L’opérette Docteur Ox à la Place des Arts: de belles voix qui racontent une histoire drôle et excentrique

L'opérette Docteur Ox
L’opérette Docteur Ox (gauche à droite: Alexandrine Branchaud, Étienne Cousineau, Catherine Ouimet, Jocelyne Cousineau, Arnaud Gloutnez, Benoît Godard)

L’opérette de Jacques Offenbach « Le Docteur Ox » est basée sur une nouvelle humoristique de Jules Verne (« Une fantaisie du Docteur Ox » écrite en 1874). La compagnie Belle Lurette qui présente une version concert tous les mois d’octobre depuis maintenant 10 ans offre cette oeuvre complexe et complètement délurée. Malgré que ce soit une version concert, la mise en scène intelligente et humoristique d’Étienne Cousineau nous fait passer une soirée très divertissante. Ce dernier, co-fondateur de Belle Lurette, est remarquable dans le rôle principal féminin. Mais ce qui en fait un grand succès c’est qu’il a su s’entourer d’un groupe de chanteurs et d’acteurs de talents.

L’histoire se déroule à Quiquendonne où le Docteur Ox et son assistant Ygène ont une usine de gaz Oxy-hydrique qui change le comportement de ceux qui le respire. Le maire Van Tricasse et sa femme ont promis leur fille Suzel en mariage à Ox. Mais cette dernière aime et est aimée de son voisin Frantz. Par contre Ox a été amoureux de la princesse bohémienne Pascovia, mais il s’est enfui le jour de ses noces. Pascovia qui arrive en ville pour la kermesse croise par hasard Ox qui doit s’enfuir à nouveau. Alors qu’il est à l’usine de gaz pour une démonstration de son gaz, la princesse Pascovia confronte Ox et sa promesse à Suzel. Après que les villageois aient expulsé Pascovia, elle revient déguisée pour pouvoir se venger de Ox grâce à l’aide de son fidèle serviteur Shaoura. Pendant ce temps Ox se déguise mais Pascovia le reconnaît. Une démonstration du gaz sur toute la ville vire à la catastrophe quand la clé qui peut arrêter l’usine est volée. Les effets du gaz engendrent une débauche sur la ville, et de nouveaux couples se forment: Ox avec Suzel, Ygène avec la princesse Pascovia, Mme Van Tricasse avec le cousin de son mari Nicklausse, le maire Van Tricasse avec la bonne (Lotché), etc. Les villageois s’affolent car la clé de l’usine est perdue, l’usine explose et les effets du gaz se dissipent. Suzel retourne à son amoureux Frantz, M. et Mme Van Tricasse retournent ensemble et Ox et Pascovia se reconcilient grâce à leur amour. Tout est bien qui finit bien! Si vous avez réussi à suivre cette histoire rocambolesque c’est tant mieux, mais au final l’histoire n’est qu’une excuse pour bien rire et s’amuser.

Shaoura (Philippe Gobeille) et Princesse  Pascovia (Étienne Cousineau)
Shaoura (Philippe Gobeille) et Princesse Pascovia (Étienne Cousineau)

Une production du Docteur Ox est toujours difficile à monter à cause de l’histoire sophistiquée, surtout en version concert où l’absence de décor rend difficile chaque tableau. Mais cette production est très compréhensible et surtout divertissante. La mise en scène est tellement truffée de détails et bien ficelée qu’on assiste plutôt à un version complète dépouillée de costumes et décors. L’ajout d’une narratrice qui nous fait une mise en situation au début de chaque tableau permet de suivre facilement l’action. Son ajout de textes est ingénieux, drôle et original. Le principe du « running gag » est utilisé grâce à une certaine Gisèle de Baie-Comeau qui revient toujours poser des questions à la narratrice par Twitter ou Facebook.

Étienne Cousineau dans le rôle de la princesse Prascovia chante et joue avec brio! Sa voix de sopraniste est brillante, avec de belles textures et des envolées vocales qui impressionnent. Son jeu n’est pas en reste, même si ce rôle féminin est joué par un homme. Subtil, on le sent avoir beaucoup de plaisir dans ce rôle de femme fatale. Il bouge avec une aisance déconcertante, comme lorsqu’il exécute sa danse avec son fidèle acolyte Shaoura. Il joue avec sa voix masculine quand il parle et sa voix de soprano pour chanter, ce qui donne de la classe à son personnage. Seul bémol, on aurait aimé que la narratrice indique d’une façon quelconque qu’Étienne joue le rôle de la princesse, car ça prend plusieurs scènes pour bien asseoir son personnage féminin qui parle avec une voix masculine.

Monsieur Van Tricasse (Mireck Mételski) et Docteur Ox (Nathan Lelièvre)
Monsieur Van Tricasse (Mireck Mételski) et Docteur Ox (Nathan Lelièvre)

Nathan Lelièvre en Docteur Ox est juste assez fou. Belle voix juste, Nathan joue avec subtilité les différentes facettes de ce personnage amoureux de Prascovia. Mireck Mételski en maire un peu naïf est très bon. Son jeu est habile et il sait charmer quand il chante.

Les autres rôles secondaires masculins ne sont pas en reste, tous les chanteurs sont solides avec des voix justes qui projettent. Que ce soit Benoît Godard avec de beaux graves ronds et puissants, Richard-Nicolas Villeneuve avec ses envolées ou Arnaud Gloutnez avec sa voix puissante et juste. Philippe Gobeille n’a que quelques lignes à chanter mais c’est pour son jeu astucieux de personnage maladroit, son accent bohémien et sa complicité avec la princesse Prascovia qu’on le remarque.

Les femmes qui complètent la distribution sont tout aussi excellentes. Jocelyne Cousineau chante avec une belle voix mature et puissante et joue une Mme Van Tricasse très drôle quand elle est sous l’effet du gaz. Catherine Ouimet en Suzel réussit bien à jouer la petite naïve et c’est très agréable de l’entendre chanter avec sa voix juste de soprano. Alexandrine Branchaud est la parfaite bonne de maison avec ses attraits physiques, son jeu et sa voix, un peu plus chaude et ronde. Sans oublier la narratrice Kim Taschereau qui nous faire rire avec ses remarques subtiles comme « 4 ans d’école de théâtre pour jouer ça! » lorqu’elle fait un rideau de fenêtre dans une scène.

Les ouvriers de l'usine (en avant, Jocelyne Cousineau, Benoît Godard, Catherine Ouimet et Mireck Metelski)
Les ouvriers de l’usine (en avant, Jocelyne Cousineau, Benoît Godard, Catherine Ouimet et Mireck Metelski)

La réussite de cette production tient principalement à une mise en scène ingénieuse, remplie de petits détails et bien exécutée par ses interprètes. On a l’impression de voir un épisode de « Une galaxie près de chez vous » écrit par les auteurs de « Le coeur a ses raisons ». La scène des ouvriers à l’usine est à se tordre de rire, ressemblant à la scène des Munchkins dans « Le magicien d’Oz ». Ou lorsqu’un silence prévu dans le texte est remplacé par des bruits de grillons en été. Mais une des plus belles réussites c’est d’avoir réécrit les paroles d’une chanson (« Changeons de langage ») pour la rendre plus locale avec des références à la Franco-Ontario.

Pour terminer, il faut souligner l’acoustique des voix dans cette petite salle, accompagnées magnifiquement au piano à queue par Pierre McLean. Aucun microphone ou haut-parleur, on entend des voix et de la musique pure, sans artifice ni coloration. Dommage que ça ne soit pas toujours ainsi!

Les bons coups: mise en scène intelligente et déjantée, excellentes voix et bons jeux des acteurs, très bonne acoustique, narration.

Les moins bons coups: histoire complexe

Princesse Prascovia (Étienne Cousineau) et son acolyte Shaoura (Philippe Gobeille)
Princesse Prascovia (Étienne Cousineau) et son acolyte Shaoura (Philippe Gobeille)

Produit par Belle Lurette (http://www.bellelurette.org/), mis en scène de Étienne Cousineau.

Distribution: Étienne Cousineau (Prascovia), Nathan Lelièvre (Ox), Mireck Mételski (Van Tricasse), Benoît Godard (Nicklausse), Jocelyne Cousineau (Mme Van Tricasse), Catherine Ouimet (Suzel), Richard-Nicolas Villeneuve (Ygène), Philippe Gobeille (Shaoura), Alexandrine Branchaud (Lotché), Arnaud Gloutnez (Frantz), Kim Taschereau (narratrice).

Pianiste: Pierre McLean

Présenté en français au studio-théâtre de la Place des Arts, les 4 et 5 octobre à 20h. Billets disponibles à 30$ sur http://www.laplacedesarts.com/ ou au 514-842-2112

Photos: Daniel Ouimet