Charles Aznavour chante: Saint-Jean-sur-Richelieu au mois d’août

Charles Aznavour à Saint-Jean-sur-Richelieu
Charles Aznavour à Saint-Jean-sur-Richelieu © photo: Suzette Paradis

Par un beau clair de lune à Saint-Jean-sur-Richelieu, on aurait dit que le ciel noir bleuté s’était acoquiné avec le destin pour ne laisser paraître que le scintillement d’une seule étoile en cette rare nuit chaude du mois d’août 2013, celle du plus grand maître de la chanson, l’unique Charles Aznavour.

Bien sûr, les 89 années de vie ont froissé ce visage familier et réconfortant. Bien sûr, il y a cette fragilité malgré l’aplomb des déplacements sur scène et le mordant des gestes. Bien sûr, on reconnaîtrait entre 1000, ces doigts tremblants et noueux qui lovent le microphone depuis une éternité. Bien sûr, il y a le choc de la rencontre avec ce public québécois, amoureux d’avance, mais qu’un géant comme Aznavour ne prend jamais pour acquis … séducteur et séduits à jamais.

Puis la magie deviendra palpable et opérera à ciel ouvert auprès de quelques dizaines de milliers de personnes inconfortables et debout, chacun prisonnier de cette foule au doux délire, chacun abandonné aux rêves que suscitent les mots et les mélodies aznavouriennes. Certains ébahis et silencieux, d’autres les yeux fermés, en prière, pour mieux goûter l’émotion et la voix bouleversante ou encore fredonnant les airs familiers comme des souvenirs heureux ou malheureux que l’on berce.

Devant, deux jeunes hommes dans la vingtaine boiront chacune des paroles de Sa jeunesse qu’Aznavour entamera en la récitant. Derrière, ce couple dans la trentaine se bécotera allègrement au son de Les Plaisirs démodés. De chaque côté, les paroles d’Emmenez-moi, Hier Encore, Il faut savoir n’ont plus de secrets pour des milliers de gens de 40, 50, 60 et 70 ans. Charles Aznavour est un être sans barrière générationnelle, sans frontière politique ou géographique.

Le génie du poète de la vie est d’avoir trouvé le vocabulaire, les mots justes et universels pour raconter nos amours, nos joies, nos peines, nos trahisons, notre jeunesse, et notre vieillesse comme dans Va. Et s’il est vrai que l’amour est comme un jour et que ça s’en va l’amour, il n’en est rien pour les rapports que cet artiste phénoménal entretient avec son public. D’ailleurs l’interprétation de haute voltige qu’il signe depuis quelques années de sa chanson L’amour c’est comme un jour est si bouleversante qu’elle vous arrache les tripes et vous laisse pantois.

Et si la voix casse parfois sur ses chansons immortelles comme le deviendra Ce printemps-là (2011), étonnamment Aznavour réussit à décrocher les notes aigues sans faille la plupart du temps.

Charles Aznavour s'amuse sur scène le 17 août 2013
Charles Aznavour s’amuse sur scène le 17 août 2013 © photo: Suzette Paradis

Puis il y a l’humour avec lequel il joue et se rend complice des gens: ce siège dont il a désormais besoin mais qu’il utilise finalement très peu au cours de sa prestation, ces derniers pas de danse dont il nous rend témoin … depuis 10 ans au moins. Et le fameux téléprompteur qui le rappelle à sa mémoire défaillante, sauf que tous les artistes jeunes et vieux en font usage!

Et il y a ses choristes dont sa fille Katia qu’on a envie de voir pour comparer et qui se prêtera à cet exercice en chantant Je voyage en duo avec le papa. Et ses musiciens avec leur chef d’orchestre sans baguette, s’amusera-t-il à dire d’Eric Wilms. Au sein de ceux-ci, Charles Aznavour s’enorgueillit d’avoir repêché en 2007 Erik Berchot le pianiste classique à la feuille de route éclatante: il est lauréat de plusieurs concours internationaux dont le prestigieux concours Frédéric-Chopin à Varsovie.

À Saint-Jean-sur-Richelieu samedi soir, si les étoiles ne brillaient pas dans le firmament, c’est qu’elles avaient rendez-vous sur terre dans les yeux de tous ceux qui regardaient LA grande étoile.

À voir Charles Aznavour s’amuser si fort encore sur scène, à regarder son sourire devant les applaudissements nourris, force est de constater que le temps passe. Et que ce jour viendra où Charles Aznavour voudra rentrer au bercail et ne plus qu’écrire, comme il le fait depuis longtemps déjà, pour ces artistes à la merci des mêmes rêves.

Et même si son héritage auprès du public se compte par milliers en chansons, à l’infini en photos et en vidéos, le jour où il ne laissera plus tomber son fameux mouchoir en finale de La Bohème, qu’il ne frottera plus ses chaussures dans Je m’voyais déjà et qu’il ne glissera plus ses semelles sur les scènes du monde au rythme de Les Deux guitares, ce jour-là sera bien triste pour tous ceux qui l’aiment, bien plus triste que Venise!

Photos: Suzette Paradis

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