Énée réfugié? « L’Énéide » revue par Olivier Kemeid au Quat’Sous à Montréal

L’Énéide © Yanick Macdonald
L’Énéide © Yanick Macdonald

Le drame des réfugiés dans le monde ne date pas d’aujourd’hui. Si l’actualité met de plus en plus souvent cette question à l’avant-scène, il va de soi que les mouvements de populations – à la recherche d’un lieu pour simplement vivre – remontent à la nuit des temps. Il est on ne peut plus normal de chercher à fuir un régime oppresseur, ou juste de vouloir améliorer son sort. On devrait avoir le droit et la possibilité de choisir le lieu sur la planète où pouvoir se poser.

La question touche tout le monde, sans exception. Elle parait simple à priori. Dans la réalité du terrain, elle est grave, compliquée, et elle mérite évidemment d’être traitée au théâtre ou ailleurs pour être réfléchie.

L’Énéide © Yanick Macdonald
L’Énéide © Yanick Macdonald

Pour autant, puisque la question est complexe, c’est un peu dommage de la simplifier à l’extrême en présentant d’un côté une poignée de personnes pacifiques, opprimées et en fuite, et de l’autre des individus belliqueux, des nantis, des vacanciers insouciants de leur confort ou des services aux réfugiés inefficaces voire malveillants. Cette situation un peu caricaturale existe ou a existé dans la réalité, sans aucun doute, mais ce n’est plus aujourd’hui la plus fréquente; et ce n’est sûrement pas celle qui permet le mieux de réfléchir à la question. Quant à faire du héros de Virgile un réfugié, la proposition est déjà un peu tirée par les cheveux, mais traitée comme elle l’est dans cette reprise de la pièce d’Olivier Kemeid au théâtre de Quat’sous, j’avoue qu’elle ne m’a pas beaucoup convaincue.

Les ingrédients auraient peut-être pu être très bons. L’Énéide, c’est l’épopée d’Énée, un Troyen presque ordinaire (il est quand même le fils de la déesse Vénus), un perdant qui va prendre une sorte de revanche sur les Grecs vainqueurs de la guerre de Troie en étant à l’origine de rien de moins que le futur empire romain. Au moment où Virgile offre cette suite géniale à l’Iliade et à l’Odyssée d’Homère, c’est l’empereur Auguste qui règne sur un empire presque à son apothéose. Énée est toutefois un homme simple, qui se soucie de sa famille. Il a perdu sa femme et part avec son fils, son père qui mourra bientôt, et une poignée de compagnons.

Dans la pièce de théâtre, l’action est transposée à l’époque contemporaine, ce qui est très bien. Le héros se prénomme bien Énée et ses compagnons ont conservés les noms donnés par Virgile. Mais j’avoue avoir mal compris le changement de nom de Didon ou quelle était l’intention derrière l’inversion droite gauche dans la géographie du monde des morts au moment de la visite d’Énée à son père. Cela ne m’a pas gêné plus que cela, car bien des longueurs et des naïvetés sont à reprocher, par ailleurs, dans cette succession de scénettes sans très grand intérêt et aux actions parfois bizarres. Même la distribution, la superbe Olivia Palacci exceptée, ne brillent pas beaucoup, alors que tous sont de très bons acteurs d’habitude.

Le mélange comique dramatique permet de respirer un peu, mais à aucun moment je n’ai vraiment ressenti les enjeux réels du drame des réfugiés par rapport aux réticences pour une part compréhensibles des accueillants. Je le regrette. Ce genre de sujet devrait permettre une réflexion profonde de certains enjeux au moins. Nous sommes tous ou pouvons tous être alternativement réfugiés et accueillants. Il n’y a pas d’un côté les victimes et de l’autre les bourreaux. Heureusement, la réalité est plus complexe et beaucoup plus intéressante.

L’Énéide, du 3 au 28 septembre 2019 au théâtre Quat’Sous à Montréal

Une coproduction du Théâtre de Quat’Sous et de Trois Tristes Tigres

Texte et mise en scène Olivier Kemeid
Avec Étienne Lou, Anglesh Major, Igor Ovadis, Olivia Palacci, Marie-Ève Perron, Luc Proulx, Philippe Racine, Sasha Samar, Mounia Zahzam et Tatiana Zinga Botao
Assistance à la mise en scène et régie Stéphanie Capistran-Lalonde
Dramaturgie Chloé Gagné-Dion
Décor et costumes Romain Fabre
Lumières Julie Basse
Conception sonore Larsen Lupin
Maquillage Amélie Bruneau-Longpré
Assistance au décor Marie-Ève Fortier
Assistance aux costumes Julie Pelletier

Informations : https://www.quatsous.com/spectacles/l-eneide