Traces d’Anna Raymonde Gazaille : un premier roman policier très prometteur

Traces Anna Raymonde GazaillesL’histoire se passe dans le Montréal d’aujourd’hui. L’équipe de l’inspecteur Paul Morel du SPVM, Division des crimes majeurs est face à des crimes sexuels envers des femmes célibataires des quartiers aisés de la Ville, sur fond de sites de rencontres Internet aux interlocuteurs et donc meurtriers possibles aussi nombreux que difficilement retraçables dans ce mode relationnel souvent construit autour du factice, du mensonge et de la brièveté. Un accident de voiture qui a toutes les apparences d’une tentative de meurtre sur la personne d’une sociologue spécialiste de l’étude des usagers de ce type de rencontres ne tarde pas à être relié à l’enquête sans compter l’intrusion d’un voyeur par caméra informatique qui perturbe et trouble les pistes.

L’auteure, Anna Raymonde Gazaille, a longtemps dirigé des organismes culturels des Arts de la scène, dont notamment la Compagnie Montréal Danse et le Conseil québécois du théâtre, mais c’est à l’écriture qu’elle se consacre désormais entièrement. Elle nous livre ici son premier roman. Avec Traces, l’auteure, entre de façon prometteuse dans la cour des grands du roman policier. Tout est même en place pour une collection qui ne demande qu’à se développer. Une bonne intrigue, traitée, non pas comme un suspense dont on découvre le criminel à la dernière page, mais centrée sur le cheminement d’une enquête. On vit ainsi avec l’équipe d’enquêteurs au rythme de ses frustrations, des lenteurs, des impasses comme des coups d’accélérateurs qui font monter l’adrénaline. Une enquête qui, même si l’on connaît assez vite le meurtrier, un peu plus vite même que l’équipe d’enquêteurs qui n’ayant pas tous les regards croisés du lecteur tarde un peu plus que nous à en dénouer les fils, retient toute notre attention. Un rythme soutenu efficacement sans recours à l’accumulation des artifices souvent exaspérants tels que le contretemps, l’invraisemblance qui frôle l’incohérence ou l’aveuglement aussi persistant qu’improbable de l’inspecteur alors que tout lecteur moyen a lui bien vite établi des liens qui sautent aux yeux. Des artifices pour retarder l’enquête qui sont malheureusement courants dans ce type de littérature. Traces est un roman policier qui repose sur un savant dosage entre apports de la police scientifique, nouvelles technologies et méthodes traditionnelles d’enquête centrées sur les rapports humains entre l’équipe et la puissance d’analyse et de déduction.

Un environnement tant humain que géographique qui crée l’adhésion du lecteur qui très vite trouve ses repères, y compris, probablement, même s’il n’est pas Montréalais. En effet, le Montréal dans lequel évoluent les personnages évite autant les pièges de la ville sublimée de plusieurs romans y compris policiers que ceux de la ville sortie tout droit d’un guide touristique ou à l’opposée devenue tellement intime que pour s’y retrouver il faut avoir passé plusieurs années à l’arpenter, devenant ainsi un cadre improbable pour tout autre lecteur. Le Montréal d’Anna Raymonde Gazaille est un univers en parfaite cohérence avec l’intrigue et les personnages. Une ville qui a assez de références ancrées dans le vécu quotidien pour que tout Montréalais s’y sente bien et y trouve ses repères mais qui en même temps reste un cadre hospitalier pour tout lecteur venu d’ailleurs afin qu’il s’y construise lui-même son propre univers romanesque.

Les rapports entre les personnages et les fonctionnements du service évitent eux aussi pour l’essentiel les clichés ou les invraisemblances du genre, du moins pour le lecteur non issus des rangs de la police. Pas d’inspecteur super héros travaillant ex nihilo de toute contingence administrative, hiérarchique ou juridique, une équipe qui représente par ses diversités ethniques et culturelles le Québec d’aujourd’hui mais avec naturel et sans volonté démonstrative. Des adjoints qui naviguent avec réalisme entre fidélité à l’équipe et au chef et ambition personnelle légitime pour des jeunes en début de carrière; des relations humaines qui connaissent leurs hauts et leurs bas, autant de faiblesses et de forces, communes à tout milieu professionnel qui repose sur le travail en équipe dans lequel on ne choisit pas forcément ses collègues mais à travers lesquelles on parvient à construire un ensemble cohérent. Un seul regret, on aurait aimé que, pour une fois, dans un roman policier (ou un film ou une série télé) au moins un des enquêteurs vive une vie familiale et amoureuse qui sorte du cadre du policier solitaire, esseulé ou du couple en crise.

Pour donner vie à son univers l’auteure a su aussi utiliser une langue qui évite les écueils ou les outrances du québéco-québécois surligné en même temps que l’impersonnalité du français international. Le style est alerte, les dialogues vivants, la langue plaisante à lire.

La force et l’attrait de Traces sont dans cette dynamique ainsi créée, cette interaction équilibrée, réussie et maîtrisée entre tous les éléments qui font un bon roman policier en même temps qu’elles sont proches de nous et de notre quotidien par le plausible et la proximité de ses personnages et de leur univers. L’intrigue policière est certes relativement basique mais elle garde sa cohérence propre. Et puis, en fait, la police est-elle vraiment tous les jours confrontée à des enquêtes spectaculaires dignes de rentrer dans la légende? A-t-on vraiment toujours besoin de cette « exceptionnalité » de l’enquête pour se plonger dans un bon polar? En s’inscrivant, à la suite de nombreux auteurs reconnus, plus dans l’invitation à suivre et partager la normalité et donc toujours un peu la banalité d’une enquête et d’une équipe, que dans le spectaculaire du crime et/ou de l’inspecteur du siècle, Anna Raymonde Gazaille nous introduit dans une atmosphère dans laquelle on se sent à l’aise, dans laquelle on a nos repères. C’est ce qui fait le charme de ce livre et qui fait que l’on a envie de retrouver l’équipe de l’inspecteur Morel, pour d’autres enquêtes, et pour suivre le cheminement de leur groupe.

En cet automne et cet hiver qui s’annoncent ce livre est celui qu’il vous faut pour une soirée ou fin de semaine au coin du feu.

 Traces
Auteure : Anna Raymonde Gazaille
Roman policier
Éditions : Leméac
Publié sous la direction de Marie-Claude Fortin
Photo en couverture : Tony Tremblay / iStockphoto
312 pages ; Format broché 14,5 x 24 cm.
ISBN : 978-2-7609-3364-4
Dépôt légal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec 2013,
Avec le soutien de : Fonds du Livre du Canada; Conseil des Arts du Canada; Sodec, Québec
Prix suggéré : 25,95 $ avant taxes.
Offert dans toutes les librairies dès le 14 août 2013
Rue des libraires : http://www.ruedeslibraires.com/livres/traces-363351.html/7c86c1d9e824739a397809c9edcddc291312deb9584a117b076a85af9f4eae73341b00fbf242106c95e4f6c3fcbe68ea1bf2673f529f7ce600aaa45e8099692d/?u=4850

© photo: courtoisie