Une Année Sans Eté : l’écriture et la vie se donnent la réplique sur la scène de l’Odéon-Théâtre de l’Europe à Paris

 

Franck Laisné, Laure Lefort, Garance Lefort
Franck Laisné, Laure Lefort, Garance Lefort

« Une pièce de jeunesses »

Ce sont pas moins de trois jeunesses qui se sont rencontrées pour donner naissance à Une Année Sans Eté.

Celle de Catherine Anne, dont la pièce tient pour elle une place essentielle, puisque c’est à-travers Une Année Sans Eté que l’auteure s’est révélée à elle-même il y a presque trente ans en tant qu’écrivaine.

Celle de Joël Pommerat, qui s’est aventuré à sortir de sa position de créateur de spectacles pour s’investir dans un rôle qui lui tenait à cœur depuis longtemps -celui d’accompagnateur.
Le metteur en scène s’est pour l’occasion approprié Une Année Sans Eté, pièce qui avait laissé une « trace » en lui depuis qu’il l’avait découverte alors qu’il avait vingt-trois ans, en se rendant disponible pour ses acteurs, les « soutenant et les mettant dans des situations artistiques pour de vrai de prise de risques et de responsabilités » ; une position « à côté de » que Joël Pommerat a tenue pendant tout le processus de création.

Celle des acteurs Carole Labouze, Franck Laisné, Laure Lefort, Rodolphe Martin et Garance Rivoal , qui en trois « actes » vont, viennent, s’en vont et reviennent, racontant au-travers des récits de leurs personnages ce que peuvent être à vingt ans le désir d’écriture, les envies d’amour, le courage des départs et les transformations au retour.

Une année, trois saisons.

Automne.
A quelques jours de la majorité, Gérard, valise en main, claque la porte de la « mort sédentaire » proposée par son père, ne désirant que la solitude et les lointains pour se trouver en s’éprouvant écrivain. Enthousiaste et décidé, Gérard a tout de même un peu peur et n’est pas si certain.

C’est Anna, Allemande en voyage de passage dans l’entreprise de son père et qui partage avec Gérard le même état -ou presque- d’esprit, qui va le pousser à prendre son avenir en main en partant avec lui.
Installé à Paris, Gérard assistera par la suite impuissant et éconduit au départ d’Anna qui s’en va suivre sa propre voie en Angleterre.

Hiver.
Errant dans les rues ou gisant dans son lit, Gérard est ramassé par hasard par Auguste Dupré, jeune dandy qui se déclame au titre de poète édité.

Impressionné par celui qu’il croît arrivé là où lui-même souhaite aller, Gérard suit l’imposteur de vaines mondanités en vers avortés, alors qu’à la maison son hôte Louisette l’attend tous les soirs pour qu’il la délivre de sa mère à l’heure du dîner.

Pendant tout ce temps, Gérard n’écrira rien, sinon des lettres destinées à Anna qui resteront mortes et peut-être même enterrées.

Printemps.
Arrivés au terme de leur amitié stérile et sans lendemain, Auguste retourne à son univers ricanant pour se marier contre son gré, non sans avoir, dans un soudain élan d’humilité, persuadé Gérard de son talent. Ce dernier part alors pour l’Espagne vivre sa vie en écrivant

De retour à Paris après quelques temps, Gérard retrouve Anna rentrée elle aussi ; à trois, ils vivent avec Louisette, émancipée par la mort de sa mère, sous son toit.

Ayant trouvé leur voie, Gérard et Louisette sortiront dîner, alors qu’Anna restera à l’intérieur, piétinant sur le paillasson de son passé.

Juillet 1914.
La Grande Guerre est déclarée. Gérard est appelé sous les drapeaux, à Paris ; Anna, outre-Rhin, devient une ennemie.
Dès lors, c’est Mademoiselle, prisonnière de sa vie étriquée de petite employée, qui mettra ses mots sur leurs histoires d’ores et déjà en Points de suspension alors que l’autre, l’Histoire, les prive de ce jour tous les deux d’été pour au moins quatre années.

Une écriture au masculin 

C’est dans un climat de claire obscurité que se succèdent les trois saisons d’Une Année Sans Eté, les acteurs se promenant entre quatre murs noirs percés par une ouverture mouvante sur l’extérieur.
L’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne…les ailleurs sont hors scène, de sorte que l’on tourne en rond la pièce durant dans un Paris intérieur.

Le minimalisme étudié du décor est contrebalancé par la « danse » des meubles qui se déplacent de scène en scène, donnant par là une impression bien rendue de mouvement dans l’immobilisme ambiant.

Assez adroite dans sa construction, la pièce développe les allées et venues de trois presque adultes sur le seuil de leurs demains et leurs tentatives pour devenir écrivain en attendant de passer la porte de la « vraie vie », le tout servi par quelques tirades porteuses de vérités malheureusement amoindries par l’utilisation de micros ; on aurait en effet préféré écouter les acteurs donner de la voix sans ces artifices qui participent à les faire sonner un peu faux.

C’est ainsi que Laure Lefort et Carole Labouze interprètent leur partition.

Grace à la magie de son accent et aux allers-retours entre le doute et les certitudes de son Anna, Garance Rivoal se tient un cran et même plusieurs au-dessus, à l’instar de Rodolphe Martin, dont l’Auguste Dupré distrait, puis lasse, et quitte la pièce sur un beau discours théâtral.

Trop « provincial » dans son interprétation, trop simpliste, trop peu en contradictions, Franck Laisné n’est pour sa part pas de taille à incarner toute l’ampleur des turpitudes d’un poète comme Rainer Maria Rilke, dont son rôle est inspiré.

« Cela me frappe, en relisant Une Année Sans Eté, de constater que la figure de l’écrivain est Gérard, tandis que le personnage d’Anna dit qu’elle peut vivre sans écrire. Pour moi, nourrie comme tous les lycéens -de mon époque ?- de littérature masculine, il était plus naturel de faire porter la figure de l’écrivain par un jeune homme. » avoue l’auteure Catherine Anne.

Et c’est sûrement cela qui fait défaut, ce que le metteur en scène Joël Pommerat aurait dû transformer pour parementer de raffinement son Année sans Eté : mettre l’aspirant écrivain au féminin afin de lui insuffler un supplément de spleen sophistiqué.
C’est en fait Anna qu’on aurait voulu voir se métamorphoser, influencée par la finesse de style d’une Virginia Woolf ou de l’une de ses consœurs, au cours de cette heure et quart de trois-quarts d’année.

Une Année Sans Eté, du 4 avril au 4 mai 2014 sur la scène de l’Odéon-Théâtre de l’Europe (Berthier 17ème – Petite salle).

Distribution : Carole Labouze, Franck Laisné, Laure Lefort, Rodolphe Martin, Garance Rivoal

Texte : Catherine Anne
Mise en scène : Joël Pommerat
Dramaturgie : Marion Boudier
Scénographie et éclairages : Eric Soyer
Costumes et accessoires : Isabelle Deffin
Son : François Leymarie
Musique : Antonin Leymarie
Collaboration artistique : Saadia Bentaïeb, Philippe Carbonneaux, Marie Piemontaise

Crédits photographiques : Elisabeth Carecchio