Moi, Feuerbach : Gabriel Arcand re-auditionne pour l’homme zéro au Théâtre Propero

Moi, Feuerbach
Moi, Feuerbach

« Lumière ! »
Lui, Feuerbach, entre en scène.
Sans lumière, sans metteur en scène.
Silence désert. « Lumière ! »

Resté absent des théâtres depuis sept ans, Feuerbach est rappelé par un metteur en scène de ses relations afin de passer une audition.
Mais à peine monte-t-il sur scène que commence pour l’acteur sa lente décomposition.

Car en lieu et place de metteur en scène, Feuerbach est reçu par son assistant.
Irrité et méprisant, le Tasso d’hier pique le jeune inculte de répliques à sens unique par lesquelles il étale toute son érudition et tout son talent appartenant à une autre génération.

Feuerbach attend.
Le temps passant, il s’impatiente et essaie tant bien que mal de ne pas laisse filtrer les faiblesses de son comportement sautillant. Lui qui a passé ces sept dernières années en état de précarité mentale se croit de plus en plus espionné et se livre dès lors à des confidences aux accents de plus en plus profonds quant aux voies tortueuses inhérentes à sa profession.

En ressort la composition compliquée d’un homme de théâtre désespéré dont l’armure pathétique de la vanité, trouée par les doutes dus à l’affaissement de ses facultés, révèle la vulnérabilité d’une âme d’acteur manipulée sa vie durant par la mise en scène et qui, dépouillé de son identité, s’est condamné après sept ans sans applaudissements à parler de lui-même au passé.

Passe sur les planches un chien pressé, et Feuerbach, ôtant sa veste et ses souliers, s’effondre tout à fait pour se laisser avoir par l’attente qui n’en finit plus de l’achever.

Arrive enfin le metteur en scène.
En pleine lumière, transpirant et sans point de repère, Feuerbach se lance à interpréter un des rôles pour lesquels il se dit réputé, déclamant -à qui ?- une tirade incompréhensible de morceaux de mots sortis sans ordre et entremêlés, un tout sonore informe et expulsé comme le trop plein d’un homme-comédien épuisé qui ne sait plus rien et n’a plus qu’à se taire et saluer.
Fin. S’en va le metteur en scène.

Vidé, Feuerbach quitte l’audition sans souliers et, victime d’un complot ou bien de la seule déchéance de sa psyché, tire sur sa carrière un rideau définitif pour s’en retourner vers son oubli nus pieds.

Dix-huit ans après sa première représentation, Téo Spychalski et Gabriel Arcand font repasser Moi, Feuerbach par les affres de l’audition.
Ensemble, le metteur en scène et l’acteur s’intéressent à nouveau au-travers de l’oeuvre du dramaturge allemand Tankred Dorst aux relations et  entre metteurs en scène et acteurs, à leur situation face-à-face avec la création, au déclin des aptitudes et à la difficile remise en question.
« Tout est là. » estime Gabriel Arcand, qui reprend, là, via cette adresse au public, un de ses rôles les plus marquants.

Si l’on se demande la pièce durant si le metteur en scène tant attendu est en fait l’assistant, de petits événements comme l’épisode canidé si absurde et déplacé et le technicien qui va de-ci de-là en tripatouillant des éléments du décor censé représenter une scène mais qui prend des airs d’appartement désordonné participent à faire croire que tout simplement Feuerbach n’a peut-être pas été rappelé pour auditionner mais qu’il s’invente seulement un retour, ravivant des souvenirs d’hier devenus après sept années d’absence silhouette cartonnée, et vit son art à-travers des rêves entretenus par maladie mentale interposée dans la solitude désespérée de son appartement.

Le texte de Tankred Dorst est imposant, son propos passionnant, sa construction bien pensée et son personnage principal, être dérivant qui lutte contre lui-même pour revenir sous la lumière et dévêt son âme -sans filet- en attendant, est émouvant.
De facture conventionnelle, la scénographie sert l’oeuvre à merveille en se permettant une envolée expérimentale sur écran.

On aurait néanmoins espéré que les acteurs soient impeccables tout autant.
Or, Alex Bisping, qui interprète l’assistant, peine à poser sa voix la pièce durant et n’est pas vraiment convaincant.
Quant à Gabriel Arcand, son Feuerbach un rien poussif et sa parole sonnant un peu faux évoquent un acteur retrouvant avec plus de difficulté que prévu un rôle qui le renvoie à son propre vieillissement et conviennent en cela peut-être parfaitement à son rôle finalement.

Moi, Feuerbach du 21 janvier au 8 février sur la scène principale du Théâtre Prospero.

Distribution : Gabriel Arcand, Alex Bisping, Ginette Chevalier

Mise en scène : Téo Spychalski
Décors : Téo Spychalski, Michel Saint-Amand
Costumes : Téo Spychalski, Marie-Pierre Poirier
Eclairages : Mathieu Marcil

Crédits photographiques : Matthew Fournier