René Richard Cyr et Marie-Thérèse Fortin saluent l’illusion du Balcon de Jean Genet

Marie-Thérèse Fortin
Marie-Thérèse Fortin

« C’est déjà le matin. »

Et Madame Irma règne toujours sur Le Grand Balcon. Reine en sa maison d’illusions, la mère maquerelle a survécu au grand soir et préservé son Etat dans l’Etat de l’extérieur et de la révolution.
Ses clients de la veille ont déserté ses salons pour endosser la vérité de leurs rôles livrés par le peuple lui-même à la réalité.
Au sous-sol, le préfet de police l’a finalement emporté en voyant son pouvoir intronisé par l’intermédiaire de la création de son propre mausolée.

Mais y-a-t-il réellement eu révolution ?
N’était-elle pas qu’une nouvelle illusion inventée par Madame Irma en vue d’érotiser le rôle de son ancien amant en vidant de leur aura de séduction les vieux pouvoirs étatisés ?
N’était-elle pas qu’une cérémonie visant à destituer ces derniers en les faisant renaître à la quotidienneté et par là-même transformer en mythe le préfet de police par la voie de la petite mort costumée ?
Le final de l’homme castré signifierait-il la vengeance de ses filles et d’Irma contre leur soumission aux désirs des phallus défaits par le visage de la révolution oeuvrant en coulisses à sa propre finalité ?
Et par-dessus tout, les événements de la nuit n’auraient-ils été que divertissement pour quelques actrices/spectatrices avisées ?

Autant de vérités se côtoient sans nécessairement se contredire entre les murs du Grand Balcon, dont seule Madame Irma, qui voit les hommes à travers des trous dans ses murs, détient la clé.
Et pourtant, dans leurs yeux qui lui restent dissimulés, Madame Irma saisit-elle la porte entrouverte sur leur désir de se laisser transfigurer ?

Autant de vérités réinterprétées par René Richard Cyr, qui s’empare de l’œuvre de Jean Genet en mettant en avant le théâtre de la représentation propre au dramaturge français.
Les costumes pompeux et colorés, les artifices scéniques réussis et les prestations truculentes des acteurs qui forcent le trait se complètent à merveille afin de nous faire entrer au cœur de l’illusion et nous renvoyer ensuite à nous-mêmes sans réponses toutes prêtes à nos interrogations.

Bernard Fortin, Denis Roy, Marie-Thérèse Fortin, Roger La Rue
Bernard Fortin, Denis Roy, Marie-Thérèse Fortin, Roger La Rue

Marie-Thérèse Fortin s’impose en faisant de Madame Irma une femme forte et déterminée, tirant les ficelles en sa maison, de sa première apparition emplie de royauté à la femme faussement ? inquiète pour son or et pour ses salons.

Autour d’elle, Roger La Rue, Denis Roy et Bernard Fortin répètent avec leurs variations propres la soif de pouvoir de trois hommes emportés de la vraie fausseté à la fausse vérité.
Marie-Pier Labrecque, Sonia Cordeau et Kim Despatis donnent la réplique avec charme et humour aux scénarios coquins de ces messieurs.

Macha Limonchik touche en sainte prostituée nostalgique sacrifiant toute autre affiliation à sa mère maison ; Julie Le Breton incarne avec une indomptable conviction sa double dévotion à la révolution.
Eric Bernier apporte son élégante excentricité au mystérieux envoyé de qui de quoi, de la reine ou d’Irma ?
Quant à Vincent-Guillaume Otis, il entre avec un pathétisme approprié dans la peau du révolutionnaire romantique s’abandonnant au rôle de Bruno Marcil, le préfet de police jouant joué secondé par sa masse musculaire Stéphane Breton.
Benoît Drouin-Germain et Simon Lacroix ajoutent à la confusion en combattant et immortalisant tour à tout les pions mis en place par la reine maquerelle.

Toutes les pistes sont explorées, le vrai et le faux façonnent une même réalité et René Richard Cyr réussit le tour de force de montrer par miroirs interposés les rapports à tiroirs entre l’art et la vérité.

Le Balcon paraît sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 30 novembre.

Distribution : Marie-Thérèse Fortin, Roger La Rue, Denis Roy, Bernard Fortin, Marie-Pier Labrecque, Sonia Cordeau, Kim Despatis, Macha Limonchik, Julie Le Breton, Eric Bernier, Vincent-Guillaume Otis, Bruno Marcil, Stéphane Breton,  Benoît Drouin-Germain, Simon Lacroix

Texte : Jean Genet
Mise en scène : René Richard Cyr
Assistance à la mise en scène et régie : Marie-Hélène Dufort
Décor : Pierre-Etienne Locas
Costumes : Marie-Chantale Vaillancourt
Accessoires : Alain Jenkins
Maquillages : Jean Bégin
Perruques : Rachel Tremblay, Eve Turcotte
Eclairages : Erwann Bernard
Musique originale : Alain Dauphinais

Crédits photographiques : Yves Renaud