La toute nouvelle salle de spectacle du cégep Ahuntsic au Nord de l’île de Montréal – L’Espace le vrai monde?, nom donné en l’honneur de la pièce de l’ancien étudiant du Collège que fut Michel Tremblay – est désormais ouverte au public. Les Montréalais vont y bénéficier d’une programmation variée de théâtre, d’humour, de musique et de ciné-club avec, pour démarrer la saison, l’excellente pièce Baby Sitter de Catherine Léger.
Baby-Sitter a été écrite à la suite d’un fait divers. Alors que la journaliste Chantal Machabée commentait en direct à la télévision un match des Alouettes, un employé d’Hydro-Québec qui avait bu pas mal de bières, a trouvé très malin de passer devant la caméra et de crier « Fourre-la dans le cul »… Le relais pris par les réseaux sociaux a rendu la vidéo virale. Et dans la pièce Cédric, l’auteur de la blague vulgaire et pour le moins sexiste, est partagé entre le succès qu’il remporte sur YouTube avec plus de 200 000 clicks, et le fait qu’il ait juste dit une très grosse bêtise sans voir plus loin que le bout de son nez. La blague provoque la colère de son entreprise qui décide de le suspendre de son emploi. Et voilà Cédric contraint de rester à la maison avec sa blonde Nadine en congé de maternité de leur bébé Léa âgé de 5 mois.
Deux autres personnages interviennent dans la pièce, et tout d’abord le bien-pensant Jean-Michel, un journaliste convaincu qu’il est dans le droit chemin et qui profite de l’occasion pour manifester toute son ascendance sur son frère Cédric, lui faire la morale et le pousser à rédiger des excuses sincères et circonstanciées. Cédric n’est pas opposé à l’idée. Mais comme Nadine trouve embarrassant que son Chum reste à la maison et fait mine, pour s’échapper, de retourner au travail, Cédric engage une baby-sitter Emy pour garder la petite Léa pendant qu’il se lance dans l’écriture d’un livre afin de s’excuser, non seulement auprès de celle qui a reçu l’insulte mais auprès de rien de moins que toutes les femmes du monde…
La pièce est drôle, bien écrite, très bien interprétée et à un rythme soutenu. Les personnages sont colorés et bien articulés entre eux. Le beau décor montre deux lieux distincts, la chambre de bébé avec sa tapisserie, son mobile au-dessus du lit et ses décorations de petits lapins, et le salon avec son sofa, lieu de rencontre normal pour les adultes. On pourrait penser que la pièce parle de misogynie et de guerre entre les sexes. Il y est plutôt question de pouvoir, celui que tout le monde est tenté d’exercer pour se faire aimer des autres ou pour s’aimer soi-même.
Cédric est d’abord grisé par le chiffre impressionnant de personnes qui l’ont vu sur le web. La célébrité même pour une stupidité lui donne du baume au cœur et ses ambitions d’excuses ne le motivent vraiment que si elles sont adressées à la population de la moitié de la planète que composent les femmes. Jean-Michel exerce son pouvoir sur son frère qu’il traite d’imbécile, ce qui n’est pas loin de la réalité, mais sans lui-même se mettre le moins du monde en question, et il est prêt à se soumettre à Emy en exerçant du même coup son pouvoir sur elle. Nadine en dépression post-natale, tente d’exercer aussi un certain pouvoir sur Cédric en le gardant auprès d’elle, mais quand même à distance, en attendant qu’elle ait davantage envie d’être avec lui et qu’elle ressente en elle-même un pouvoir sur le monde. Et puis il y a Emy qui, comme un chien dans un jeu de quille, semble débarquer d’une autre planète et permet aux autres d’exercer leur pouvoir sur elle, en y retirant sans doute aussi une certaine satisfaction dans la mesure où elle est celle qui tire habilement les ficèles de ce drôle de jeu collectif.
La belle salle L’Espace le vrai monde? était presque entièrement remplie de jeunes étudiants du cégep enthousiastes à la fin du spectacle. Le débat qui a suivi en présence des acteurs a prouvé que Baby-Sitter avait suscité de nombreuses réflexions intéressantes auprès du public.
Baby-Sitter, les 27 et 28 novembre 2018 à l’Espace le Vrai monde?, collège Ahuntsic à Montréal
Texte : Catherine Léger
Mise en scène : Philippe Lambert
Comédiens : David Boutin, Isabelle Brouillette, Victoria Diamond et Steve Laplante
Scénographie, costumes, accessoires : Elen Ewing
Éclairage : Étienne Boucher
Conception sonore : Benoît Coté
Techniciens- éclairage, son, régie : Sébastien Marion, Maude Serrurier
Direction Technique : Marylin Gagnon
Production : Théâtre Catfight – Catherine Léger et Isabelle Brouillette
Informations : https://ahuntsic.tuxedobillet.com/
