Livre : Dans le secret des Borgia – Une valeur historique

Dans le secret des Borgia, éd. Tallandier (photo : courtoisie)
Dans le secret des Borgia, éd. Tallandier (photo : courtoisie)
Dans le secret des Borgia, éd. Tallandier (photo : courtoisie)
Dans le secret des Borgia, éd. Tallandier (photo : courtoisie)

La communauté catholique vient tout juste de vivre, pour la 2e fois en peu de temps, l’élection d’un nouveau pape portant à nouveau notre attention sur le monde figé du Vatican. Nous savions que les cardinaux s’isoleraient en conclave, tergiverseraient sur le meilleur candidat à la papauté, chacun y allant de ses intérêts personnels et, on l’espère, dans les intérêts des fidèles. Nous savions aussi que la fumée s’échappant  de la cheminée de la chapelle Sixtine annoncerait un consensus ou une reprise du processus d’élection selon sa couleur. Mais que savons-nous d’autre? De quoi est faite la vie d’un pape? Quelles sont ses charges, a-t-il des libertés? Ou au contraire, est-il contraint à reproduire éternellement les cérémonies et protocoles venus d’une autre époque? Qu’est-ce qui rythme la vie de l’élite catholique?

Et surtout, les papes sont-il de saints hommes?
Rien n’est moins sûr. En tout cas, pas à la fin du XVe siècle alors que le pape Alexandre VI a régné. Dans une Renaissance italienne, l’homme, chez qui se retrouvent tous les vices possibles, a fait la pluie et le beau temps dans la vie de ses ouailles comme dans la politique internationale.

Je me mourrais de m’immerger dans le monde papal, au moins autant que je mourrais du désir de plonger dans la vie de la Renaissance. De toute évidence, je ne suis pas morte. C’est que ce livre, plein de promesses puisqu’écrit par un historien spécialisé de cette époque, également conservateur du patrimoine, Ivan Cloulas, lui-même secondé par Vito Castiglione Minischetti, conservateur à la Bibliothèque nationale de France, ce livre disais-je donc, on se dit qu’il sera la meilleure approche pour se familiariser avec la vie de la Renaissance, du système papal tout en faisant connaissance avec les fameux Borgia, eux qui ont fait l’objet de moults livres et films. Que l’immersion sera totale, qu’on fera un voyage dans le temps jusqu’à s’y croire vraiment étant donné l’impressionnant cv des auteurs et les nombreux ouvrages qu’ils ont publiés. Mais la lectrice que je suis s’est trompée d’ouvrage. Plutôt, c’est l’ouvrage qui s’est trompé de lectrice.

Pape Alexandre VI Borgia (image : courtoisie)
Pape Alexandre VI Borgia (image : courtoisie)

En effet, le document a tout l’air d’un récit historique avec sa couverture belle et suggestive et sa description au dos invitante et généreuse en subjectivité. Ça attire la lectrice curieuse car tout porte à croire que la lecture sera aussi agréable qu’instructive, alors on ne se méfie pas et on ouvre le livre…

«INTRODUCTION

Le pape Alexandre VI Borgia, sa fille Lucrèce, ses fils Pedro Luis, César, Juan et Jofré, ont incontestablement marqué tant leurs contemporains du Quattrocento finissant et du Cinquencento commençant que les historiens, romanciers, dramaturges et peintres des siècles suivants, souvent enclins à sacrifier à une véritable «légende noire». «La vie d’un patriarche suffirait à peine à la lecture des écrits ou sont consignés les crimes d’Alexandre VI», note en 1882 le comte de Maricourt, auteur d’un Procès des Brogia. (…)

Johannes Burckard est né à Niederhaslach, en Alsace, près de Strasbourg, vers 1450, d’où le qualificatif d’Argentinensis (1) dont il accompagne d’habitude son nom. D’origine modeste, il est éduqué au chapitre collégial de Saint-Florent de Niederhaslach. Il devient ensuite secrétaire du vicariat général de Strasbour, poste d’où il est licencié après plusieurs délits : la falsification de licences de mariage, et le vol d’une épée et d’un florin.»

Après une fastidieuse introduction de 38 pages qui m’a souvent perdue dans le nombre de ses détails et qui présente Johannes Burckard, sa vie, son ascension au poste de cérémoniaire auprès du pape (ce sont les extraits de son journal qu’on lira plus tard), les diverses relations qu’il tisse avec les gens au pouvoir religieux dont il use et abuse, on espère que le corps du livre sera plus fluide, moins lourd de titres ecclésiastiques, de dates, de listes de noms… Mais passage obligé, se dit-on en s’attelant à cette lecture lourde, car cette froide introduction est sans doute pour pouvoir alléger le corps du livre.

Procession in Piazza - S. Marco (detail) 1496
Procession in Piazza – S. Marco (detail) 1496

Que nenni! Après cette litanie de dates, de successions de titres, de transactions familiales et politiques, nous arrivons enfin à ce qui nous intéresse : plonger dans le journal du maître de cérémonie Burckard. Car il a écrit ce cérémoniaire, et beaucoup. Mais ce qu’il écrit est dénué d’interprétation, de réflexions personnelles, de réflexions tout court. D’une valeur historique inestimable, son journal se borne à la retranscription des cérémonies, allant des habits du pape aux places accordées autour de lui, des activités politiques autant que religieuses et des accros au protocole. Cérémoniaire de son état, il faut garder ce détail en tête, il passe en revue l’ordre des processions lors des déplacements papaux, qui manquait lors de tel événement, qui s’est assis à la mauvaise place, quelle étole le pape aura porté lors de telle occasion. Qui a assisté au mariage de sa fille bâtarde Lucrèce? On le saura, et avec tant de détails qu’on en oublie ce à quoi on assiste. C’est une lecture protocolaire truffée de notes, de références mais jamais on aura l’interprétation de Burckard, ni des auteurs, sur ce qu’on lit, non plus que les répercussions que cela aura éventuellement. C’est un travail qu’il faudra faire soi-même à moins de déjà bien connaître l’Histoire. C’est historique, point à la ligne. On a aucun point de vue, les extraits du journal ne sont pas mis en relation entre eux, on fini la lecture de un qu’on en commence un autre sans mise en contexte, sans nécessairement voir de lien avec le précédent.

Pourtant, cette mine d’informations qui nous arrive tout droit de la source est profondément intéressante. C’est petit-à-petit qu’on arrive à se figurer ce qui se passe, les enjeux encourus. C’est à travers une phrase de Burckard, qui garde toujours son professionnalisme envers Sa Sainteté, même dans son journal, qu’on peut deviner la barbarie de l’époque… et du pape.  C’est une lecture qui s’adresse nécessairement à ceux qui sont déjà familiers avec le vocabulaire qui s’y attache, ceux qui ont déjà une bonne connaissance de l’Histoire, des personnalités qui y ont évoluées et des événements importants de la Renaissance car pour une première approche, la tâche est ardue. Ça revient à vouloir se familiariser avec la science de la physique en se procurant un ouvrage sur la fission nucléaire. Dans le secret des Borgia – Journal du maître de cérémonies, on est à un niveau qui demande des connaissances préalables.

L'Écartèlement (source : Wikipédia)
L’Écartèlement (source : Wikipédia)

«Une fois son délit avoué, l’homme avait été convaincu de se soumettre à la confession : après quoi il s’était repenti du geste commis, se jugeant digne d’une mort atroce. Il avait ainsi été condamné au dernier supplice, à savoir l’écartèlement, ou mieux à ce que toutes les extrémités de chacun des membres lui soient arrachées successivement et à un intervalle régulier, mais au cours de la même journée. Toutefois, pour ne pas lui donner l’occasion de désespérer, sur ordre de la reine un fort coup lui avait été donné sur la tête pour qu’il meure plus rapidement et pour que, ayant perdu ses sens, il souffre moins de l’arrachage de ses membres.

Ayant appris tout ceci le 27 de ce mois, par une lettre de la maison royale qui lui avait été remise par les ambassadeurs (d’Espagne), les évêques de Plaisance et d’Astorga, Sa Sainteté a ordonné que soit chantée, le samedi 29, dans la chapelle de Sainte-Marie-des-Fièvres, dans la basilique Saint-Pierre, une messe à la glorieuse Vierge Marie pour la convalescence du roi d’Espagne; que soient ensuite montrées au peuple la Sainte Face (du Seigneur) et la Sainte Lance(1); et que soit célébré solennellement un jour de fête, proclamé publiquement et annoncé par des affiches apposées dans les divers quartiers de la Ville.»

L’extrait choisi ici est sans doute le plus imagé du livre. Ce livre qui, disais-je plus haut, s’est trompé de lectorat. Le présenter sous format Beau Livre avec des photos des originaux de Burckard et des divers lieux mentionnés, des peintures illustrants les événements narrés et des gravures des personnages qui les ont vécus, des images des objets sacrés utilisés, aurait donné du corps, une autre dimension à cette entreprise minutieuse, alors que sous cette forme uniquement textuelle, il est plus difficile d’apprécier l’immense travail d’historien qui s’y trouve.

Entre les mains d’un cinéaste, d’un réalisateur, d’un romancier ou d’un peintre, ce livre trouvera sa vocation : un impressionnant ouvrage de références historiques si précis qu’il ne laisse place à aucun doute sur la véracité de ce qui y est écrit. Nous aurons ainsi des oeuvres qui, celles-là, nous transporteront dans le monde retors des Borgia.

Ivan Cloulas, historien et auteur (photo : courtoisie)
Ivan Cloulas, historien et auteur (photo : courtoisie)

Ivan Cloulas, conservateur général honoraire du Patrimoine, est historien de la Renaissance, sur laquelle il a livré plusieurs ouvrages majeurs, dont Catherine de Médicis, Laurent le Magnifique, Savonarole, Les Borgia, L’Italier de la Renaissance… Avec Vito Castiglione Minischetti, concervateur à la Bibliothèque nationale de France, il a publié chez Tallandier les Commentaires du pape Pie II (14-58-1464), sous le titre Mémoires d’un pape de la Renaissance.

 

 

 

Dans le secret des Borgia – Journal du maître des cérémonies du pape Alexandre VI (1492-1503) – Ivan Cloulas et Vito Castiglioni Minischetti
Ouvrage de références
Éditeur : TALLANDIER
ISBN : 9782847349527
516 pages
Prix suggéré : 43.95$