle

Informations : https://www.rideauvert.qc.ca/piece/les-fees-ont-soif/