L’Epreuve Ontologique de mon Existence : l’adolescence prend des risques sur la scène du Théâtre Prospero

La Preuve Ontologique de mon Existence
La Preuve Ontologique de mon Existence

Shelley,

Tu n’es qu’un nom de marchandise américaine dans le carnet de Peter V.
Tu n’es qu’un corps de cheerleader aux dents saines dans les paumes de Piotr Verkhovensky.

« Tu n’existes pas. »

La preuve, tu ne penses qu’à celui qui t’a sauvée quand celui qui t’a sauvée n’est pas là.
La preuve, tu ne te laisses pas envahir par les diapositives invisibles de ton papa.

En révolte totale contre les vieilles mythologies, une femme-enfant finit sa troisième fuite sur le matelas souillé d’un « pimp » qui se fait appeler Peter V d’après l’un des personnages des Possédés de Dostoïevski.

Poussée de l’amour oppressant de son père à son amour hypnotisé pour Peter, l’adolescente prend conscience de la preuve ontologique de son existence qui se vide pour s’évader, prise en étau entre les deux visages d’une même possessivité.

« Pièce rude », La Preuve Ontologique de mon Existence s’inscrit dans la série de portraits réalisés par Joyce Carol Oates et qui donnent la parole à des « vérités inattendues et nullement souhaitées » qui se déroulent pourtant au cœur de notre quotidien.
Loin au-dessus de sa prose parlée, la poétesse et romancière parvient, par envolées, à tirer la question de l’exploitation au-delà de l’évidence de la violence physique, sur le terrain psychologique.

La directrice artistique et générale du Théâtre Prospero Carmen Jolin met en scène ce « texte beau dans sa crudité », adressé aux adolescents « mais pas seulement. »
Une « expérience précieuse » qui prend pour décor le proxénétisme à l’œuvre à quelques portes de nos paliers, dans des territoires en déconstruction à moitié inondés, en vue de traiter avec une vibrante véracité de l’âme adolescente, dont le courage empreint d’une belle et naïve vulnérabilité bataille pour trouver son bonheur, aux prises avec une adulte et cruelle réalité.

Nora Guerch, Frédéric Lavallée
Nora Guerch, Frédéric Lavallée

Pour incarner Shelley, Carmen Jolin mise sur Nora Guerch, repérée dans l’un des ateliers dirigés par le conseiller artistique du groupe de La Veillée Téo Spychalski, et dont la prestation physique sans fausse note porte les sautes de corps et d’esprit désassemblés, réassemblés, d’un mannequin à la peau transparente qui s’adresse au public, en quête d’identité.

Portant sans complexe l’accoutrement haut en couleurs de Peter V, Frédéric Lavallée fait naître avec une assurance racée un être en paix avec la verve de sa vérité, une déité sans pitié qui ne prend pas le temps de s’arrêter sur les âmes que son implacable amoralité a sur son passage mutilées.

Jean-François Blanchard compose un père trop bien sous tous rapports et déplaisant, épuisé de courir après sa fugueuse de fille et ne pouvant prouver son devoir de la retrouver que par de vieilles photographies qui n’ont plus que le pouvoir de ne pas la forcer à revenir vers une part d’elle-même dont elle ne veut de toute manière plus rien écouter.

Quant à Jean-Marc Dalphond, ce dernier se donne avec conviction pour endosser le petit rôle d’un Monsieur-tout-le-monde qui, derrière son air propret d’employé, dissimule un sale type apeuré se payant le rêve d’une soirée sordide entre un mari et une petite femme violentée.

Eprouvante comme quarante-cinq nuits sans communiquer, La Preuve Ontologique de mon Existence est une oeuvre qui attrape le spectateur pour projeter violemment son attention sur une réalité peuplée de Peter V, tout en ouvrant aux « envoûtantes questions de l’adolescence » une porte qui n’était pas verrouillée.

A vivre jusqu’au 11 octobre prochain sur la scène principale du Théâtre Prospero.

Distribution : Nora Guerch, Frédéric Lavallée, Jean-François Blanchard, Jean-Marc Dalphond

Texte : Joyce Carol Oates
Traduction : Téo Spychalski
Mise en scène : Carmen Jolin
Scénographie, accessoires : Véronique Bertrand
Eclairages : Stéphane Ménigot
Costumes : Gilles-François Therrien
Bande sonore : Nikita U
Maquillage : Michelle Trépanier
Directrice technique et de production : Pierre Mainville
Adjointe à la direction technique : Rébecca Brouillard
Chefs d’atelier : Michel Saint-Amand, Jean Letendre
Patine : Jessica Hart
Affiche, diapositives et programme : Corinne Bève
Equipe technique : Catherine Fasquelle, Jérémi Guilbault Asselin, Victor Manuel Baires Noriega, Julie Tessier, Emilie Proulx-Bonneau, Sandy Caron
Relations de presse : Jean-Sébastien Rousseau, RuGico

Crédits photographiques : Corinne Bève