La comédie musicale Spring Awakening: de jeunes interprètes nous livrent une performance dynamique et touchante

La distribution de Spring Awakening
La distribution de Spring Awakening

Les Productions Persephone nous ont habitué à des spectacles qui mettent en valeur les jeunes talents montréalais dans des pièces socialement intelligentes et de bonne qualité littéraire. Après avoir présenté plusieurs pièces de Shakespeare, Persephone (http://www.persephoneproductions.org/) s’attaque à un grand classique de comédie musicale, Spring Awakening. Gagnant de 8 Tony Awards en 2007 dont celui de la meilleure comédie musicale sur Broadway, Spring Awakening est basé sur la pièce de l’allemand Frank Wedekind parue en 1891. Mis en musique par Duncan Sheik selon un livret de Steven Sater, l’histoire traite de la découverte de la sexualité chez les adolescents. À cause des thèmes tabous abordés (masturbation, avortement, viol, homosexualité, etc.) cette pièce a souvent été censurée et oubliée. La redécouvrir en théâtre musical est un cadeau parce que ses thèmes sont et seront toujours intemporels. La musique pop-rock utilisée pour une histoire qui se passe au XIXe siècle réussit à faire un contraste qui relie cette période au monde moderne d’aujourd’hui.

L’histoire raconte la vie d’adolescent et d’adolescentes de la fin du XIXe siècle, chacun avec ses problèmes et ses découvertes. Wendla qui n’arrive pas à se faire expliquer par sa mère d’où viennent les bébés. Puis à l’école, un garçon perturbé (Moritz) se fait recaler, ce qui met en colère son père. Moritz raconte à son ami Melchior (le rebelle de la classe) ses rêves qui le hantent. Melchior lui fait remarquer que ce sont des rêves érotiques, ce qui le dérange au point où il demande à son ami d’en écrire un journal avec illustrations. Pendant que Hanschen se masturbe en regardant du matériel érotique, Georg fantasme sur la poitrine généreuse de son professeur de piano. De leurs côtés les filles au retour de l’école échangent sur leur sujet favori: les garçons. Martha avoue à ses amies qu’elle se fait battre tous les soirs par son père. Son amie Wendla rejoint Melchior et lui demande de la frapper pour ressentir quelque chose, mais lorsque Melchior s’exécute il réalise l’énormité de son geste. Dans sa fuite il oublie le fameux livre avec les illustrations érotiques qui vont finalement servir à éduquer Wendla. Lorsque Melchior revient, lui et Wendla font l’amour pour la première fois. Puis Moritz qui est rejeté par son père s’enfuit avec un revolver, mais il croise Ilse et parlent de leurs enfances. Moritz finit par se tirer une balle dans la bouche. Après ses funérailles, les professeurs découvrent le livre écrit par Melchior pour Moritz et accusent Melchior d’être responsable du suicide de Moritz. Moritz est expulsé de l’école. Hanschen qui semble toujours au-dessus de tout séduit son camarade Ernst qu’il finit par embrasser. Wendla apprend qu’elle est enceinte, sa mère pique une grande colère. Melchior est envoyé dans une école de réforme par ses parents mais s’enfuit lorsqu’il découvre que Wendla est enceinte. Pendant ce temps, la mère de Wendla l’a amené pour un avortement qui tourne mal. Lorsque Melchior arrive au cimetière pour se recueillir sur la tombe de Moritz il découvre aussi la tombe de son amoureuse Wendla. Il veut se suicider mais les esprits de Moritz et Wendla l’incitent à continuer sa vie. Le spectacle se termine sur l’espoir d’une vie meilleure pour tous.

À l'avant-plan: Zachary Creatchman, Michael Mercer, Alexia Gourd
À l’avant-plan: Zachary Creatchman, Michael Mercer, Alexia Gourd

Présenté dans une mise en scène qui est proche de celle produite sur Broadway, les metteurs en scène Christopher Moore et Gabrielle Soskin on mis l’emphase sur un jeu plus intime des acteurs avec les spectateurs. La grandeur du théâtre (une centaine de places) aide à rendre cette ambiance intime. La scène bien dégagée avec des chaises de chaque côté pour les acteurs en attente de leur entrée en scène permet aussi des déplacements et changements de scènes plus fluides. L’ajout des musiciens comme toile de fond est très agréable visuellement (et musicalement). Mais la force de ce spectalce tient au dynamisme et à l’énergie dégagée par ses interprètes. Sans compter les belles harmonies vocales assez complexes lorsque tout l’ensemble chante en même temps. Tous les numéros de groupe sont superbement réussis, spécialement « Totally Fucked » qui est débordant d’énergie.

Zachary Creatchman dans le rôle de Melchior chante avec une voix puissante et juste. Il a le physique du mauvais garçon qu’on reconnait facilement. Sa scène finale au cimetière est une des plus touchantes que j’ai vu cette année en théâtre musical, à en donner des frissons dans le dos et quelques larmes. Malgré une belle voix chantée solide tout au long du spectacle, il devra travailler son falsetto (voix aigue de tête) qui est moins juste. Dane Stewart en Moritz nous y fait croire du début à la fin. Son jeu nerveux et fébrile rempli de vérité atteint son comble lors de la scène du suicide. L’hésitation puis la décision qui le mène au bord du gouffre avant de se tuer, tout y est. Sa voix chantée est juste, avec nuances et avec un timbre plus pop un peu nasillard, ce qui correspond parfaitement à son personnage tourmenté.

Gab Lubin en Wendla concorde physiquement à l’image qu’on se fait du personnage. Même que son physique fait un peu penser à celle qui jouait ce rôle sur Broadway (Lea Michele). Gab joue admirablement bien cette petite innocente, avec les nuances nécessaires et surtout une belle évolution de son personnage au fur et à mesure qu’avance l’histoire et que disparaît sa naïveté. Elle chante avec une belle voix juste, pleine de nuances et une bonne voix de poitrine quand c’est requis, très expressive en chantant, mais on la sent parfois moins solide vocalement que son alter-ego masculin (Melchior).

Gab Lubin et Alexandra Ghezzi
Gab Lubin et Alexandra Ghezzi

La voix de Marie-Pierre de Brienne qui joue Ilse est une très belle surprise. Douce et agréable à entendre chanter, très solide avec de belles notes tenues, de beaux vibratos, bref on l’écouterait plus longtemps. Expressive à souhait, elle sait quand se fondre dans le groupe et quand en ressortir pour qu’on la remarque. Elle est la preuve qu’il n’y a pas de petits rôles mais de grands interprètes.

Les autres rôles sont en général aussi bons. On remarque Adam Capriolo M dans le personnage homosexuel (Hanschen), qui nous livre avec Michael Mercer (Ernst) une scène de séduction-101 qui s’avère amusante et divertissante, ce qui permet d’alléger un second acte assez tragique. Sans compter sa scène de masturbation au premier acte qui est à se tordre de rire. Alexia Gourd en Martha, fille violentée, évite de tomber dans les clichés et nous montre comment elle réussit à survivre à ses blessures psychologiques. Alexia qui est aussi créditée comme chorégraphe, a su bien utiliser tout l’espace scénique pour faire bouger l’ensemble.

Alex Goldrich et Alexandra Ghezzi complètent parfaitement l’ensemble en personnifiant toute une série de personnages adultes, tels les professeurs, parents, docteur, etc. En utilisant seulement ces deux acteurs, ça nous montre que le monde adulte est assez homogène dans son comportement quand il fait face à cette jeunesse en développement. Le jeu d’Alex et Alexandra est poussé juste assez loin pour donner une intensité à la dualité entre les deux groupes sans tomber dans l’excès.

Le tout est accompagné d’un excellent orchestre de 7 musiciens dirigé par le jeune pianiste David Terriault. Que ce soit pop-rock ou classique, l’ensemble est précis et harmonieux. On apprécie un beau travail des cordes en particulier. Un bémol à la sonorisation est que tous les chanteurs utilisent des micros à la main, ce qui peut être dérangeant pour du théâtre musical. On ne peut s’empêcher d’être distrait lorsqu’un acteur sort lentement de sa poche un microphone, puisque la surprise de l’arrivée d’une chanson est gâchée. En résumé, je recommande fortement ce spectacle. Tout en étant divertissant, il met en valeur de jeunes talents énergiques, dans un texte intelligent et des chansons mélodieuses et complexes.

Les bons coups: ensemble d’interprètes énergiques, ambiance intimiste, excellent orchestre, plusieurs belles voix chantées.

Les moins bons coups: micros à la main pour les chanteurs.

En avant: Rosie Callaghan et Zachary Creatchma À l'arrière: Alex Goldrich et Alexandra Ghezzi
En avant: Rosie Callaghan et Zachary Creatchma
À l’arrière: Alex Goldrich et Alexandra Ghezzi

Présenté en anglais au Théâtre Calixa-Lavallée, 3819 rue Calixa-Lavallée à Montréal (dans le Parc Lafontaine). Pour y accéder facilement, il faut prendre la rue Calixa-Lavallée à partir de la rue Rachel.

Mis en scène par Christopher Moore et Gabrielle Soskin. Direction musicale par David Terriault. Chorégraphies par Alexia Gourd. Costumes et décors par Anna Delfino.

Distribution: Zachary Creatchman (Melchior), Gab Lubin (Wendla), Dane Stewart (Moritz), Alexia Gourd (Martha), Adam Capriolo M (Hanschen), Marie-Pierre de Brienne (Ilse), Michael Mercer (Ernst), Rosie Callaghan (Anna), Matthew Barker (Georg), Nikki Haggart (Thea), Sean Colby (Otto), Julia Borsellino (Bethany), Alex Goldrich (professeur et pères) et Alexandra Ghezzi (professeur et mères).

Du 17 au 27 octobre à 20h, représentations supplémentaires à 14h le samedi et dimanche. Billets disponibles (30$, 25$ âge d’or, 20$ étudiants) sur http://www.showtix4y.com/ ou 1-866-967-8167.

Photos: Joseph Ste. Marie