Lipsynch

Dans le cadre du carrefour international de théâtre, vendredi le 3 juin dernier, les gens de Québec étaient conviés à un marathon de théâtre de 9 heures avec le spectacle multiculturel Lypsynch créé par Robert Lepage, EX Machina et le Théâtre sans Frontières..

Avec comme thème LA VOIX, Robert Lepage, ce légendaire virtuose de l’image, explore à travers 9 tableaux, 9 vies, les différentes formes, inclinaisons, manifestations et reproduction de la voix et en démontre toute les couleurs, les textures et la complexité de celle-ci. Il y a naturellement les 4 langues (anglais, français, espagnol et allemand) qui s’entremêlent, avec les surtitres qui permettent de les décoder. Mais il y a aussi les accents qui sont explorés. L’accent anglais de Londres, mais aussi celui écossais, grec, latino et français.

Il y a également divers troubles de la parole comme le bégaiement, et l’aphasie qui sont décortiqués, en plus de parler de surdité (lire sur les lèvres) et de schizophrénie (voix hallucinatoires).

Mais surtout, le public en apprend beaucoup sur l’art du tournage de films sonores ou muets, de la postsynchronisation, le play-back, les voix hors champ, les bandes sonores bref tout ce qui sert à reproduire la voix.

À un autre niveau, on retrouve aussi les voix de la conscience, de nos chers disparus et les voix d’outre-tombe. À  travers la voix humaine, on découvre l’identité de la personne et on en ressent l’émotion.

Naturellement le chant est très présent. Dès le départ, l’émotion est palpable dans la magnifique interprétation en ouverture de spectacle de la symphonie no 3 de Gorecki par la soprano Rebecca Blankenship. Également Rick Miller épate et séduit par sa diversité vocale, autant avec une douce mélodie, qu’avec sa performance en feu du The number of the beast d’Iron Maiden,  et un rap bien senti. Et je ne peux m’empêcher de souligner la sublime voix de Frédérike Bédard qui interprète du jazz endiablé en alternant les aigües et les graves, puis qui nous fait une démonstration de pur délice où elle enregistre à l’ordinateur sur scène, quatre voix en harmonie pour un résultat hallucinant d’une pièce vocale a capella où d’autres instruments de musique seraient vraiment superflus.   

En résumé, en neuf heures, les destins de neuf personnages à la fois sombres et lumineux se croisent et se relaient en une formidable mosaïque de rencontres tantôt émouvantes, tantôt tragiques, tantôt férocement drôles. Au-dessus de l’océan Atlantique, une jeune femme meurt en silence, tenant dans ses bras un petit enfant. Alertée par les pleurs, une chanteuse d’opéra partageant le même vol recueille le bébé qui, une fois adulte, cherchera à retracer ses origines. L’incident provoquera un « effet papillon » qui aura des conséquences déterminantes sur les vies de personnages aux origines variées, issus de quatre générations différentes, dont on suit les pérégrinations sur trois continents.

Tout est magnifiquement agencé dans cette pièce pour que le temps passe rapidement pour le public bien que le rythme des histoires racontées soit lent. Les changements de décor fréquents (par les acteurs et les techniciens qui endossent parfois divers costumes pour se fondre dans les autres personnages) sont rapides et électrisants à regarder. En contrepartie, on prend le temps de bien installer chaque situation, sans avoir peur de laisser les silences trainer voire même jusqu’à présenter des scènes complètes sans paroles, comme dans la première histoire, celle d’Ada Weber, alors qu’elle est dans l’avion qui l’amène à Montréal, et qu’elle fait la découverte de la mort de la jeune mère, pendant que les seuls bruits qu’on entend sont ceux des pleurs du nourrisson. 

Mais, pour moi, ce qui m’éblouit et me renverse à tout coup, c’est l’ingéniosité et le savoir-faire de Robert Lepage dans le visuel qu’il propose. Ce maître de l’image, unique en son genre, déploie dans chaque tableau de surprenants effets spéciaux ou procédés théâtraux qui me séduit invariablement.

Dans le métro, on voit défiler par la fenêtre, les stations avec les passagers qui attendent et on a vraiment l’impression que le wagon se déplace. L’utilisation également de personnes réelles qui apparaissent à tout moment dans les scènes pour incarner diverses voix, comme pour le répondeur, le cellulaire, le GPS, la voix automatisée dans l’auto et appareils électroménagers, m’impressionne. C’est ingénieux et amusant.

Aussi, par un agréable stratagème, l’on voit le bébé Jérémy devenir jeune garçon, et adolescent, assis avec sa mère dans un transport en commun. Un effet visuel fascinant.

On connaît également la préférence marquée de la vidéo par Robert Lepage. Ainsi, à plusieurs reprises, il y a la diffusion d’images en direct sur un immense écran en fond de scène. Un de mes moments préférés survient lorsqu’une table, des chaises et un piano apparaissent sur cet écran, alors que sur la scène on ne voit que des objets hétéroclites et le tout est réalisé par un effet de profondeur de champ. Époustouflant! Cependant, ce même procédé d’utilisation de vidéo en direct est totalement troublant, alors que c’est sur le corps de la jeune Lupe que l’on voit apparaître les scènes de caresses d’un homme. Ouf!

Un autre phénomène qui m’a bien plu, est celui où l’on assiste à une scène de l’extérieur d’une librairie, sans entendre les conversations qui se passent à l’intérieur. Par la suite, le décore pivote et on revoit la même séquence, mais cette fois-ci, ce sont les sons extérieurs qui nous sont muettes, alors qu’on comprend enfin ce qui se racontait à l’intérieur. Un beau moment où, encore une fois, la voix prend toute sa valeur.

J’ai également trouvé fascinant de voir les étapes de tournage d’un film, puis comment les bruits sont ajoutés à la bande-sonore, et le doublage des voix, également qui sont ajoutés par la suite. Un divertissement fort instructif.

Malgré les sujets lourds et complexes abordés, comme le viol, l’inceste, la prostitution, la maladie et la mort, l’humour est au rendez-vous dans chaque tableau. Parfois ce sont des répliques tordantes et coquines qui font rigoler, comme la conversation téléphonique entre Ada et Thomas qui deviendront un couple, ou la scène au restaurant où la cacophonie est au rendez-vous et chacun traduit les conversations dans sa propre langue. Une vraie tour de Babel. À d’autres moments, c’est à la limite du burlesque qu’on assiste par exemple aux funérailles du père de Sébastiàn. Le drame aussi est omniprésent, surtout à la fin du dernier tableau, celui de Lupe, lorsque la boucle est bouclée et tous les morceaux du casse-tête sont rassemblés et le dénouement d’une profonde humanité vient atteindre le public en plein cœur.

Bien évidemment, tous ces procédés visuels, ces techniques multimédias et ces modules sur roues et accessoires qui s’imbriquent l’un dans l’autre, bien connu d’Ex Machina ne peuvent être un succès sans l’apport magistral des techniciens et des acteurs dont la tâche est doublée puisqu’ils doivent participer en équipe à tous ces changements de décor, et ce, en plus d’incarner divers rôles secondaires en supplément de leur rôle principal. 

C’est donc un travail colossal qu’ils accomplissent tous. Une performance d’acteur, de chanteur, de technicien et de polyglotte qu’ils déploient tous à merveille. Tous et chacun ont leur moment de gloire et leurs interprétations sont remarquables! 

À la fin de la représentation, les acteurs, les techniciens ainsi que Robert Lepage lui-même ont été salués, applaudis et ovationnés pendant plusieurs minutes. 

Et dire qu’après ces neuf heures passées dans cet aréna, je n’avais qu’une seule envie… revoir ce spectacle, pour me délecter à nouveau de ces moments sublimes! C’est mon coup de cœur de théâtre à vie !!! 

Je me dois de souligner le travail exceptionnel aussi des bénévoles et de l’équipe du carrefour de théâtre, qui ont fait en sorte que ce soit facile de circuler lors des pauses, avec un accès rapide aux toilettes et à la restauration. Un bel esprit d’organisation. 

En français, anglais, allemand et espagnol
Surtitré en français

Samedi 4 juin (13 h)
Dimanche 5 juin (13 h)

Aréna Patrick-Poulin
220, avenue du Chanoine-Côté

Durée

Comme le spectacle est d’une durée de près de 9 heures, il y a un entracte de 45 minutes pour le repas et quatre pauses de 20 minutes. Des repas et des collations sont en vente sur place pendant l’entracte et les pauses.

Mise en scène Robert Lepage
Texte Frédérike Bédard, Carlos Belda, Rebecca Blankenship, Lise Castonguay, John Cobb,
Nuria Garcia, Marie Gignac, Sarah Kemp, Robert Lepage, Rick Miller, Hans Piesbergen
Interprétation
Frédérike Bédard (Marie & autres)
Carlos Belda (Sebastian & autres)
Rebecca Blankenship (Ada & autres)
Lise Castonguay (Michelle & autres)
John Cobb (Jackson & autres)
Nuria Garcia (Lupe & autres)
Sarah Kemp (Sarah & autres)
Rick Miller (Jeremy & autres)
Hans Piesbergen (Thomas & autres)

Conseillère à la dramaturgie Marie Gignac
Assistance à la mise en scène Félix Dagenais
Scénographie Jean Hazel
Conception des éclairages Étienne Boucher
Conception sonore Jean-Sébastien Côté
Conception des costumes Yasmina Giguère, assistée de Jeanne Lapierre    
Conception des accessoires Virginie Leclerc
Réalisation des images Jacques Collin
Perruques Richard Hansen
Participation au processus de création Sophie Martin

Agent du metteur en scène
Lynda Beaulieu
Direction de production Louise Roussel
Direction de production (tournée) Marie-Pierre Gagné
Direction technique Paul Bourque
Régie générale Judith Saint-Pierre
Régie des éclairages Renaud Pettigrew
Régie son Stanislas Elie
Régie vidéo David Leclerc
Régie des costumes Sylvie Courbron
Régie des accessoires Virginie Leclerc 
Chef machiniste Anne Marie Bureau
Machinistes Simon Laplante, Éric Lapointe
Consultants technique Catherine Guay, Tobie Horswill
Collaboration à la scénographie – partie Thomas Carl Fillion

Musiques
Bist du bei mir de J.S. Bach
Do you know the way to San José? & The Look of Love de Bacharach / David
Le petit berger de Debussy
April in Paris de Duke / Harburg
Symphony # 3 d’Henryk Mikolaj Górecki
Every Mother’s Son de Rick Miller, arrangements de Jean-Sébastien Côté
Transmission de Joy Division
All the things you are de Kern / Hammerstein
Bunte Blätter, Opus 9, Fünf Albumblätter I, II, III, IV, V de Robert Schumann
Interprétation de la Symphonie #3 de Gorecki
Quatuor Cartier, Martin Gauthier, Jean-Sébastien Côté
Poèmes
Les Boucliers Mégalomanes # 3 & Les Boucliers Mégalomanes # 78 de Claude Gauvreau, utilisés avec la permission de M. Pierre Gauvreau
Monumenta Linguae de Juan Hidalgo
Voix enregistrées Adrian Egan, Philip Graeme, Mary Harris, Helen King, Rick Miller
Réalisation des décors Astuce Décors, Les Conceptions visuelles Jean-Marc Cyr
Réalisation des costumes Janie Gagnon, Annie Simard, Sophie Royer
Production des clips vidéo Ciné-Scène.ca

Production Ex Machina et Théâtre Sans Frontières    
En collaboration avec Cultural Industry Ltd et Northern Stage    
Coproduction
Arts 276/Automne en Normandie
barbicanbite08, London
Brooklyn Academy of Music
Cabildo Insular de Tenerife
Chekhov International Theatre Festival, Moscow
Festival de Otoño Madrid
Festival TransAmériques, Montréal
La Comète (scène nationale de Châlons-en-Champagne)
Le Théâtre Denise-Pelletier, Montréal
Le Volcan Scène nationale du Havre
Luminato, Toronto Festival of Arts & Creativity
Napoli Teatro Festival Italia
The Sydney Festival
Wiener Festwochen

Producteur délégué, Europe, Japon Richard Castelli
Adjoints au producteur délégué, Europe, Japon Florence Berthaud, Rossana Di Vicenzo, Pierre Laly
Producteur délégué, Royaume-Uni Michael Morris
Producteur délégué, Amériques, Asie (sauf Japon), Océanie, NZ Menno Plukker
Producteur pour Ex Machina Michel Bernatchez

www.carrefourtheatre.qc.ca/

www.lacaserne.net
www.tsf.org.uk

crédit photo : Érick Labbé