Les chemins de la liberté de Jean Mohsen Fahmy: une nouvelle série romanesque plus que prometteuse

 Les chemins de la liberté par Jean Mohsen Fahmy     © photo: courtoisie
Les chemins de la liberté par Jean Mohsen Fahmy
© photo: courtoisie

La deuxième moitié du 18ème siècle fut le théâtre de grands bouleversements politiques en quête de liberté tant au plan des idées que de l’action des hommes et des États : Philosophes des Lumières, Guerre d’indépendance américaine, Révolution française, premiers mouvements de lutte contre l’esclavage… En réciprocité, la violence des États pour lutter contre cette aspiration ou pour juste assoir leur autorité fut souvent cinglante et sans merci tout comme la rivalité que la France et l’Angleterre se sont livrées pour la suprématie des mers comme des territoires d’outre-mer. Dans ces luttes, les peuples ne sont souvent que des pions dont on dispose au grès de ses intérêts. Le Grand Dérangement des Acadiens en 1754, qui sert de point de départ et d’ancrage à la série les chemins de la liberté de Jean Mohsen Fahmy, en est l’un des exemples les plus tristement célèbres.

 Victimes de cette déportation de masse les familles des deux héros, Fabien et Marie, après un bref passage en Angleterre, « échouent» en France à Saint-Malo et au Havre dont elles repartent attirées par les promesses d’un lopin de terre et d’un toit dans le Poitou sous la gouverne du Marquis des Cars à la recherche d’âmes taillables et corvéables à merci pour défricher de nouvelles terres et attiré par « l’exotisme » que représentent alors les Acadiens. Mais ce seigneur sait aussi repérer les jeunes gens prometteurs et leur permettre un accès à l’éducation, à savoir lire et écrire, et, comme on dit alors, les attacher à son service. Fabien et Marie sont de ceux-là. Sous la recommandation du marquis ils partent donc à Paris où ils sont placés en qualité de commis et femme de chambre dans une maison de commerce et sa demeure familiale, premier niveau alors d’une promotion sociale. L’aventure débute pour eux et pas seulement celle d’un commencement d’élévation de condition ou d’un départ vers de nouveaux horizons. L’aventure avec un grand A commence. En effet, ce grand négociant qui les accueille n’est autre que Beaumarchais, plus connu aujourd’hui pour son œuvre littéraire mais qui, pourtant, à l’époque était aussi et peut-être surtout un homme d’affaires notamment de grand négoce maritime vers les Amériques et un homme d’influence auquel le roi confie à l’occasion quelques missions « délicates » en territoire ennemi c’est à dire en Angleterre ou aux Pays-Bas. Des pays ennemis tant pour leurs rivalités politiques que pour l’accueil que ces pays font à des auteurs et leurs écrits contre le roi et ses proches. Un diplomate de la diplomatie parallèle en quelque sorte. Un homme d’influence et d’affaires deux pôles d’action qu’il va réunir pour soutenir la Guerre d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique contre les Anglais et pour tâcher de convaincre la France de la soutenir officiellement. Nos deux héros se retrouvent donc plongés au cœur de la Grande Histoire d’autant plus ardemment que Fabien devient un des hommes de confiance de Beaumarchais dans l’élaboration d’une aide en armement aux Insurgents sous couvert de grand négoce maritime et en tâchant de se jouer des Anglais qui multiplient espionnage jusque sur le territoire français et menées militaires sur les mers.

 Avec Les chemins de la liberté, tous les ingrédients d’une grande et bonne série historique sont donc réunis : Des héros attachants, intrépides dont l’histoire personnelle mêle aventures et sentiments et qui surtout s’insère dans la grande Histoire en des temps riches en évènements et enjeux donnant ainsi encore plus d’épaisseur et de matière à la vie des personnages. De plus, ceux-ci ne sont pas simplement pris dans la tourmente des aventures qu’ils vivent mais poursuivent un idéal (ici retourner en Acadie au nom de la promesse faite à leurs familles) idéal qui guide leur action et devient le moyen d’être les acteurs de leur propre histoire tout en donnant une dimension à l’histoire de quasi quête messianique.

 Ce nouveau roman de Jean Mohsen Fahmy, Égyptien d’origine et Canadien d’adoption depuis 1968 s’inscrit dans une période que l’auteur connaît bien pour avoir enseigné la littérature et la civilisation française aux universités McGILL et d’Ottawa et publié plusieurs essais sur les Philosophes des Lumières notamment Voltaire et Rousseau. Il est de plus titulaire d’un doctorat (Ph D) en littérature et linguistique de l’université McGill. Dans ce roman, il maîtrise parfaitement l’art de marier Littérature et Histoire pour les mettre au service d’un récit vivant, captivant, sans temps mort, au style alerte et surtout dans lequel l’interaction entre grande et petite histoire ne paraît jamais plaquée. Il introduit Fabien et Marie au cœur de la paysannerie puis des Paris et Londres de la haute Bourgeoisie et noblesse, dans la vie (très bien documentée par l’auteur) véridique de l’époque et des personnages historiques qu’ils vont côtoyer et servir au grès des évènements historiques sans que les artifices utilisés ne sonnent faux.

 On s’attache d’autant plus vite aux aventures des deux héros que le récit est écrit « à la première personne alternée » c’est à dire que c’est tantôt Marie, tantôt Fabien qui parle. Procédé moins utilisé dans la littérature mais qui nous fait pénétrer plus avant dans l’intimité de chacun d’eux, la complexité de leur personnage et la richesse d’une aventure à deux mais nourrie, à une époque où la vie d’un homme et d’une femme ne peuvent être similaires, du vécu de deux histoires complémentaires dans leurs différences. Le tableau de cette fin du 18ème siècle que nous découvrons grâce au parcours de Marie et Fabien, comme les personnages eux-mêmes, n’en sont que plus vivants, plus humains. Une seule réserve cependant. Il serait peut-être intéressant de donner quelques notes sur les personnages historiques du roman. Cela permettrait au lecteur qui n’est pas toujours spécialiste d’histoire européenne et nord-américaine d’apprécier plus encore le cadre historique, la trame et la puissance du récit.

 Pour un lecteur de roman le début d’une nouvelle série est toujours un moment d’excitation. Car plus que le roman, la série romanesque est la promesse de passer de nombreuses heures en compagnie de héros et de leurs aventures. La frustration de la fin de l’histoire, le moment où l’on doit l’abandonner est reportée. L’épilogue, ces quelques lignes qui voudraient clore le récit tout en continuer de faire vivre encore les personnages et la complicité que nous avons établie avec eux et qui bien souvent ne nous laisse que sur notre fin tel un miroir derrière lequel on ne pourrait jamais passer, n’est plus, pour une fois, que le plaisir de l’annonce du nouveau tome à venir. Reste à attendre et pour Les chemins de la Liberté nous sommes impatients.

 Les chemins de la liberté; tome 1 : Marie et Fabien
Auteur : Jean Mohsen Fahmy
Roman
Éditions : Les éditions JCL inc  www.jcl.qc.ca
Couverture : Marc Lalumière
360 pages ; Format broché
ISBN : 978-2-89431-477-7; avril 2013 dépôt légal Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada
Avec le soutien de : Patrimoine Canada-Fonds du Livre du Canada; Sodec, Québec
Prix suggéré : 24,95 $ avant taxes. Offert dans toutes les librairies dès le 16 mai 2013; existe aussi en version numérique

 Rue des libraires : http://www.ruedeslibraires.com/livres/chemins-liberte-les-1-marie-fabien-318919.html/5ccec2ad9bc6e1477214a05fcad6bf46bcdb8a8a64f7a618c0740e3a1b0eff9edb8fd9a6949d4ce5643b25a2808b5ba12edfbad96c78ec9f7c87e6a83b97b72f/?u=4850

 © photo: courtoisie