Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges

 

Claudiane Ruelland, Maryse Lapierre, Edith Patenaude, Chantal Dupuis

Pour sa troisième pièce de la saison 2011-2012 qui dessine des portraits de femmes d’hier et d’aujourd’hui, Gill Champagne et son fidèle scénographe Jean Hazel ont infiltré l’univers de Michel Tremblay pour reprendre l’adaptation de Serge Denoncourt du roman Thérèse et Pierrette à l’école des Saints-Anges. Ce dernier a lui-même monté sa propre version de cette pièce en 2010 à Montréal et en tournée au Québec. 

Ayant moi-même vu la version très réaliste, style album-photo de Denoncourt l’an passé à la Salle Albert-Rousseau, je peux vous dire que cette mouture présentée par le Trident est complètement différente de celle de Serge Denoncourt. Tout d’abord, le personnage de Marcel et de son chat Duplessis viennent pimenter, sous forme d’interlude, certains moments de la pièce. Patrick Ouellet (le chat invisible) et André Robillard (Marcel âgé de 4 ans) forment un duo éclatant, vigoureux et fusionnel et ils fournissent un jeu très dynamique et juste dans leurs rôles respectifs. 

Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges

Au niveau de la mise en scène également, Gil Champagne et Jean Hazel ont inventé une structure en bois, sur trois étages, formée de multiples boites (compartiments) de diverses grandeurs, dans lesquels l’on retrouve les personnages dans les divers lieux du roman. Ainsi la place est laissée à l’imaginaire des gens. En juchant ainsi ces personnages à hauteur différente, avec parfois les pieds dans le vide, on les sent au bord d’un précipice, en attente de reculer ou de plonger. Ils se parlent parfois côte à côte (comme dans les rangs de l’école, ou en classe), de haut en bas (comme ces mères sur la galerie qui parlent à leurs enfants), ou face à face, sur le trottoir, dont le sol est un énorme tableau pour dessiner à la craie. Une belle idée ingénieuse ! Pour éclairage, seulement une lumière délicate à l’occasion est projetée vers les personnages principaux de la scène, tandis que les autres font partie du décor, ou carrément en arrière du décor, assis, attendant leur prochaine apparition. Un bel ajout également sur scène, d’un vieux piano qui fait référence à cette grosse boite que l’on retrouve chez les voisines invisibles où Marcel, le frère de Thérèse, se réfugie avec son chat imaginaire. Au niveau de l’atmosphère, elle est créée par cette musique très douce, en trame de fond, de piano qui accompagne certaines scènes de manière à accentuer les émotions. C’est sublime!

Au niveau des costumes, tout est recréé de manière très précise selon les habillements des années 40. Ces sœurs aux cornettes exubérantes et à la croix démesurée dans le cou nous font penser qu’elles étaient bien envahissantes à cette époque, dans les familles du Québec. 

Naturellement, toute cette mise en scène ne serait pas efficace, sans le jeu exceptionnel de la douzaine d’acteurs et actrices qui se sont lancé les pieds joints dans cette aventure au langage truculent de Michel Tremblay. 

Les jeunes filles Thérèse(Claudiane Ruelland, fonceuse, baveuse et séductrice), Pierrette(Maryse Lapierre étourdie, gaffeuse et obsédée par le trou entre ses dents) et leur amie Simone (Chantal Dupuis, timide, avec un défaut de langue causé par son bec de lièvre et peureuse à souhait) forment un trio inséparable très crédible. Elles ont de l’énergie à revendre et elles ne se laissent pas marcher sur les pieds. Mais celle qui m’a le plus épaté et a, à mon avis, volé la vedette est sans aucun doute Édith Patenaude dans le rôle de Lucienne Bouchard, la petite grosse fatigante et collante, en grande recherche d’une amie. Édith est méconnaissable, avec ses lunettes rondes et ses tresses rousses, dont elle suce le bout dans sa bouche par habitude. 

Pour ce qui est des sœurs de l’institution scolaire, elles sont semblables au niveau de leur habillement, mais elles ont chacune un petit quelque chose qui les distingue l’une de l’autre et nous les font aimer instantanément, à l’exception bien sûr de la Mère Benoîte des Anges (joué avec brio et conviction par Denise Verville) que le public ne peut s’empêcher d’haïr royalement. À plusieurs occasions, lors de ses sermons de remontrance à ses subalternes ou aux élèves, on entendait des murmures de désapprobation dans la salle. 

Finalement, je me dois de souligner la justesse de jeu de Linda Laplante dans le rôle de la mère de Simone. La scène cruciale où, la rage au cœur, elle vient confronter Mère Benoîte des Anges et lui dire ses quatre vérités en pleine face, le public ne peut que proclamer sa satisfaction en applaudissant profusément. Une performance jouissive! 

On peut dire que cette pièce de deux heures dépeint magistralement l’emprise de la religion sur l’éducation, l’enthousiasme et les angoisses du passage de l’adolescence à l’âge adulte, les tourments de la classe ouvrière au début des années 40 dans les restrictions imposées par la guerre. Le tout, avec un langage aussi coloré que ses personnages. 

Une mise en scène axée sur l’imaginaire ! Une distribution convaincante qui soutient les textes poignants de Tremblay ! Deux heures de pur bonheur théâtral! 

Du 17 janvier au 10 février 2012 à 20 h
Le 4 février 2012 à 16 h et le 11 février 2012 à 14 h

Texte : Michel Tremblay

Adaptation théâtrale : Serge Denoncourt

Mise en scène : Gill Champagne

Distribution : Marie-Josée Bastien, Jean-Pierre Cloutier, Anne-Marie Côté, Chantal Dupuis, Maryse Lapierre, Linda Laplante, Édith Patenaude, Claudiane Ruelland, Andrée Samson, Denise Verville, Éva Daigle, Patrick Ouellet, André Robillard.

Scénographie : Jean Hazel   

Costumes : Sébastien Dionne

Éclairages : Louis-Xavier Gagnon-Lebrun

Musique : René Champigny 

Salle : Salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre.

Du 17 janvier au 11 février 2012 

http://www.letrident.com 

http://www.grandtheatre.qc.ca/ 

 Crédit photos : Vincent Champoux